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le dirige, et qu'il désigne si bien par une métaphore qui abrège la comparaison en suppléant aux mots, quand il le représente sous l'image d'un fleuve qui roule des eaux limpides dans un lit profond, flumen orationis.

En effet la pensée de Massillon ne jaillit point des profondeurs de son génie, comme on voit les flots d'une source abondante s'élancer avec cette impétueuse majesté qui frappe dans Bossuet. Il ne jette jamais sa phrase il la combine, il l'arrondit toujours il en soigne l'élégance, la couleur, la noblesse, la pompe et l'harmonie avec un goût pur ennemi de toute affectation, sans en briser brusquement la mesure et sur-tout sans aspirer jamais à réveiller l'oreille par aucun écart imprévu ou par aucune chûte précipitée. Les membres variés de sa période sont disposés avec un tel goût, que leur brièveté n'en atténue nullement la consistance, et que leur développement Oratoire n'en ralentit jamais le mouvement. Il cache le travail de son style avec un art infini, en ne se permettant ni la moindre recherche d'expression, ni la plus simple prétention à l'esprit ou à la finesse, ni le plus léger nuage qu'élève souvent autour de la pensée cette ambition si commune et si malheureuse qui ne trouve que des ténèbres en

cherchant la profondeur. Ce qui distingue surtout sa manière d'écrire, c'est que la répétition même de ses idées n'entraîne aucune diffusion dans son style; de sorte que ces variantes où chaque phrase a sa plénitude, offrent quelque vuide dans les perceptions de son esprit, sans montrer aucune prolixité dans ses périodes qui surprennent également par son abondance et par sa brièveté, selon le vœu de Quintilien, tum copia, tum brevitate mirabilis. Il aime mieux, dans le choix des mots, rester en-deçà que d'aller au-delà de ce qu'il veut dire. Il semble, en écrivant, avoir sans cesse présente à son esprit la maxime de goût enseignée aux Orateurs par Cicéron, qu'en fait de diction l'excès blesse plus que le défaut. Magis offendit nimium quam parum (1). Il ne hazarde rien en écrivant; et plus il s'occupe de son élocution, plus il se montre naturel dans son langage et dans ses tournures.

Massillon cite très-rarement les Ecrivains profanes dans ses Discours. Son petit Caréme en fournit un seul exemple dans le premier Sermon, sur les Exemples des Grands, où il rappelle cette belle idée de Salluste, in maxima fortuna minima licentia est : c'est-à-dire que

(1) De Oratore, 39.

:

plus l'élévation semble donner de licence par l'autorité qu'elle procure, plus elle en óte par les bienséances qu'elle impose. Mais l'Evêque de Clermont fait mieux encore que de citer les Anciens, il les imite il enrichit la prose françoise d'une multitude de constructions, souvent même de tours de période qu'il emprunte du Latin, et qui s'adaptent très-heureusement à la clarté ainsi qu'au génie de notre Langue. Un Orateur qui voudra se dévouer à de grandes études trouvera qu'il reste encore à faire en ce genre des conquêtes légitimes autant que précieuses, dans Cicéron, TiteLive, Tacite, Salluste et Cornelius Nepos. Massillon nous en a ouvert la route. On reconnoît aisément sa belle manière à la contexture et à l'ensemble de ses alinéa qu'il restreint au développement d'une seule pensée enrichie par l'inépuisable fécondité de son imagination.

Le mouvement du style de Massillon toujours combiné avec la marche de son Discours, est facile et continu. Ses hardiesses sont voilées par des expressions communes qui se rapprocheroient plutôt d'une espèce de négligence que d'aucune affectation; et l'on ne démêle quelquefois l'élan de sa pensée ou l'audace de son langage, que par je ne sçais quel courage apostolique d'une familière simplicité. Cette

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élocution ravissante nous rappelle celle de Cicéron dans toute sa magnificence, en nous offrant l'accord le plus parfait du jugement, de l'imagination et du goût. La lecture de ses Ouvrages est proprement un charme (1) : elle produit une telle impression de bonheur sur mon esprit, que lorsque je veux chercher quelquefois dans ses Sermons l'un de ces beaux traits dont je me souviens d'avoir été plus vivement frappé, je ne puis plus quitter le Discours et souvent le volume qu'après l'avoir relu de suite en entier. L'analyse approfondie de ce style est toujours pour moi une continuité de découvertes dont je jouis avec d'autant plus de délices, qu'elles m'enchantent en même temps qu'elles m'instruisent; et Massillon a renouvelé souvent en moi la décourageante admiration que Boileau éprouvoit en lisant Démosthène, quand il disoit, comme je l'ai déjà rappelé: il me fait tomber la plume des mains.

L'élite de notre Littérature fut étonnée à la lecture de son Discours de réception à l'Académie, d'y trouver dans un Homme de communauté, selon le jugement de Madame de Tencin, un bon goût, un bon ton et une bonne gráce, dont n'approche point le style des

(1) La Fontaine.

grands Seigneurs les plus distingués par leur esprit dans les Sociétés de la Cour.

Mais la meilleure et même la seule véritable manière de louer le style de Massillon doit consister sur-tout à citer quelques exemples de la perfection de son goût dans l'Art d'écrire. Or ces exemples, je ne veux pas les choisir dans son Grand Carême, son Avent et ses Conférences, qu'il faudroit copier presqu'entièrement je les tirerai donc uniquement de ceux de ses Discours qu'on ne lit plus guères, dont on ne parle jamais, et qui se trouvent, pour ainsi dire, perdus dans sa renommée. Un trait d'une seule ligne suffit très-souvent pour décéler en lui un grand Ecrivain; ainsi dans son Oraison funèbre du Dauphin, il exeuse habilement la dissipation et les écarts de la jeunesse du Prince : « Qu'offriroit notre vie » au Public, si elle étoit en spectacle comme » celle des Princes? Moins exposés qu'eux, » sommes-nous plus fidelles? Nos chútes se » cachent dans l'obscurité de nos destinées. » Je n'ai pas besoin de relever la hardiesse et le coloris d'un pareil langage pour faire sentir la beauté de ce dernier coup de pinceau.

Voici comment parloit Massillon dans une obscure Assemblée de Charité, en adressant à une réunion de pieuses Femmes quelques ins

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