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«ma gloire, et c'est vous qui me faites marcher la tête levée; « en l'une, les princes sont possédés de la passion de domi«ner sur leurs sujets, et, en l'autre, les princes et les sujets se rendent des assistances mutuelles, ceux-là par leur hon « gouvernement, ceux-ci par leur obéissance; l'une se flatte « de sa vertu en la personne de ses souverains, et l'au<< tre dit à Dieu : Seigneur, qui êtes ma vertu, je vous aime« rai (1). »

Saint Augustin fait de Caïn le premier citoyen de la cité terrestre, et d'Abel le premier citoyen de la cité de Dieu. Il déroule toutes les traditions de l'Ancien Testament, la suite des prophéties jusqu'à l'avènement de Jésus; puis il reprend l'histoire du monde profane depuis Abraham, comparant sans cesse l'esprit et les mérites des deux cités. Mais comment, en face des puissances de la terre, les habitants de la cité céleste se comporteront-ils? Voici la réponse : « Nous avons « intérêt que le peuple qui méconnaît le vrai Dieu jouisse << d'une certaine paix pendant cette vie, parce que, tandis que << les deux cités sont mêlées ensemble, nous nous servons << nous-mêmes de la paix de Babylone dont le peuple de Dieu « est tellement séparé par la foi, qu'il demeure dans son en« ceinte en lui restant étranger. C'est pourquoi l'Apôtre avertit l'Église de prier pour les rois et les grands du monde, « afin, dit-il, que nous menions une vie tranquille, en toute « piété et charité. Et Jérémie en prédisant à l'ancien peuple de «Dieu sa captivité, en lui commandant de sa part d'aller en « Babylone, sans résister, afin de lui donner cette preuve de « sa patience, l'avertit aussi de prier pour cette ville, parce « que, dit-il, vous trouverez votre paix dans la sienne, c'est« à-dire une paix temporelle qui est commune aux bons et <«< aux méchants (2). » Le christianisme ne songeait donc pas alors à gouverner la terre, mais seulement à y vivre

(1) Liv. XIV, chap. xxvIII. (2) Liv. XIX, chap. xxvI.

tranquille et à partager la paix des gentils et des infidèles.

De ce mépris un peu forcé pour l'empire de la terre, le christianisme passa successivement à la dictature sous Grégoire VII, et à l'insurrection par Luther. La papauté fit mieux que d'écrire des théories, elle gouverna avec autorité. La réforme s'annonça aussi par des résultats positifs, mais elle devait nécessairement unir la pensée à l'action, et communiquer aux intelligences un ébranlement fécond. C'est ainsi qu'Aristote, dont la philosophie s'était incorporée avec la discipline du moyen âge, dont les uns disaient que sans lui la nature n'eût pas été complète, sur quoi d'autres ajoutaient qu'il était lui-même une seconde nature; qui eut le singulier privilége d'être commenté à la fois par le mahométisme et le christianisme, partagea le sort du moyen âge, et, comme lui, vit son autorité répudiée. Luther ne tarit pas en invectives sur Aristote, et il ne l'aime pas plus que le pape (1). Ramus, au nom même de la philosophie, rompt avec le péripatétisme.

(1) Plus tard, Luther se réconcilia avec Aristote. C'est ce qu'a fort bien établi un savant écrivain auquel on doit de remarquables travaux littéraires et philosophiques, M. Christian Bartholmèss. Voici comment il s'exprime sur ce changement de Luther: « ..... Dans la dernière partie de sa vie, lorsqu'il fallait édifier sur les ruines, et en même temps contenir l'illuminisme des anabaptistes, Luther modifia singulièrement son opinion, et prêta l'oreille aux représentations de Melanchton. Déjà il avait permis à son grammairien de citer Aristote avec éloge dans la Confession d'Augsbourg; plus tard, il lui accorda que « l'humaine raison, loin d'être « un feu follet, était une faculté extraordinaire; que, si elle ne compre<< nait pas d'une manière positive ce qu'est Dieu, elle concevait du moins « ce qu'il n'est pas; qu'enfin elle était quelque chose de surnaturel, un « soleil et une divinité placés dans notre existence pour tout dominer, et « plutôt fortifiés qu'affaiblis depuis la chute d'Adam. » De proche en proche, Melanchton l'amena à convenir qu'il s'agissait non pas de repousser la philosophie même, mais de la purger des rêveries absurdes de certains philosophes, nugas philosophorum. Luther finit par regarder Aristote comme le plus pénétrant des hommes, acutissimum hominem, et son Éthique comme un de ses meilleurs ouvrages. » (Jordano Bruno, tom. I, pag. 150, 151.) (Note de la 5° édition.)

Le mouvement est général pour réclamer la liberté de conscience et de pensée.

