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«blica non unius esset ingenio, sed multorum; nec una << hominis vita, sed aliquot esset constituta sæculis et æta<< tibus (1). » Cette république romaine, qui doit ses progrès et sa grandeur au temps et à la suite des siècles, ne rappelle-t-elle pas l'élévation successive de la constitution anglaise, qui n'est pas sortie non plus des conceptions systématiques d'un législateur ou d'un philosophe?

Dans son De Legibus, Cicéron, toujours à l'exemple de Platon, veut donner à sa république le complément des lois. Pour la première fois, il déroule devant les Romains une théorie philosophique de la justice et du droit ; il fait découler le juste de la nature même de Dieu, et le rend ainsi indépendant des conventions humaines; il unit étroitement le droit et la religion, comme philosophe et comme homme d'État, fidèle à la fois aux maximes des anciens Romains et des penseurs de la Grèce. Du sacerdoce il passe à l'examen des magistratures. Vous chercherez en vain dans Cicéron une idée neuve, un élément nouveau pour la science de la sociabilité humaine. Il n'ajoute rien à l'Académie et au Lycée; mais il en revêt les doctrines d'un éclat immortel et populaire (2). Ainsi dans son De Officiis, dans le De Finibus malorum et bonorum, dans les Tusculana Disputationes, Épicure et Zenon, Platon et Aristote, vous deviennent accessibles et familiers, et leur génie semble revivre dans ces traductions éloquentes échappées à l'imagination la plus heureuse.

(1) De Republica, lib. II, cap. 1.

(2) S'il n'est pas un métaphysicien créateur et original, et il y a bien peu d'hommes qui, dans l'histoire des idées, méritent ce titre, Cicéron est supérieur dans la morale aussi bien que dans l'observation et la peinture des mœurs politiques. Sous ce dernier rapport, sa correspondance est un trésor auquel la littérature grecque n'a rien de comparable. C'est le monde intérieur de Rome, et presque le monde moderne. Avec les Lettres de Cicéron, on éprouve très-souvent le même genre de plaisir qu'à la lecture de madame de Sévigné et du duc de Saint-Simon.

(Note de la 3e édition.)

Pendant que l'ami d'Atticus se nourrissait ainsi de la sagesse des Grecs et goûtait de tout sans rien exclure, le Portique trouvait dans un de ses contemporains son plus ferme et son plus digne soutien. Caton avait embrassé avec ardeur la doctrine de Zénon et s'en était entretenu avec les stoïciens les plus célèbres de son siècle; c'était chose publique à Rome que Caton était de la secte stoïque, et s'attachait à régler sa vie d'après les maximes de cette philosophie. Or, Cicéron, dans sa carrière d'orateur, eut l'occasion de railler un peu le stoïcisme de son ami. Muréna, l'un des hommes les plus distingués de la jeunesse romaine, avait fait, en débutant dans les charges, ce que faisait tout le monde : il avait pratiqué la brigue et distribué quelque argent. Caton l'accusa en s'appuyant de la lettre de la loi. Muréna choisit pour défenseur leur ami commun, qui fit de ce procès une controverse élégante de philosophie morale. Cicéron prit Caton à partie avec l'urbanité la plus délicate; il fit honneur de toutes les qualités qui brillaient en lui à son caractère personnel, et rejeta ce que sa conduite pouvait offrir d'exagéré sur un stoïcisme d'école, s'armant d'une raillerie fine dont il était impossible de se dire blessé, puisqu'elle était un hommage à la vertu du personnage dont on se moquait un peu. Voici le résumé ironique des préceptes de Zénon : « Sapientem gra<«< tia nunquam moveri, nunquam cujusquam delicto ignos«cere neminem misericordem esse nisi stultum et levem : <«< viri non esse neque exorari, neque placari. Solos sapientes « esse, si distortissimi sint, formosos; si mendicissimi, di«< vites; si servitutem serviant, reges; nos autem qui sapien<< tes non sumus fugitivos, exsules, hostes, insanos denique <«< esse dicunt omnia peccata esse paria, omne delictum «scelus esse nefarium; nec minus delinquere eum qui gal<«<lum gallinaceum, cum opus non fuerit, quam eum qui pa<«trem suffocaverit sapientem nihil opinari, nullius rei pœ<«< nitere, nulla in re falli, sententiam mutare nunquam (1). »

1) Oratio pro Murena, parag. 29.

Je ne relèverais pas cette plaisanterie littéraire assez connue si elle n'attestait que la philosophie grecque commençait à être bien connue des Romains, puisqu'un avocat pouvait devant un tribunal opposer à la rigueur stoïque la modération de l'Académie, et la recommander comme une vertu convenable à un honnète homme et à un citoyen.

Mais le stoïcisme, loin de s'éclipser avec Caton et la république, pénétra, sous l'empire, non-seulement dans les mœurs de plusieurs, mais dans la jurisprudence et la légalité. Comme il faisait de la justice le souverain bien, lui sacrifiait même l'utile, il convenait à cette jurisprudence qui resta sévère, même quand les mœurs s'amollirent, et qui semblait compenser la licence des habitudes par la rigueur antique de ses maximes. Le stoïcisme s'incorpora tellement au droit romain, qu'on peut dire, en se servant d'une expression juridique, qu'ils forment un tout indivisible. L'influence du Portique sur la jurisprudence romaine est un des plus curieux. sujets que puisse rencontrer la plume de l'historien du droit romain. Toutefois, il ne faut pas oublier que les autres systèmes de la philosophie grecque, notamment la doctrine d'Épicure, pénétrèrent aussi dans la jurisprudence romaine. Trebatius, Alfenus Varus, appartenaient à la secte du rival de Zénon. On peut reconnaître, au surplus, par les passages du Digeste, où se trouvent cités Platon, Aristote, Chrysippe, combien les opinions des philosophes grecs étaient familières aux jurisconsultes de Rome.

