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ÉLOGE

DE FENELON.

LORSQUE LOUIS XIV confia l'éducation de ses Enfants au grand Homme que je viens célébrer dans le Temple de l'Eloquence, ce moment fut marqué par le plus éclatant témoignage de l'approbation publique. La Société Littéraire d'Angers pressentant les succès de cet immortel Instituteur, proposa une Couronne académique au Poète Citoyen dont les chants éterniseroient le souvenir du bienfait que Louis accordoit à son Peuple, en lui destinant un Roi que Fenelon alloit former.

La première Académie de la Nation renouvelle et environne aujourd'hui d'un plus brillant éclat l'hommage décerné au Précepteur immortel du Duc de Bour gogne par ses Contemporains; et elle offre la palme de l'éloquence au talent qui s'élèvera jusqu'à son Sujet, pour acquitter la Patrie envers cet aimable Génie également chéri, également célèbre dans les Annales de la Religion, dans la carrière ouverte aux Instituteurs des Princes, et dans le Sanctuaire des Lettres. Foibles Orateurs, que peuvent nos efforts? Nos Juges nous ont devancés: le choix seul qu'ils ont fait sera toujours plus glorieux pour Fenelon que le plus éloquent de nos éloges. Nous avons à peindre, selon l'heureuse expression de Vauvenargues, un esprit angélique et une vertu sublime ce sera donc à l'âme, plutôt qu'à l'imagination du Panégyriste, à guider son pinceau; celui qui aura le mieux senti Fenelon, l'aura le mieux loué.

L'éloge de l'Archevêque de Cambrai ne doit être en

effet que son Histoire écrite par le sentiment et par la vérité. Nous n'avons rien à exagérer, rien à feindre; et au lieu d'aspirer à surpasser l'admiration publique dont il jouit, nous serions trop heureux de la pouvoir atteindre, en parlant d'un Homme qui fut l'Orateur des Peuples, et plaida la cause de l'humanité devant les Rois; d'un Homme illustre par l'éclat de son nom, l'éminence de ses vertus, la supériorité de ses talents, l'importance de ses fonctions, le caractère de ses erreurs mêmes; enfin d'un Homme dont toutes les pensées eurent pour objet le bonheur du genre humain, qui dut tous ses revers à son génie et à sa vertu, et auquel il ne manqua pour être heureux que d'être un Homme ordinaire.

Soit que l'on suive Fenelon dans ses Missions en Saintonge, dans le tourbillon de la Cour, dans le commerce des Lettres, dans sa retraite à Cambrai; soit que l'on considère en lui l'Ecrivain, le Poète, l'Orateur, le Métaphysicien, le Moraliste, le Politique, l'Instituteur, l'Evêque, l'Ami, le Sage persécuté, sa Vie réunit dans un degré éminent tout ce qui est digne d'intéresser un cœur sensible, des talents, des vertus, des malheurs.

Pour me borner dans un Sujet si vaste, je rassemblerai tous ces rayons épars de la gloire de Fenelon; je suivrai dans ce Discours le plan que l'admiration publique semble m'indiquer, puisque le nom seul de ce grand Homme réveille dans tous les esprits l'idée du génie et de la vertu; et je développerai tour-à-tour les talents et l'âme de l'Auteur du Télémaque.

Je trahirois mon devoir, MESSIEURS, je tromperois votre attente, et je me montrerois en opposition avec mon Sujet, si je privois la Religion du triomphe que vous lui avez préparé, en proposant l'Eloge de l'Archevêque de Cambrai. La gloire qu'elle doit en recevoir aujourd'hui est à-la-fois, et le plus digne tribut de la reconnoissance du genre humain, et le plus juste hommage que puisse décerner le génie.

PREMIÈRE PARTIE.

L'INTÉRÊT qu'inspirent les grands Hommes se rallie au Siècle qui les vit naître, et la Postérité se plaît toujours à les contempler au milieu de leurs Contemporains. Portons donc nos regards sur l'état de la France au moment où le Ciel illustra notre Patrie par les vertus et les talents de Fenelon. Les secousses des guerres civiles, qui ne cessèrent d'agiter ce Royaume depuis la mort de François 1er jusqu'à la majorité de Louis XIV, avoient donné la première impulsion aux esprits; les factions, nées des Sectes, s'étoient enhardies aux plus affreux massacres sous les Régences les plus odieuses; le Ministère, ou plutôt le Règne de Richelieu, avoit rétabli la paix en dirigeant les orages; le génie s'étoit déjà élevé sur nos contrées avec Descartes et Corneille; et ces deux grands Hommes, nés au milieu de la fermentation de nos discordes civiles, avoient réveillé l'esprit humain assoupi dans nos climats où s'est formé si tard ce bon goût qui semble y avoir fixé pour toujours son empire. L'Europe, comprenant enfin que le fléau de la guerre causoit à-peuprès les mêmes ravages dans chaque Etat, et retomboit ainsi sur toute l'espèce humaine, l'Europe, lasse de crimes, venoit de tarir à Munster la source de ce fleuve de sang qui avoit inondé la terre pendant cent cinquante années. Une femme et un étranger gouvernoient la France; et les troubles de la Fronde qui furent utiles à l'Etat, en rendant les factions ridicules, sembloient marquer le dernier terme de nos dissentions intestines; une grande révolution s'opéroit à-la-fois dans les moeurs, dans les idées, dans la Langue, dans le Gouvernement, dans l'institution publique des Ministres de la Religion : enfin Louis XIV commençoit à régner lorsque Fenelon parut. Je ne m'arrête ni à sa naissance (1) qui fut illustre,