C'est alors que le catholicisme et la réforme se disputent à l'envi l'esprit et les textes du christianisme, et tour à tour s'autorisent de Dieu, les uns pour garder le pouvoir, les autres pour conquérir l'indépendance. L'Espagne, que nous n'avons pas encore nommée dans cette série de révolutions et de théories, cette péninsule, si fière et si poétique dans ses superstitions naïves, qui semble mettre sa gloire à rester volontairement immobile sous le sceptre du catholicisme et d'une légalité dont elle doit les origines aux barbares et aux Romains; l'Espagne produit alors des jurisconsultes et des savants qui tracent la théorie du droit divin, et s'efforcent d'opposer une digue aux innovations des réformés. Suares compose son traité De Legibus et Deo legislatore. Soto écrit un livre De Justitia et Jure. Mariana, de la compagnie de Jésus, dédie son traité De Rege et Regis Institutione à Philippe III, roi d'Espagne (1). Dans le sixième chapitre du premier livre, Mariana traite cette question: an tyrannum opprimere fas sit? Il met en scène Jacques Clément, le montre frappant Henri III, et son récit dramatique implique une approbation véritable. Mais, ajoute-t-il, cette action a suscité une vive controverse; on a prétendu qu'il n'était pas permis. de tuer un roi. Ici, énumération des raisons qui appuient cette opinion. Sic disputant qui tyranni partes tuentur. Mais on peut leur opposer d'autres raisons aussi nombreuses et aussi fortes. Populi patroni non pauciora neque minora præsidia habent. Alors, Mariana établit qu'une fois bien constaté qu'un homme est un tyran, il est parfaitement licite de le tuer. La difficulté, dit-il, n'est pas de savoir s'il faut tuer un tyran, mais bien de constater si le prince oppresseur est véritablement un tyran, parce qu'il ne faudrait pas le tuer légèrement. Ita facti quæstio in controversia est, quis me=

1) L'édition que nous avons sous les yeux est la seconde, de 1611.

rito tyrannus habeatur : juris in aperto fus forc tyrannum perimere. Aussi Mariana estime que le meilleur moyen pour le peuple qui voudra se faire justice sera de se réunir en assemblée, en convention, pour délibérer sur le parti à prendre, et que ses résolutions doivent avoir force de lois. « Atque ea «<expedita maxime et tuta via est, si publici conventus facul<< tas detur communi consensu statuendum sit quid delibe<«< rare : fixum ratumque habere quod communi sententia ste«terit. » Mais, se demande le théoricien, s'il est impossible d'assembler une convention nationale, et si l'État est trahi, au moment de périr, quel moyen prendre? Mariana se fait effort, mais enfin, conclut-il, je crois que celui qui courra sus au tyran fera bien. Haud quaquam inique eum fecisse existimabo. Ainsi voilà un écrivain de la société de Jésus coupable non d'un régicide, mais, ce qui est plus triste encore. de la théorie du régicide, s'attachant à établir par voie de raisonnement la légitimité philosophique d'un acte criminel auquel des peuples ont été emportés par une détestable fatalité. Saint-Just était préférable quand il disait : « Il ne s'agit pas « de juger Louis XVI, il s'agit de le tuer. » Mais Mariana, avec son apologie sentencieuse et morale, cherchant les raisons philosophiques du régicide pour les cas futurs et possibles. et faisant d'avance comme provision de sophismes, voilà la plus profonde aberration de la pensée humaine.

De son côté la réforme composait le livre de Hubert Languet, Vindiciae contra tyrannos, sive de principis in populum populique in principem legitima Potestate (1). Hubert Languet était un gentilhomme bourguignon dont le nom se trouva mêlé à beaucoup d'affaires du seizième siècle : questions littéraires, questions politiques, controverses religieuses. Il fut l'élève et l'ami de Melanchton, et représenta la cour électorale de Saxe auprès de Charles IX. Destinée

(1) Voyez Bayle, Dissertation concernant le livre de Junius Brutus, imprimé l'an 1519.

qui ne laisse pas d'ètre singulière pour un gentilhomme français. Languet écrivit les Vindiciae contra tyrannos deux ans après la Saint-Barthélemy, et mourut sans avoir publié son livre. Ce fut Duplessis-Mornay qui l'édita sans en faire connaître l'auteur, et en y mettant une préface sous un nom supposé (1).

L'Angleterre paraît à son tour dans cette polémique, où le christianisme joue un si grand rôle. Ce furent des hommes qui passaient leur vie à chercher le Seigneur qui envoyèrent Charles fer à l'échafaud. Milton, la Bible à la main, commente le meurtre du roi. Saumaise le maudit en s'appuyant sur d'autres textes. Misère de l'esprit humain, s'acharnant à une lettre étroite et se montrant incapable de saisir la vérité générale du christianisme. Cinquante ans après, Sidney payait de son sang les arrhes de l'irrévocable révolution qui devait précipiter les Stuarts. Il avait eu fort à cœur de prouver que la liberté et la république étaient de droit divin, que Dieu les avait établies chez son peuple modèle, et que la constitution de la Judée était aristocraticodémocratique. Déjà Calvin avait entamé cette démonstration : << Mais, dit Sidney, je puis dire hardiment que Calvin n'est « pas le seul qui ait été de cette opinion. Josèphe, Philon «<et Maimonides, aussi bien que les meilleurs auteurs juifs « et chrétiens, ont dit la même chose longtemps avant lui. « Josèphe dit positivement que le premier crime de Saül fut «d'avoir aboli le gouvernement aristocratique; ce que ce prince ne pouvait pas faire, si ce gouvernement n'avait été « établi parmi les Israélites avant lui. Philon attribue l'institution du gouvernement monarchique, tel qu'il était en « Israel, non à Dieu ou à sa parole, mais à un peuple insensé

(1) On peut consulter aujourd'hui une intéressante biographie d'lfubert Languet, que vient de publier un ancien magistrat, M. Henri Che-vreul, et qu'il a eu l'avantage d'écrire sur des documents authentiques et des papiers de famille. (Note de la 5e édition.)

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