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livres, et il a mieux valu que ce livre seul occupât des têtes si différemment organisées que si chaque peuple avait eu pour lui son livre élémentaire, particulier. Mais le genre humain ne doit-il jamais parvenir au plus haut degré de lumière et de pureté? Jamais, ô blasphème! Ici Lessing, dans une sainte foi pour les progrès de l'intelligence humaine, s'écrie : <«< Il viendra certainement le jour d'un nouvel Évangile éter« nel, jour qui nous est promis même dans les livres élémen<< taires de la nouvelle alliance. » Il pense que certains rêveurs des treizième et quatorzième siècles avaient peut-être, quand ils annonçaient leur troisième âge du monde, saisi une lueur de ce nouvel Évangile; mais leur tort fut d'aller trop vite, et voilà ce qui en fit des rêveurs. Les rêveurs jettent souvent un coup d'œil juste sur l'avenir; mais ils ne savent pas attendre, et ils veulent réaliser dans l'instant de leur existence les choses pour lesquelles la nature met des milliers d'années. « Marche à pas insensibles, dit éloquem«ment Lessing, providence éternelle; laisse-moi seulement « ne pas désespérer de toi, à cause de l'insensibilité de ton << mouvement; laisse-moi ne pas désespérer de toi, alors « même que ta marche me semblerait rétrograde.

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« Tu as tant de choses à emporter après toi sur ton chemin « éternel, tant de mouvements obliques à exécuter! » Jamais on ne donna une explication plus profonde de ces lenteurs de la Providence qui déconcertent parfois l'impatience et la faiblesse humaines.

Maintenant, après Spinosa, qui s'était livré aux plus hautes inspirations de l'idéalisme, après la philosophie plus étendue qu'originale, plus historique que nouvelle, de Leibnitz, voici venir un métaphysicien qui critiquera la métaphysique, qui, se retournant sur elle, lui demandera ses titres, vérifiera ses conditions, jugera ses lois. Il n'a pas l'inspiration sur le front, il ne dogmatisera pas, mais pour lui la raison même de l'homme n'aura pas de secrets si profonds, de replis si cachés, de nuances si subtiles, que son œil n'y plonge. Il

s'établit sur le théâtre même de l'esprit humain, il en sonde la solidité, il en fouille tous les recoins, il en dresse la statistique; et, dans cette anatomie de l'intelligence, vous saisirez peu de moments où son regard se fatigue et s'éblouisse. Kant, en faisant de la raison même le sujet de ses observations, la trouve produisant nécessairement la philosophie et les mathématiques; après avoir posé l'existence de ces deux sciences rationnelles, il observe que nos connaissances sont de deux sortes, les premières rationnelles, synthétiques, a priori, générales et nécessaires; les secondes analytiques, a posteriori, et contingentes. Les premières constituent les formes de notre entendement; elles impriment leurs lois aux objets extérieurs; elles font de l'homme le criterium de la nature; mais ce magnifique attribut se compense par l'irréparable impuissance à démontrer la réalité même des objets qui ne peuvent être pour nous que des modes de nous-mêmes. Le temps et l'espace n'existent qu'en nous, et ne sont que les formes de notre sensibilité. Dieu, la substantialité et l'immortalité de l'âme, sa liberté rationnelle, échappent à l'affirmation dogmatique et aux théorèmes de la raison.

Voilà donc l'ontologie et la morale rendues impossibles. Après cette déclaration terrible pour l'homme, Kant prit un parti original avec audace et candeur. Sans rien rétracter de ses observations sur la raison pure et spéculative, il établit qu'il y avait une raison pratique qui se distinguait de la raison spéculative, avait ses lois à elle et menait irrésistiblement l'homme, sinon à la démonstration apodictique de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'âme et de la liberté, du moins à leur foi indestructible. Alors, il tenta de construire la science morale pour elle-même, en lui donnant une existence indépendante de la raison pure. Or, la raison pratique lui livre une loi réelle, objective, à laquelle il ne peut pas ne pas croire, et cette loi, il la formule ainsi : Agis de telle sorte que les maximes de ta volonté puissent avoir la force d'un principe de législation générale. Ainsi, le principe que

doit suivre notre raison dans la conduite de la vie est d'élever l'individualité de notre volonté à la généralité d'une loi universelle et objective, loi que l'homme sans doute ne connaît que par lui-même, mais qui se sépare de son individualité pour revêtir le caractère de la généralité (1).

La loi de l'homme moral trouvée, que faut-il pour qu'on puisse lui obéir? il faut qu'on puisse lui désobéir, c'est-àdire qu'il faut être libre, car il n'y a pas d'obéissance possible à une loi, si les sujets n'ont en même temps la faculté de ne pas la suivre, de délibérer et d'opter. Alors, aux yeux de Kant paraît la liberté comme une conséquence inévitable, un postulat nécessaire de la loi posée. L'homme est obligé, donc il est libre; voilà en deux mots le fondement de la raison pratique. Le procédé de Kant a été de voir d'abord la loi, puis de conclure pour la possibilité de son exécution à la liberté. Il amène la liberté par la logique.

