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émane de la volonté générale, son application, c'est-à-dire la justice, doit sortir également de la raison nationale.

La distribution d'une bonne justice a deux conditions: la conscience et la logique.

La conscience, dans nos sociétés modernes, a été particulièrement satisfaite par l'institution du jury, dont l'origine. est germanique. La démonstration de ce point historique, que semblaient avoir épuisée quelques écrivains allemands et anglais, a été récemment résumée et ramenée à une solution philosophique par un jurisconsulte contemporain d'une façon très-remarquable (1). Voici la série de ses déductions. La distinction du fait et du droit est juste, mais elle n'explique pas assez profondément la nécessité du jury. La procédure criminelle doit être la conséquence naturelle de la pénalité même. Or, la peine a pour objet de faire disparaître le crime dans la conscience du coupable; en ce sens, le criminel a droit à la peine. Dès lors, il a le droit de coopérer luimême à la distribution de cette peine. Or, le jury fait pour lui et avec lui, pour ainsi dire, l'aveu qu'il ne ferait pas seul; non-seulement il prononce, mais il avoue pour le coupable; il est, pour ainsi dire, sa conscience réalisée et mise en dehors; en même temps, il est juge, et donne satisfaction aux principes mêmes du droit. C'est dans ce mélange de juridiction et d'aveu pour l'accusé que réside l'esprit du jury, et voilà pourquoi le jugement et la preuve ne sont pas séparés. Mais, c'est seulement depuis le christianisme que les coupables ont pu trouver des délégués, pour ainsi dire, et des tenants dans leurs juges. La juridiction des Grecs et des Romains n'a pas le moindre rapport avec le jury. Comment le jury eût-il existé chez les Grecs, qui ne connaissaient pas l'individualité de la conscience propre? Le dixaori chez eux n'était pas un homme privé. Le judex, chez les Romains,

(1) M. Gans. Voyez Beitrage zur Revision der preussischen Gesetzgebung; Berlin, 1830; Band. I, art. 6, die Richter als Geschworne.

servait seulement à séparer dans le jugement le particulier du général. Le jury ne pouvait être dans l'esprit des démocraties antiques, et il n'a commencé qu'avec les institutions germaniques. Il est parfaitement constitué en Angleterre ; dans les autres pays, le droit romain et le droit canonique ont empêché longtemps le développement de cette institution, qui admettait les membres de la société à partager avec l'État la distribution de la justice; et encore on peut trouver dans la torture même le besoin que sentait le législateur d'obtenir l'aveu de l'accusé pour confirmer l'équité de la sentence judiciaire.

A cette subtile et ingénieuse explication, nous ajouterons que l'institution du jury doit s'agrandir avec la conscience des droits et de la nature de l'homme. Le jury, c'est la liberté (1). Si nous pouvions en douter, on s'en convaincrait entièrement par la répugnance que cette institution a toujours inspirée aux partisans de l'ancien système judiciaire, qui se sont efforcés de la faire condamner au tribunal même de la raison. M. de Bonald demande quelque part où sont les pairs d'un assassin? Je lui répondrai que le juré est l'homme même, que la conscience est égale à la conscience, et que même le crime n'abolit pas cette fraternité.

L'école saint-simonienne, qui s'est avisée de condamner le jury, n'avait donc pas le mérite de la nouveauté quand elle a écrit ces lignes : « Le jury n'est-il pas une conséquence

(1) Je parle ici de la liberté modérée telle qu'elle se comporte dans une monarchie constitutionnelle. Meyer, dans l'Esprit des Institutions judiciaires, a remarqué avec raison que l'institution du jury, sous le rapport politique, n'est point dans les idées républicaines, mais qu'elle appartient à la monarchie limitée. « Tout jugement par jurés, ajoute-t-il, suppose une division de pouvoirs : dans une démocratie, le juge est l'homme du peuple comme les jurés; dans le despotisme, les jurés sont serviteurs aveugles du prince comme le juge; la séparation des pouvoirs n'existe pas. Dans une aristocratie, on ne peut admettre le peuple à une partie de l'autorité: ce n'est que dans une monarchic que le souverain peut reconnaître des droits à la nation. >> (Note de la 3e édition.)

« de la défiance inspirée soit par l'immoralité présumée de «la loi, soit par la crainte de la corruption, ou du moins de « l'ignorance dans la magistrature? On a voulu être jugé « par ses pairs, aussitôt qu'en morale, comme en politique, « on n'a plus reconnu de supérieurs (1). » Ces paroles sont sophistiques. L'égalité humaine ne supprime pas la supériorité morale, et la supériorité n'a pas de meilleur juge que le bon sens. Demandez à l'écrivain le plus ingénieux s'il répudie le verdict que douze de ses concitoyens auront prononcé dans leur conscience. Les délits politiques, qui touchent à tous les intérêts de la sociabilité, ne peuvent être réellement appréciés que par le jury. Les délits criminels sont encore plus sensibles et plus palpables au sens de tous (2).

Le progrès de l'institution sera de s'appliquer à un plus grand nombre de choses différentes, en allant toujours des matières les plus générales à celles qui le sont moins; ainsi la juridiction correctionnelle pourrait un jour être remise aux mains des jurés; l'analogie des droits et des intérêts dans les deux degrés de la justice criminelle doit amener ce résultat.

