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duplicité mème de cet acte. Un être rationnel fini ne peut donc se poser lui-même sans s'attribuer une activité libre. Mais, en se posant ainsi libre et actif, il détermine hors de lui un monde sensible au partage duquel il est obligé d'admettre d'autres êtres rationnels, finis comme lui; il a rencontré des semblables, des êtres vivants aux mêmes conditions que lui, le limitant comme il les limite; de ce choc jaillit le droit. En effet, l'être rationnel ne peut se reconnaître comme agissant, sans un corps qui le détermine; il ne peut s'attribuer un corps, sans se reconnaître soumis à l'influence d'une personne indépendante de lui, semblable à lui : cela posé, le droit devient possible et applicable; le droit consiste tout entier dans cette relation des êtres libres, rationnels et finis.

La doctrine du droit a pour premier principe que chaque être libre doit se faire une loi de limiter sa propre liberté par la reconnaissance de la liberté des autres personnes. Il n'y a pas de droit absolu en ce sens qu'on ne peut concevoir le droit que comme une relation, une borne. Transgressez les limites tracées par la nature même des individus semblables, il n'y a plus de droit; l'injustice (Unrecht) paraît. Cette contradiction du droit veut être redressée; de là sort la légitimité de la résistance et de la contrainte. Les droits réciproques des hommes entre eux dans le domaine des idées naturelles reposent sur une fidélité et une confiance mutuelles. L'homme doit apporter autant de soin à ne pas violer le droit d'autrui qu'à ne pas laisser violer le sien propre. De ce double devoir dérivent le droit de défense, et le principe rationnel des procédés énergiques et violents.

Tous ces droits individuels, juxtaposés les uns à côté des autres, ont besoin de se rallier et de se confondre dans une expression générale qui sache à la fois les coordonner et les défendre. De l'homme, le philosophe passe à l'État. Le droit politique ne se proposera pas autre chose que de trouver une volonté dans laquelle la volonté individuelle et la volonté

générale seront synthétiquement réunies. Einen Willen zu finden, in welchem Privatwille und gemeinsamer synthetisch vereinigt sey (1). Ainsi Fichte, en partant du sentiment profond de l'individualité, aboutit aux mêmes résultats politiques que Rousseau, dont le génie et les maximes ont exercé sur lui une incontestable influence.

Mais, au moment où Fichte fait entrer l'homme dans la so-ciété, examinons un peu dans quel état cet homme est sorti des mains du philosophe. Un principe unique l'anime et le constitue, sa liberté propre. Il n'a qu'un précepte et un devoir, de la maintenir, de la défendre, de l'agrandir. L'homme de Fichte est un immense égoïsme qui rapporte tout à lui, qui n'a d'autre loi et d'autre jouissance que lui-même; et ici ce n'est pas une conséquence implicite que je déduis; le logicien l'a expressément tirée. « Si la morale, dit« il, veut que nous aimions le devoir pour lui-même, la poli«tique veut que l'individu n'ait pas d'autre but que lui, la << sûreté de sa personne et de sa propriété. L'État peut sans << scrupule adopter cette maxime: Aime-toi par-dessus tou« tes choses, et tes concitoyens pour toi-même (2). » Mais Fichte ne remarque point qu'il n'a pas assez de ce principe de liberté pour pouvoir légitimement rendre l'homme social. Qù donc est le reste de la nature humaine? où les besoins de l'intelligence? où les affections de l'âme? Le philosophe met une épée aux mains de l'homme qu'il veut faire social, et il le condamne vis-à-vis de ses semblables à une perpétuelle défense, à des agressions fréquentes.

Ce n'est pas tout. Si Fichte, à force de vouloir rendre l'homme indépendant et libre, mutile sa nature, voilà que, dans la même préoccupation, il arrivera au despotisme par la liberté. Effectivement, toutes les volontés individuelles seront poussées dans le gouffre de la volonté générale, sans

(1) Naturrecht, page 180, tome I. Iéna, 1796.
(2) Ibidem, tome II, pag. 114. Iéna, 1797.

restrictions, sans garanties. Si Hobbes aboutit au despotisme par la haine de l'homme et de la liberté, si Spinosa par la contemplation de Dieu et l'oubli de nous-mêmes, Fichte efface l'individualité à force d'avoir voulu l'insurger et l'exalter.

Nous possédons maintenant les raisons premières et les grands résultats de sa philosophie. Si nous allons aux idées et aux théories de détail qu'il a semées dans sa politique, nous y verrons le travail d'un esprit vigoureux, plein de ressources et d'audace, fertile en vues ingénieuses, mais se débattant souvent dans le vague, abstrait quand il faudrait être positif, chimérique et substituant à l'expérience de l'histoire les caprices du paradoxe. Ce devait être au surplus la destinée d'un idéalisme aussi solitaire et aussi subtil de rester sans yeux et sans oreilles devant le spectacle du monde et de l'histoire, de ne rien admettre au delà des abstractions de la conscience, et de remplacer l'intelligence des choses par une vertu stoïque et un peu bornée.