J'ai tracé ailleurs (2) la série des déductions morales et juridiques que Kant a tirées de son système; je n'y reviendrai pas; mais, avant de passer à l'idéalisme de Fichte, il faut remarquer la direction excellente que le kantisme sut imprimer aux esprits. Le philosophe de Koenisberg, arrivé à la fin des démonstrations de la raison pratique, se trouve d'accord avec le christianisme, et il proclame avec joie cette harmonie de sa philosophie avec la morale de l'Évangile. Il a déposé, dans un autre ouvrage, la Religion d'accord avec la raison, sa pensée intime sur le christianisme. Il y reconnaît que le bien et le mal se partagent la terre, que l'homme doit porter toute l'énergie de sa volonté du côté du bien, pour lui assurer sur

(1) Ici j'aurais dû signaler les dangers de cette distinction entre la raison spéculative et la raison pratique, ainsi que les objections sérieuses qu'elle soulève, puisqu'elle ne va à rien moins qu'à détruire l'unité de la raison humaine. En s'armant de la métaphysique de Kant, le scepticisme en détruit la morale. (Note de la 3e édition.)

(2) Introduction générale à l'Histoire du Droit, chap. xvi. Kant considéré sous les rapports moraux et juridiques.

son ennemi une prédominance invincible. Or, il s'est rencontré que le Christ a eu plus que tout autre le sentiment profond de la moralité humaine, et a servi plus puissamment au triomphe du bien sur le mal. Donc, le christianisme est éminemment moral et conforme à la raison. Kant se montre préoccupé comme Locke du besoin de ramener la religion à l'ordre rationnel. Il aimait encore à causer de la révolution française. Cet événement, qui était venu troubler la pensée allemande au milieu de ses spéculations et lui avait fourni un autre aliment que des théories abstraites, s'était concilié l'intérêt affectueux du philosophe. Eh! comment ce noble enfant de Luther, cet interprète si pur de la raison et de la liberté de l'individu, n'eût-il pas honoré de son suffrage l'émancipation de tout un peuple qui revendiquait les droits de l'humanité avec une foi si énergique dans la puissance de l'homme (1)?

L'idéalisme, ce principe indestructible de toute philosophie, venait d'être affermi par la sévérité même avec laquelle Kant avait défini ses conditions et sa possibilité. Critique et circonspect, il avait réformé la philosophie et l'avait relevée à la fois de la psychologie incomplète de Locke, du scepticisme de Hume et de l'autorité théologique. Sur cette base tellement solide qu'elle est encore aujourd'hui le théâtre où s'agite la métaphysique, un disciple de Kant se proposa d'élever une variation féconde du système de son maître, qui en serait à la fois la conséquence et la solution. Jean Gottlieb Fichte ne se contentera pas de cet idéalisme critique ; il voudra, après l'avoir traversé, revenir à créer Dieu, l'homme et le monde au creuset de ses abstractions ardentes.

Mettons la main incontinent sur la face morale du nouveau système. Le reste en deviendra plus sensible et plus clair.

(1) Mais qu'aurait-il dit, au spectacle du socialisme voulant écraser le (Note de la 3e édition.)

droit et la liberté?

Kant avait dit : L'homme est obligé par une loi morale; donc il est libre. Fichte brise cette logique; il ne veut pas de ce procédé artificiel; mais, s'enfermant en lui-même, se plongeant dans une contemplation infinie de son individualité, il sort de ce monologue pour se poser lui-même et dire Je suis libre. Ce n'est plus une conséquence, c'est un principe; plus un raisonnement, c'est un cri; elle est reconnue et saluée comme reine, la liberté humaine! Elle est incréée; qu'elle s'enracine et porte des fruits toujours plus féconds: homme, sois libre, reste libre, deviens de plus en plus libre; voilà la morale.

Moi, moi, dis-je, je me pose et je me constitue; je me développe, mais je me heurte. Contre quoi? quel sera le premier caractère que j'assignerai à l'obstacle? Évidemment ce sera de n'ètre pas moi. Il est hors de moi, et non moi. Il me limite quand je veux me développer; il me repousse quand je veux m'étendre. Dans ce choc même, je le signale et je le crée; car, s'il n'y avait pas de moi, où serait le non-moi? Il ressort donc du moi; même en lui résistant, il est sa créature. Donc, le monde, c'est moi.

Qu'est-ce que Dieu? Mais apparemment Dieu n'existe pour moi que parce que j'y pense. Je le construis moi-même comme l'idée la plus haute de l'ordre moral du monde. Hors de moi, il n'est pas; il est en moi; Dieu est la création sublime de l'homme, et l'homme doit travailler à ressembler à ce Dieu qu'il fait lui-même, qui est le résultat de sa conscience et de sa moralité; donc Dieu, c'est moi.

Je règne donc sur tout ce qui est; j'en suis le principe, la source, le centre; je suis l'être lui-même. Je suis cause indépendante, créatrice, et libre.

La liberté sort donc des entrailles mêmes du moi; rationnellement nécessaire, elle est son but à elle-même : l'homme n'est pas libre pour être moral, mais il est moral parce qu'il est libre. Le caractère de l'être rationnel est dans l'activité qui part d'elle-même pour y revenir, et se détermine dans la

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