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<< potentiam habet rerum existentiam tempore determinandi, « easque sub duratione concipiendi. » On dirait que le philosophe cherche à décliner toute responsabilité en déclarant qu'il n'a pas d'autre moyen de reconnaître l'âme que la présence du corps. Nous ne pouvons, dit-il, nous rappeler d'avoir existé avant notre corps, puisque sans lui nous ne pouvions avoir de relation avec le temps et l'étendue; et cependant nous sentons et nous éprouvons que nous sommes immortels. <<< At nihilominus sentimus experimurque nos æternos esse,» Et voilà toute l'immortalité que le panthéisme peut nous donner; enfermé dans ce monde, puisqu'il s'est interdit à luimême de le transgresser, il ne peut livrer à l'homme qu'une série d'existences et de transformations terrestres, ou un néant irrévocable.

Du haut de cette métaphysique, comme d'un roc inaccessible, Spinosa contemple cette histoire humaine qui s'agite dans l'espace et dans le temps. Libre de toute autorité, affranchi de la synagogue, sans engagement avec le christianisme, il attribue tout à la raison, révélations, prophéties et religions. « Cum itaque mens nostra ex hoc solo, quod Dei « naturam objective in se continet, et de eadem participat, potentiam habeat ad formandam quasdam notiones rerum « naturam explicantes, et vitæ usum docentes; merito mentis « naturam, quatenus talis concipitur, primam divinæ revela«tionis causam statuere possumus..... » Toutefois Spinosa reconnaît la révélation directe de Dieu à Moïse; mais, quant aux autres prophètes, Dieu ne leur a parlé que par l'intelligence; c'est en ce sens qu'ils furent animés de l'esprit de Dieu; sages et purs, orateurs et poëtes, ils durent leurs prophéties aux éclairs et aux élans de l'imagination orientale.

La loi trouvera de même son explication dans la nature des choses divine et humaine, elle dépendra ou des conditions nécessaires de Dieu, ou des conventions de l'homme; humaine, elle s'occupera de régler la sécurité de la vie et des sociétés « Ad tutandam vitam rempublicam tantum in

<«< servit ; » divine, elle se proposera la connaissance et l'amour de Dieu « Solum summum bonum, hoc est Dei veram <«< cognitionem et amorem spectat. » Or, c'est le caractère de cette loi divine d'être universelle, de n'avoir pas besoin de la foi de l'histoire, « non exigere fidem historiarum; » de n'avoir pas besoin non plus de cérémonies extérieures, de faire consister enfin le souverain bien dans la connaissance de Dieu, et la véritable misère dans la servitude de la chair; voilà qui est humain, naturel, universel. Sortez de ces préceptes inculqués par la raison à Dieu même, vous tombez dans les choses éphémères, dans les institutions et les formes historiques, dans les intérêts politiques, dans les différences et les fantaisies du génie des peuples. Les lois et les cérémonies de la république hébraïque n'appartiennent donc pas à l'ordre divin, et n'ont pas plus d'autorité que les histoires des autres peuples.

Le philosophe rencontre les miracles sur sa route; il en nie le caractère surnaturel; rien ne saurait arriver contre les lois de la nature, qui garde un ordre éternel et immuable ; les miracles sont inutiles pour prouver la Providence divine, qu'atteste bien mieux l'inaltérable régularité de l'univers. Ici le théologien rationaliste s'attache à restituer à l'ordre naturel certains faits tenus pour miracles. Dans l'interprétation des Écritures, il conseille de porter le même esprit que dans l'observation de la nature, c'est-à-dire de conclure rationnellement, en partant de quelques principes fixes et arrêtés. Il examine l'authenticité du Pentateuque, des livres de Josué, des Juges, de Ruth, de Samuel et des Rois. Après avoir soumis à la critique les autres parties de l'antique Écriture, il aborde le Nouveau Testament, montre les apôtres sous le double aspect de prophètes et de docteurs, et se servant plus des démonstrations de la raison que des inspirations prophétiques. Prédicateurs de la doctrine du Christ, ils n'eurent pas besoin d'une lumière surnaturelle, « ad religionem quam << antea signis confirmaverant, communi hominum captui ita

<< accommodandam, ut facile ab unoquoque ex animo acci<< peretur. »

Nous touchons enfin à la distinction profonde entre la raison et la foi que Descartes avait posée, mais qu'il n'avait pas appliquée avec une conséquence si claire et si directe. La foi consiste, aux yeux de Spinosa, dans des croyances sans lesquelles on n'obéirait pas à Dieu, et qui impliquent en même temps l'obéissance à Dieu et une créance entière à elles-mêmes « Nempe quod nihil aliud sit (fides), quam de <«< Deo talia sentire, quibus ignoratis tollitur erga Deum obe« dientia, et, hac obedientia posita, necessario ponuntur. »> Ainsi on croit parce qu'on obéit, et l'on obéit parce qu'on croit; or la foi se témoigne par les œuvres, « obedientia enim «posita, fides necessario ponitur, et fides absque operibus «< mortua est. » La foi ne se propose donc autre chose que l'obéissance et la piété. Qu'a cela de commun avec la philosophie, qui n'a d'autre but que la vérité, qui est la pensée elle-mème relevant d'elle seule? Elle ne croit pas, mais elle cherche, examine; elle juge, et, tout en respectant la foi, elle n'a rien de commun avec ses vertus pratiques. « De veritate « autem et certitudine rerum, quæ solius sunt speculationis, <«< nullus spiritus testimonium dat, præter rationem quæ sola, « ut jam ostendimus, veritatis regnum sibi vindicavit. » Il faut donc séparer la philosophie de la théologie; chacune a son royaume à part; elles ne sauraient se confondre que pour se troubler et se nuire.