Dans l'État tel que Fichte l'a conçu, le pouvoir exécutif est omnipotent; il est investi de toute l'activité sociale; cependant il doit être responsable, et le philosophe imagine un pouvoir particulier, un éphorat, réminiscence de Lacédémone, dont les membres, sans être investis du pouvoir exécutif, surveilleront les gouvernants, et, s'il y a lieu, les mettront en accusation devant le peuple. La communauté politique aura le droit, dans des cas donnés, de se réunir en convention pour condamner ou pour absoudre. Fichte écrivait trois. ans après le jugement de Louis XVI. Si nous passons aux rapports civils, le philosophe reconnaît la sainteté du mariage; mais comment sortira-t-il d'un embarras où l'ont jeté ses affirmations précédentes? Il a dit à l'homme d'être égoïste; il lui en a fait un devoir. Comment donc expliquer l'amour, cet irrécusable lien de l'homme et de la femme? Fichte en prend son parti; il déclare que dans la femme seule existe l'amour, le plus noble de tous les instincts et des attributs de notre

nature. Par la femme seule l'amour vient en ce monde et parmi les hommes (1). Mais au moins le père aime son enfant? Fichte répond que le père n'aime pas directement ses enfants, qu'il ne les aime que par la tendresse qu'il a pour la femme; apparemment en vertu de lui-même il ne les aimerait pas ! Rien n'est plus humiliant pour l'esprit humain que les dernières conséquences d'un principe faux.

Mais, si nous sortons de ces détails si étrangement sophistiques, nous devons reconnaître que le droit naturel de Fichte est déduit avec une dialectique pleine de verve et de vigueur, animé d'une chaleur secrète et continue, enchaînant les formules et les conséquences, marchant au but, toujours logique, quelquefois éloquent.

L'âme du philosophe d'Iéna fut ébranlée profondément par la révolution française. Il l'aima, la défendit et l'expli

à ses compatriotes comme il sentait la liberté philosophique par lui-même, la liberté politique dans les livres de Rousseau, il applaudit au mouvement d'un peuple qui voulait faire de la volonté générale la législation constituante de la société, et qui, se posant comme libre, défendait cette liberté avec une énergie aussi unanime que sa volonté. Le christianisme occupa toujours sa pensée. Si par sa philosophie il a créé Dieu; si à ses yeux la raison est absolue, indépendante et souveraine, il ne peut méconnaître que ce Dieu abstrait n'est pas à l'usage de l'humanité : il confesse la réalité de la religion, il la considère comme un fruit moral du cœur, une expansion du sentiment. La foi n'est pas obligatoire ; l'homme doit agir comme s'il croyait; mais il n'est pas obligé de croire (2).

(1) Naturrecht, tome II, pag. 167.

(2) Fichte, ayant pour collaborateurs Niethammer et Forberg, a traité les principales questions de la philosophie religieuse et morale dans un recuci intitulé philosophisches Journal einer Gesellschaft drutscher Gelehrten. Nous avons surtout remarqué deux morceaux, l'un sur le fondement de notre foi dans l'action de la Providence divine sur le monde,

Fichte avait commencé sa vie par une indépendance rationnelle sans bornes; mais, vers la fin de ses jours, il se débattait dans une sorte de mysticisme, rétractation sourde de sa création de Dieu. Son premier ouvrage fut une Critique des révélations, dont il trouvait la première cause dans la nature religieuse de l'homme. Le christianisme fut toujours à ses yeux un évangile de liberté et d'égalité. Il est, à ce titre, un produit de la raison et de l'intelligence. Le fondateur du christianisme, le Christ, fut un génie pratique, plein du sentiment moral et religieux, et qui sut le donner aux hommes. Mais le philosophe n'en affirme pas moins que l'homme doit être sa règle à lui-même, son propre Christ, et trouver son Evangile dans l'exaltation de sa propre vertu : contradiction manifeste avec la morale qui a dicté l'Imitation de Jésus-Christ, livre où on appelle les faibles et les forts à l'imitation patiente et progressive, tout à fait humaine et possible, de la vie du Sauveur, livre intime et admirable qui se proportionne à tous, à l'enfance comme à la maturité, à la simplicité aussi bien qu'au génie.

La philosophie n'a pas de disciple et d'interprète dont elle puisse plus se glorifier que du généreux Fichte. Soit que dès son enfance il montre déjà, comme Caton d'Utique, l'éner

l'autre sur l'esprit et la lettre dans la philosophie. Nous avons sous les yeux, dans cette analyse des principes de Fichte, son Droit naturel, son livre sur la Destination de l'homme, sa Doctrine de la science, la Biographie du Philosophe, que vient de publier son fils, J.-G. Fichtes Leben und litterarischer Briefwechse!, 1830. Nous avons aussi profité de l'article fort détaillé que M. de Raumer a écrit sur Fichte, dans son livre: Ueber die geschichtliche Entwickelung der Begriffe von Recht, Staat, und Politik. Le morceau qu'il a consacré à Fichte est le meilleur de tous. M. de Raumer, dans sa revue des publicistes, fait preuve d'exactitude, bien qu'il ne cite jamais les sources mêmes; mais on sent qu'il manque d'un but philosophique, et que son esprit n'a pas non plus toutes les qualités nécessaires à l'abstraction. C'est dans les sciences historiques que cet estimable écrivain a su prendre sa place. On lui doit la savante Histoire des Hohenstaufen.

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