La doctrine de Zénon trouva encore comme un chantre et un poëte dans un artiste moins régulier, mais plus profond que Cicéron, et qui écrivit la philosophie morale avec une concision passionnée. Sénèque fut très-embarrassé toute sa vie; précepteur de Néron, il ne savait comment corriger ni comment quitter cet étrange disciple: mais au moins il a racheté une vie incertaine par une mort convenable. On s'est disputé sa mémoire avec acharnement; tour à tour calomnié et vigoureusement défendu, Sénèque se présente à la posté

rité sous le patronage de Tertullien, de plusieurs autres Pères de l'Église, d'Érasme, de Montaigne, de Juste-Lipse et de Diderot. Ce dernier a écrit pour Sénèque un véritable factum; il plaide en avocat pour la sainte cause de la philosophie, il apostrophe les adversaires du Romain, les couvre de confusion singulier don qu'avait reçu si pleinement cet homme de ranimer, par l'enthousiasme d'une âme bouillante, d'anciens débats qui semblaient oubliés. Au seizième siècle, Juste-Lipse défendit aussi la gloire de Senèque; dans une excellente histoire du stoïcisme (1). il lui consacre une dissertation spéciale pour louer ses écrits et justifier sa vie. Les traités du philosophe décèlent un sentiment plus profond que chez tous ses devanciers de la dignité de la nature humaine. C'est celui des anciens qui entre le plus avant dans la moralité de l'homme et pressent davantage les droits et les secrets de son individualité. J'en choisirai une preuve unique, mais décisive. Dans son traité De Beneficiis, il se demande si un esclave peut obliger son maître (beneficium dare); car on peut objecter que l'esclave ne peut offrir à son maître que son ministère et qu'il ne saurait lui rendre service (officium) ni l'obliger (beneficium). Voici la réponse de Sénèque « Præterea servos qui negat «dare aliquando domino beneficium, ignarus est juris humani; refert enim cujus animi sit qui præstat, non cujus « status. Nulli præclusa virtus est; omnibus patet; omnes << admittit; omnes invitat: ingenuos, libertinos, servos, re<«<ges et exules; non elegit domum, nec censum; nudo ho

(1) Manuductionis ad stoicam philosophiam libri tres, L. A. Senecæ aliisque scriptoribus illustrandis. Le célèbre Muret commençait ainsi un discours qu'il prononça à Rome, en 1575, avant d'expliquer le traité de Sénèque Sur la Providence: « De Seneca nihil hoc loco constitui di<< cere; nam, si vituperatores illius confutare vellem, necessario mihi du« cenda essent præcipua argumenta e scriptis ipsius, ut ostenderem eum «<et doctrinæ copia et scribendi elegantia longe multumque omnibus ob<< trectatoribus suis præstitisse. >>

<<< mine contenta est. » Et plus loin, après une peinture pathétique du courage qu'aura déployé l'esclave résistant aux menaces et aux tortures pour sauver son maître, après avoir montré que la vertu dans l'esclavage est plus méritoire encore, il écrit ces mots presque chrétiens : « Errat si quis « existimat servitutem in totum hominem descendere; pars « melior ejus excepta est. Corpora obnoxia sunt et adscripta <«< domino; mens quidem sui juris, quæ adeo libera et vaga << est, ut ne ab hoc quidem carcere cui inclusa est teneri <«< queat, quo minus impetu suo utatur et ingentia agat, et in <«< infinitum comes cœlestibus exeat. Corpus itaque est quod « domino fortuna tradit; hoc emit, hoc vendit : interior illa « pars mancipio dari non potest (1). » Voilà enfin des idées humaines Jus humanum; nudo homine contenta est; la légalité de l'esclavage ne s'attachant plus qu'au corps; mais l'âme s'appartenant à elle-même (sui juris), ne pouvant être l'objet d'un contrat civil, mancipio dari non potest. Nous sommes loin d'Aristote et de ses misérables sophismes.

Quand Domitien expulsa les philosophes de Rome, un esclave phrygien se retira à Nicopolis et y enseigna sans doute sa doctrine. Ses maximes, qui ont été conservées ainsi que les commentaires de Simplicius, nous livrent la théorie complète de la résignation et de l'insensibilité stoïque. On ne peut pousser plus loin la noble exagération d'une vertu solitaire. Marc-Aurèle sur le trône ne tire du Portique que des règles de conduite individuelle; et son stoïcisme n'a pas ranimé l'empire. C'est que le mérite unique de cette philosophie fut d'exalter outre mesure l'individualité, mais sans la féconder le stoïcien doit s'abstenir et doit supporter, mais rien ne l'oblige d'agir; il résiste toujours, jamais il ne veut conquérir; loin d'aimer les autres hommes qu'il ne trouve pas à son point, il les méprise; il se retire dans son orgueil, comme Achille sous sa tente; il se gonfle, il ne s'épanche

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(1) Lib. III, de Beneficiis, cap. xxvIII, xxix et xxx.

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