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que, arrivé aux dernières angoisses du désespoir et du néant, il s'est réfugié tout à coup dans Dieu, et là seulement s'est trouvé à l'aise et à sa place. Quelle sentence accablante il prononce sur le catholicisme en se tournant vers le passé! Le protestantisme reçoit aussi sa leçon, et son incapacité pour l'organisation et le culte lui est démontrée. Je ne crains pas de considérer le Nouveau Christianisme comme laissant bien loin derrière lui la Profession de foi du vicaire savoyard, élan pathétique d'un déisme qui se cherche et ne sait où s'appuyer, destitué qu'il est de la connaissance profonde de l'homme et de l'histoire.

L'année même où il écrivit le Nouveau Christianisme, le 19 mai 1825, Saint-Simon mourut laissant imparfait un autre ouvrage. Depuis qu'il était entré si profondément dans la conception de Dieu et de la religion, il avait contracté un calme inaltérable, et se montrait plein de sécurité sur l'avenir de sa gloire, de ses idées et de la société. Une heure avant sa mort, maîtrisant la souffrance, ayant auprès de son lit le disciple fidèle qui lui ferma les yeux et deux ou trois amis nouveaux, car les anciens l'avaient abandonné, il les enseignait et les exhortait encore : « Ayez courage, leur di« sait-il : la poire est mûre, vous la cueillerez. La dernière « partie de nos travaux, la partie religieuse, sera méconnue « quelque temps, parce que le catholicisme s'est montré con«traire à la science; on croira d'abord qu'il en doit toujours «< être ainsi de toute religion. Mais allez toujours, et rap<«< pelez-vous qu'il faut de la passion pour faire de grandes choses. La poire est mûre; vous la cueillerez. »

Nous avons conduit Saint-Simon jusqu'à la fin de sa vic; le voilà mort. Il ne reste plus rien de cette individualité si vive, si puissante, si passionnée, si fougueuse, si singulière et si générale, de ce gentilhomme novateur, de ce génie original, qui a donné à l'industrie sa véritable place, en l'associant à la science et en l'appelant hiérarchiquement au gouvernement; de ce poëte, car il fut inventeur, car il voulut

associer les hommes au nom d'une idée générale, c'est-à-dire de Dieu, et cependant fut calomnié, méconnu, et battu des verges de l'opinion. Je me trompe, il en reste quelque chose: ses idées; et les idées d'un homme, voilà son testament véritable, voilà son légitime héritage. Débiles et fausses, elles s'éteignent sur son tombeau; fécondes et vraies, elles envahissent le monde.

Quand on étudie avec attention les ouvrages de Saint-Simon, on reconnaît clairement qu'ils se partagent en travaux scientifiques, travaux industriels et politiques, et conception religieuse. Nous voulons maintenant, sous ces trois chefs, résumer la progression de ses idées générales.

:

Travaux scientifiques. Tout homme de génie veut ce qu'il doit faire Voltaire voulut détruire, Saint-Simon organiser. Frappé, comme nous l'avons déjà dit, de la nécessité de rendre l'initiative à l'école française, il constate l'état actuel de la science. Aussi cette première partie de ses travaux estelle plutôt critique qu'organique, bien que déjà parsemée d'idées puissantes et positives qui se développèrent plus tard.

Dans son Introduction aux travaux scientifiques du dixneuvième siècle, qui est écrite, ainsi que ses autres ouvrages, du style le plus vigoureux, le plus neuf, le moins académique, et qui rappelle la vigueur de Descartes dans le discours de la Méthode, on trouve (et c'est en 1808, bien avant l'éclectisme) :

Une admirable et longue application du génie de Descartes, que Saint-Simon replace au-dessus de Newton;

Une critique compétente des beaux travaux de Newton; Un jugement excellent sur la philosophie de Locke; Condorcet loué et blàmé avec une impartialité supérieure. A la fin du jugement critique je trouve ces mots : « Les « circonstances générales dans lesquelles Condorcet s'est « trouvé, les circonstances particulières dans lesquelles il « s'est placé, lui ont échauffé la tête; elles ne lui ont pas

« laissé le loisir de poser tranquillement les faits, d'observer «< leur enchaînément, et de déduire méthodiquement les con<< séquences des principes qu'il a posés. Il n'a pas examiné << pendant le cours de son travail la meilleure opinion à ad«opter; il a employé toutes ses forces à soutenir celle qu'il <«< avait émise; et sa belle conception, récapituler la marche « de l'esprit humain, et terminer cette récapitulation par a l'exposé de conjectures formées sur la marche qu'il suivra, « s'est réduite, dans l'exécution, à une diatribe contre les <<< rois et contre les prêtres. »

Nous signalerons surtout dans l'Introduction une magnifique observation sur la synthèse et l'analyse, qui a été reproduite dans ces derniers temps, mais qui a été écrite pour la première fois dans la philosophie française par SaintSimon. Il y est démontré que la synthèse et l'analyse sont deux modes d'activité de l'esprit humain aussi nécessaires l'une que l'autre; qu'il faut alternativement généraliser et particulariser; et que l'école, en décrétant que les savants devaient suivre exclusivement la route que Locke et Newton avaient prise, a posé un principe de circonstance en croyant poser un principe général.