Le moyen qui facilitera l'application du jury aux autres matières sera la spécialité. Or, on ne remarque pas assez que nos tribunaux de commerce sont un véritable jury spécial;

(1) Doctrine de Saint-Simon, première année, 1829, page 220.

(2) Non-seulement le jury ne peut vraiment exister qu'avec la liberté modérée, mais il ne saurait servir les grands intérêts de la société qu'avec des mœurs publiques fortes et courageuses. Sans ces mœurs, l'institution, loin d'être l'expression d'une liberté sage, arrivera inévitablement à la trahir. Que le jury obéisse aux injonctions d'un pouvoir tyrannique ou qu'il cède à la violence des passions populaires, le résultat est le même, il n'y a plus de justice.

A l'appréciation du jury en lui-même, j'aurais dû ajouter la condition nécessaire d'une moralité sociale, énergique et persévérante. Théoriquement, l'institution a des raisons solides, mais il reste toujours cette question pratique si grave: Tel peuple est-il, par son caractère, au niveau de l'institution? (Note de la 3e édition.)

car la juridiction consulaire s'attache surtout à définir et à spécialiser l'espèce sur laquelle elle statue; elle donne à chaque fait particulier une solution particulière. Pour arriver plus sûrement à ce but, elle renvoie à un juge du fait, à un arbitre spécial, à un architecte, à un maçon, à un orfévre, le soin d'apprécier les difficultés que présente chaque cas industriel, spécialisant ainsi encore une fois une juridiction déjà spéciale. Elle n'applique la loi que selon l'équité. Qui empêcherait de renvoyer à un juge de droit l'application du principe juridique, et d'ériger tout à fait les tribunaux de commerce en jurys spéciaux? Pourquoi encore ne renverrait-on pas à des jurys les litiges relatifs aux brevets d'invention?

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C'est ainsi qu'on pénétrerait par ces dégagements successifs jusqu'à l'arche sainte, c'est-à-dire à la justice civile proprement dite. Quand les affaires politiques, criminelles, correctionnelles, commerciales, industrielles, seraient soumises au jury, il faudrait que les raisons qui excepteraient de cette juridiction les procès civils fussent irréfragables. Or, il n'y en a qu'une sérieuse la spécialité du sujet. Mais, si un charpentier est apte à préciser l'espèce dans un procès qui intervient sur la construction d'une maison entre l'entrepreneur et l'acquéreur, pourquoi un avocat ne serait-il pas un excellent juré spécial dans l'interprétation d'un contrat de vente, d'un bail, d'une donation, d'un testament? Les avocats seraient alternativement juges et plaideurs, et leurs connaissances spéciales deviendraient ainsi utiles à l'administration générale de la justice.

La logique, cette seconde condition d'une saine justice, a besoin de partir d'un point déterminé pour fournir sa course : livrez-lui un fait bien défini, elle en déduira des conséquences non-seulement rigoureuses, mais inévitablement justes. La jurisprudence est une chose de la raison, une science, un système, une géométrie, une logique. Ses conditions dérivent de sa nature. Voit-on des géomètres se cotiser pour la

solution d'un problème? L'unité est partout la loi de l'exercice de la raison.

Le juge du point de droit devra être unique. A cette condition, il est scientifiquement possible.

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Bentham s'est chargé de démontrer les avantages de l'unité du juge (1). Le juge unique est presque placé dans l'impossibilité de manquer à l'honneur et à la probité. Seul, en présence du public, il n'a d'autre appui, d'autre défense, que l'estime générale; il est vraiment responsable. Au contraire, les compagnies nombreuses, fortes de leur position sociale, au lieu d'être soumises à l'opinion publique, dans le sens où elles doivent l'être, se sentent jusqu'à un certain point en état de lui faire la loi. L'histoire des corps nombreux prouve deux choses leur indépendance de l'opinion et leur ascendant sur une partie plus ou moins grande du public. Le juge unique est attaché à la responsabilité de son jugement, d'une manière indissoluble. Dans les compagnies, les juges peuvent se renvoyer de l'un à l'autre la honte. d'un décret injuste, en sorte qu'il est le fait de tous et n'est celui de personne. Le juge unique doit donner un suffrage entier ou n'en donner aucun. Dans les compagnies, on peut prévariquer à demi sans se compromettre, et cela par la simple absence, dont il résulte qu'en paraissant ne donner aucun suffrage, on donne réellement la valeur d'un demi-suffrage à une mauvaise cause; car soustraire son vote au parti juste, c'est produire la moitié de l'effet qu'on eût produit en le donnant au parti injuste. Dans les compagnies, un des membres du corps, sous le nom de chef et de président, expédie à lui seul en réalité la majeure partie des causes dans le train des affaires communes. « Une série de juges, cinq, dix, << quinze, ne présente qu'une seule figure efficiente, avec « quatre, neuf ou quatorze zéros; et, dans ce cas, les zéros << diminuent la valeur de la figure; car le faux air de con

(1) De l'Organisation judiciaire et de la Codification.

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