Spinosa s'est chargé lui-même de faire de son idéalisme une application spéciale au caractère surnaturel du christianisme et de son fondateur. Il n'a pas hésité à s'en ouvrir à un de ses amis qui l'avait pressé sur ce point, en lui mandant qu'on l'accusait de dissimuler sa pensée. « Denique,

répond Spinosa, ut de tertio etiam capite mentem meam « clarius aperiam, dico ad salutem non esse omnino necesse << Christum secundum carnem noscere; sed de æterno illo <« filio Dei, hoc est, Dei æterna sapientia, quæ sese in omni

<«<bus rebus, et maxime in mente humana, et omnium maxime <«< in Christo Jesu manifestavit, longe aliter sentiendum. Nam « nemo absque hac ad statum beatitudinis potest pervenire. << utpote quæ sola docet, quid verum et falsum, bonum et « malum sit. Et quia, uti dixi, hæc sapientia per Jesum Chris<< tum maxime manifestata fuit, ideo ipsius discipuli eamdem, << quatenus ab ipso ipsis fuit revelata, prædicaverunt, sese« que spiritu illo Christi supra reliquos gloriari posse osten<< derunt. Cæterum quod quædam Ecclesiæ his addunt, quod << Deus naturam humanam assumpserit, monui expresse me << quid dicant nescire; imo, ut verum fatear, non minus ab« surde mihi loqui videntur quam si quis mihi diceret quod << circulus naturam quadrati induerit (1). » Aux yeux de Spinosa, le Christ a représenté plus puissamment qu'aucun autre la sagesse divine et éternelle qui l'avait choisi pour sa manifestation la plus éclatante; voilà pourquoi ses disciples, qui reçurent de lui la révélation et l'enseignement de cette sagesse, ont pu se glorifier d'avoir en eux plus que les autres hommes l'esprit du Christ; mais, quand certaines églises ajoutent que Dieu a revêtu la forme humaine, le philosophe ne sait plus ce qu'elles veulent dire, et elles ne lui paraissent pas moins absurdes que si elles prêchaient qu'un cercle est un carré. Dans une autre lettre qu'il écrit au même Henri › Oldenburg, il dit que, pour exprimer plus énergiquement la manifestation de Dieu dans le Christ, Jean s'est servi de cette expression orientale : Le Verbe s'est fait chair: « Deus sese << maxime in Christo manifestavit, quod Joannes, ut efficacius <«<'exprimeret, dixit Verbum factum esse carnem (2). »

Après avoir défini l'empire de la raison et de la pensée, Spinosa détermine pour ce qui vit dans la nature le droit par la puissance. L'homme, l'animal, se développent suivant leurs facultés, leurs modes, leurs aptitudes et leurs proprié

(1) Epist. xxI.
(2) Epist. xxI.

tés tout ce qui existe a le droit de s'étendre et de se manifester jusqu'aux dernières limites de sa virtualité. « Jus « uniuscujusque eo usque se extendere quo usque ejus de« terminata potentia se extendit. » Et cette définition du droit par la puissance ne convient pas seulement à l'homme raisonnable. «Nec hic ullam agnoscimus differentiam inter « homines et reliqua naturæ individua, neque inter homines << ratione præditos et inter alios qui veram rationem igno«rant, neque inter fatuos, delirantes et sanos. » Aussi le droit naturel pour chaque homme ne se détermine pas par la raison, mais par les passions et la force. « Jus itaque na«turale uniuscujusque hominis non sana ratione sed cupidi<«<tate et potentia determinatur. » Ne vous en étonnez pas, car la nature ne se règle pas seulement sur les lois de la raison humaine, mais sur les conditions infinies de l'ordre éternel dont l'homme n'est qu'une faible partie, ordre éternel d'où découlent pour chaque individu les modes de son existence. Et cependant l'homme veut tout ramener à sa mesure et à sa convenance; cette prétention ridicule est la source de toutes ses erreurs; il se trompe, parce qu'il ne sait pas tout embrasser. « Quidquid ergo nobis in natura ri«diculum, absurdum aut malum videtur, id inde venit, quod «res tantum ex parte novimus, totiusque naturæ ordinem et « cohærentiam maxima ex parte ignoramus, et quod omnia <«< ex usu nostræ rationis dirigi volumus, cum tamen id, quod << ratio malum esse dictat, non malum sit respectu ordinis « et legum universæ naturæ, sed tantum solius nostræ naturæ << legum respectu. >>

Est-il assez clair que Spinosa noie l'individualité dans son panthéisme? L'homme à ses yeux ne puise sa raison que dans le tout c'est une partie subordonnée de l'harmonie générale. Mais où donc est la personnalité humaine? où donc est la raison propre de l'homme? Attendons un moment, et nous verrons Kant et Fichte la rétablir au premier rang.

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