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plus importantes de l'histoire moderne, la révolution d'Angleterre, la révolution française, tous ces tableaux si divers et si curieux ont passé sous nos yeux, vifs, colorés, saillants, grâce à un heureux mélange d'érudition, d'intelligence et d'imagination. Aussi nous avons bien maintenant le sentiment de nos temps modernes; sur ce point nos études ont été renouvelées avec bonheur et seront fécondes.

L'antiquité attend parmi nous la même fortune. Il nous faut sortir des traditions recueillies par la bonhomie de Rollin, des fausses et brillantes peintures de l'abbé Barthélemy, dont l'instruction était sincère, mais qui sentait l'antiquité en contemporain de Marmontel; il nous faut retrouver le goût et l'intelligence de l'antique. Nous le pouvons; car, plus nous en sommes loin, mieux nous sommes placés sur les hauteurs de notre civilisation pour distinguer cette antiquité dans ses proportions natives et réelles. A dix-neuf siècles de distance, après l'histoire contemporaine que nos pères et nous avons faite, n'avons-nous pas recueilli de ce spectacle, où nous avons tant appris et souffert, je ne sais quelle liberté d'esprit, quelle souplesse de jugement, inconnues avant nous, une sorte de divination critique?

Déjà quelques symptômes trahissent un retour au culte de l'antiquité. Une traduction vient de faire connaître au public l'histoire romaine de M. Niebuhr, et appelle l'attention de la critique sur cet important ouvrage. Le livre du célèbre professeur de Bonn est au premier rang parmi les productions de l'érudition renouvelée de l'Allemagne sur l'antiquité. Depuis quarante ans, nos voisins ont réformé et agrandi chez eux par des travaux patients, successifs et riches en résultats, l'archéologie, la philologie, la connaissance de l'antique, sous les rapports de la philosophie, de l'art et du droit. Évidemment il nous faut étudier leurs travaux, en comparer les résultats avec les monuments et les textes, et, par l'étude simultanée des objets eux-mêmes et des explorations récentes, auxquelles nous ajouterons inévitable

ment nos propres conclusions, retrouver, non pas un reflet d'emprunt, une science de seconde main, mais une vue directe et saine de l'antiquité, un sentiment original d'historien et d'artiste, qui nous montre les choses à nu, sans préoccupation et sans préjugés. Et ne craignons pas de perdre dans la lecture des livres de l'Allemagne notre originalité nationale et individuelle: nous gardons toujours notre humeur et notre allure, même en terre étrangère; et puis, si, sur quelque point, nous n'avons pas trouvé nous-mêmes la route nouvelle, dès qu'on nous la montre, ne laissons-nous pas derrière nous les indicateurs? Les armes que Rome empruntait aux vaincus ne domptèrent le monde que parce qu'elles étaient entre les mains des Romains. N'en est-il pas de même des idées dans notre Europe moderne, et n'ont-elles pas besoin d'avoir été françaises pour devenir européennes?

Quand Octave fut le maître des Romains, quel dut être l'état des esprits à Rome après tant de guerres, d'agitations et de malheurs? N'y eut-il pas une lassitude infinie, un besoin profond de repos et de stabilité, une envie immodérée de se reprendre aux plaisirs et aux jouissances de la vie? puis, pour les âmes qui n'étaient pas communes, je ne sais quel désir mélancolique de chercher l'oubli des temps présents dans le spectacle et le commerce de la nature, de l'antique histoire et de la poésie? Deux grands artistes, Virgile et Tite-Live, satisfirent pour eux-mêmes et pour d'autres cette disposition de l'imagination et du cœur qui répugnait à la réalité qu'ils avaient sous les yeux, et les sollicitait à toute heure de se nourrir d'autre chose, de chanter la vieille patrie et la nature qui ne change pas. Virgile peignit les champs, la vie qu'on y mène, l'art de les cultiver, le bonheur obscur et simple qu'on y trouve; puis il se fit le chantre de Rome, de son berceau, de son enfantement, des traditions et des mythes que le temps avait accumulés. Il chanta aux contemporains d'Auguste la primitive Italie, recevant les fondateurs de Rome, ses peuplades, ses antiquités, sa religion,

et se montra, dans sa poésie, archéologue savant et exact. M. Niebuhr nous semble bien sévère dans le jugement plein de verve et d'originalité qu'il porte sur ce délicieux poëte. Sans doute l'Énéide n'est pas une épopée à la façon et à la hauteur des poëmes homériques; mais il n'est pas plus juste de condamner Virgile avec les souvenirs d'Homère, que de juger Racine à l'école de Shakspeare d'ailleurs un homme de génie étant donné, il fait dans son siècle tout ce qu'il peut et doit faire.