L'Introduction est toujours dominée par cette pensée, qu'il faut revenir à l'œuvre de Descartes, à monarchiser la science, puisque Newton l'a anarchisée; à la synthèse, puisqu'on a épuisé l'analyse, et parvenir à une idée générale, nouvelle et génératrice. Ensuite, que de vues fortement rationnelles! quelle justice rendue au clergé quand il était plein de science et d'autorité, à ce corps de professeurs de théisme, comme l'appelle Saint-Simon.

Déjà aussi il entrevoyait le principe sur lequel il devait baser sa politique : le travail. L'homme doit travailler, ditil; le rentier, le propriétaire qui n'a pas d'état, qui ne dirige pas personnellement les travaux nécessaires pour rendre sa propriété productive, est un être à charge à la société..... Le moraliste doit pousser l'opinion publique à

punir le propriétaire oisif en le privant de toute considération.

L'idée d'une encyclopédie dès 1810, qui devait, au rebours de celle du dernier siècle, édifier et non détruire, n'est pas sans doute une pensée médiocre.

Dans les Mémoires sur la Science de l'homme, la marche des sciences est lumineusement indiquée, ainsi que le besoin d'une philosophie et d'une science générales positives; d'où doit découler une réorganisation sociale qui ne peut jamais être que l'application du système des idées : car Saint-Simon pensait, avec Platon et Spinosa, que les faits reçoivent leur loi de la pensée de l'homme.

Travaux industriels et politiques. Du besoin de réorganiser la science, le philosophe passe à la réorganisation de la société et arrive aux résultats suivants :

Le régime parlementaire et constitutionnel, que plusieurs publicistes ont considéré comme la dernière merveille de l'esprit humain, n'est qu'un régime transitoire entre la féodalité, sur les débris et dans les liens de laquelle nous vivons encore, et un ordre de choses nouveau.

Le fondement de la politique sociale est le travail.

Or, les travailleurs industriels sont les descendants directs des esclaves, des serfs et des affranchis; à mesure que la civilisation a marché, ils ont avancé avec elle, et l'importance de l'organisation militaire a décru en proportion.

Les travailleurs sont donc appelés à s'emparer de la direction matérielle de la société.

La propriété foncière doit alors se régler et se transformer sur le monde de la propriété mobilière.

L'idée de la production et du respect de la production remplacera l'idée de la propriété foncière et du respect qu'on elle.

a pour

La direction de la société appartiendra donc à la capacité scientifique, artiste et industrielle, qui perfectionnera incessamment, et dans une égale mesure, la théorie et la pra

tique. Saint-Simon ne reconnaissait pas encore la capacité religieuse.

Conception religieuse.

Le monde vit et repose sur la foi en Dieu.

Le christianisme est fondé sur ce principe sublime : « Les hommes doivent se conduire en frères à l'égard les uns des

autres. »

Donc, suivant le christianisme, les hommes doivent se proposer, pour but de tous leurs travaux et leurs actions, d'améliorer le plus promptement et le plus complétement possible l'existence morale, intellectuelle et physique de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

Donc le catholicisme, qui a abandonné la cause de l'amélioration morale, intellectuelle et physique de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre, pour se ranger depuis le quinzième siècle du côté des rois et de l'aristocratie, est hérétique.

Donc le protestantisme, qui a voulu ramener l'Église aux imperfections de sa naissance, qui lui a enlevé son caractère d'unité, et demeure impuissant pour gouverner, organiser, et se développer en gouvernement et en culte, est hérétique.

Donc il y a nécessité d'une nouvelle organisation sociale, qui déduira les institutions temporelles et les institutions spirituelles du principe que tous les hommes sont frères, et les dirigera vers le but du perfectionnement moral, intellectuel et physique de la classe la plus nombreuse et la plus

pauvre.

Donc il y a nécessité d'une transformation du christianisme, d'un christianisme nouveau, d'une religion nouvelle.

Telle fut la progression biographique des idées de SaintSimon, science, industrie, religion. Son école a dit après lui, dans un ordre synthétique, religion, science, industrie, amour, intelligence et force.

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