Pour Tite-Live, c'est un admirable conteur. Possédé du besoin de développer dans de magnifiques narrations la suite des traditions et des choses romaines, il écrit en artiste, s'enivre de ses propres beautés, poursuit incessamment la trame de son récit, enchâsse les fictions avec les réalités. Ne lui demandez ni scepticisme ni critique; il écrit, il conte; c'est assez pour lui: il passe en courant devant les institutions qu'il faudrait examiner, néglige l'éclaircissement des difficultés et des problèmes pour arriver dans ses histoires aux effets de l'épopée et de la tragédie. Mais aussi, dans le genre qu'il affecte exclusivement, quelle n'est pas sa supériorité! Ni la littérature grecque ni aucune des modernes ne peut offrir un monument comparable à ses histoires, pour la grandeur, le jet, l'exécution et le fini. C'est le type inimitable du genre véritablement classique.

Comme pour faire un contraste tranché, Denys d'Halicarnasse est, avec Tite-Live, l'écrivain le plus. important pour l'histoire de Rome. J'inclinerais assez à l'opinion de Beaufort sur le compte de ce Grec il y a dans les détails et les circonstances de son exposition une ostentation suspecte, et son exactitude est trop fastueuse pour être souvent réelle. Cependant il est une des sources principales pour l'étude des institutions de Rome, sur lesquelles il faut mettre aussi en première ligne le témoignage précieux de Cicéron. Cet homme nouveau se délectait dans les traditions patriciennes de Rome, et a laissé, dans ses lois et dans sa république,

un élégant mélange de théories polítiques empruntées à l'Académie et de récits traditionnels sur l'histoire et la constitution de la cité de Romulus.

Quel parti peut prendre un moderne qui songe à écrire l'histoire romaine? Ce serait chose folle que de tenter après Tite-Live une narration complète et dramatique mais étudier à neuf les textes et les monuments, faire sortir de cette étude un commentaire et un contrôle des antiques histoires, arriver à des aperçus nouveaux, à une intelligence réelle et moderne de l'antiquité, intelligence souvent refusée aux anciens eux-mêmes, voilà qui est désirable et possible; et c'est ainsi que M. Niebuhr a entendu la tâche qu'il s'est imposée. Veut-on comprendre son livre, qu'on ne s'attende pas à y trouver une exposition d'un seul jet, à développements continus, toujours claire et facile; non étudier M. Niebuhr, c'est se trouver face à face avec un commentateur moderne de l'antiquité, qui fait succéder au récit la critique, la dissertation et les détails sévères de la philologie. Ainsi, après les traditions sur Romulus et Numa, il place une excursion sur le cycle séculaire; après les récits sur Tarquin l'Ancien et Servius Tullius, une illustration topographique de la ville de Rome; ce n'est pas une de ces lectures faciles qui plaisent tant à la promptitude paresseuse de notre esprit. M. Niebuhr n'est profitable, il n'est même intelligible que les anciens sous les yeux, et à la condition d'une attention studieuse. Cependant il faut tout dire l'écrivain allemand n'est pas toujours assez maître de ses matériaux et de ses idées ; quelquefois on le voit comme encombré de la richesse de ses aperçus et de ses conjectures. Alors son exposition manque de lucidité, ses conclusions de fermeté, et sa composition de cette économie lumineuse qui sort toujours de la plume de l'écrivain quand il a la claire vision de ce qu'il sait et de ce qu'il pense. Je citerai en exemple l'exposition du système des centuries.

Nous voilà, je crois, placés dans le juste point de vue de

M. Niebuhr et de son livre; nous pouvons désormais en examiner les résultats principaux.

Notre auteur a consacré cent soixante-quinze pages (nous parlons de l'édition allemande) au tableau de l'Italie ancienne. Comme les Romains ne sont nullement un peuple primitif, mais bien un mélange de différentes races, ce devient un véritable devoir pour l'historien de,tracer l'histoire de ces nations italiques, destinées à venir se perdre dans le peuple qu'elles avaient elles-mêmes formé. « Cicéron, Vols<«< que lui-même, savait que sa nation et les Sabins, le`Sam«nium et l'Étrurie, pouvaient aussi bien que Rome se glori«fier d'hommes sages et grands. » Une civilisation forte et originale caractérisait tous ces voisins de Rome, et ils la gardèrent longtemps.

Cette partie du livre de M. Niebuhr échappe à une analyse détaillée; elle est pleine de petits faits curieux, de nuances délicates, qu'on ne saurait éviter d'altérer en voulant les abréger. Signalons seulement quelques traits principaux.

Les Énotriens et les Pélasges s'offrent les premiers daus. le récit archéologique de M. Niebuhr. Après de longues investigations sur la race pélasgique, il conclut ainsi : « Je suis « arrivé au but d'où l'on aperçoit tout le cercle dans lequel j'ai trouvé et montré les Pélasges, non comme une troupe « de Bohémiens errants, mais comme composant des nations «< assises sur leur territoire, puissantes et glorieuses, à une « époque qui, pour la plus grande partie, précède l'his«toire des Hellènes. Ce n'est point une hypothèse, je le dis « avec une entière conviction historique; il fut un temps où <«<les Pélasges, qui formaient peut-être le peuple le plus « étendu de l'Europe, habitaient depuis le Pô et l'Arno jus«que vers le Bosphore; seulement leurs demeures étaient in<«terrompues en Thrace, de telle sorte cependant que les «iles septentrionales de la mer Égée renouassent la chaine qui liait les Tyrrhéniens d'Asie avec la pélasgique Argos. »

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