(1) Il naquit au château de Fenelon en Périgord, le 6 août

ni à son éducation qui parut d'abord très-négligée. Toutes les fois qu'il s'agit d'un Homme de génie qui a honoré sa Patrie et son Siècle, il ne faut parler ni des aïeux dont il descend, ni des maîtres qui l'ont formé : c'est un prodige qui toujours créé par lui-même, ne peut jamais être que l'ouvrage de la Nature. Loin de ce tourbillon de la Société, où les âmes perdent bientôt leur énergie, Fenelon passa ses premières années dans la solitude de la Province, où le génie fermente, et prit ensuite son essor vers la Capitale, où le goût s'épure. Concentré dans la retraite avec l'amour de l'étude, son talent et des moeurs, il acquit bientôt cette constance de méditation qu'il conserva toute sa vie, cette heureuse habitude de réfléchir et de juger, dont il avoit besoin pour dompler une imagination trop vagabonde; et il eut le temps de devenir Philosophe avant de sçavoir lui-même qu'il étoit né Poète.

Destiné à l'Eglise, Fenelon se montre de bonne heure beaucoup plus occupé du besoin de posséder la Science et de cultiver l'esprit de son état, que des moyens d'en obtenir les honneurs. En se consacrant à l'étude immense de la Religion dans le Séminaire si justement célèbre de Saint Sulpice, il ne veut point d'intermédiaires entre lui et les Auteurs Sacrés, entre lui et les premiers Pères. Il se familiarise avec les idiomes anciens; mais la belle Langue des Homère et des Platon avec lesquels son génie doit rivaliser un jour, n'est encore pour lui que la Langue des Basile et des Chry

1651; il étoit fils de Pons de Salignac, Marquis de Fenelon, et de Louise de la Cropte. Son père étoit veuf, et avoit déjà quatorze enfants lorsqu'il épousa en secondes noces Mademoiselle de la Cropte, et l'Archevêque de Cambrai ne fut que le troisième enfant de ce second mariage; de sorte que selon les calculs ordinaires des Maisons les plus richés dont les Chefs ne se remarient point quand ils ont une famille nombreuse, Fenelon n'auroit jamais dû naître. C'eût été un grand malheur pour cette race illustre dont il a été le plus bel ornement.

sostôme. C'est dans cette première source de la Littérature qu'il va puiser les connoissances dont il a besoin pour exercer les fonctions du Ministère de la Parole. Son zèle même concourt à la perfection de son talent; et il se forme à-la-fois pour le goût et pour l'éloquence, en croyant simplement nourrir sa Piété d'une étude approfondie de la Religion.

Qu'étoit le Christianisme pour Fenelon? Une Philosophie sublime qui démontre l'ordre, l'unité de la Nature, et explique l'énigme du coeur humain, incompréhensible sans elle; le plus puissant mobile pour porter l'homme au bien, puisque la Foi le mettant sans cesse sous l'œil de Dieu, agit sur la volonté avec autant d'empire que sur la pensée; un supplément de la conscience qui commande, affermit et perfectionne toutes les vertus, règle le présent par la perspective de l'avenir, établit de nouveaux rapports de bienfaisance sur de nouveaux liens d'humanité, nous montre dans les pauvres des créanciers et des médiateurs auprès de la Justice Divine, des frères dans nos ennemis, dans l'Être Suprême un père et un Juge; la Religion du sentiment, la seule sanction de la morale, la vertu en action; enfin un Code qui prescrit, protége, récompense tous les devoirs de l'homme dans toutes ses relations sociales, et dont chaque loi devient un bienfait du Ciel : voilà ce qu'étoit le Christianisme aux yeux de Fenelon.

Nourri de ces principes, s'empressera-t-il de partager avec l'Evêque de Sarlat, son Oncle, les fonctions les plus brillantes de l'Etat Ecclésiastique, ou d'annoncer la Religion dans les Palais des Rois? Après avoir laissé mûrir dans la retraite ses talents et ses vertus, Fenelon pieux pour être plus humain, Ministre du Ciel pour se rendre plus utile à la terre, supérieur aux idées d'ambition et de vaine gloire, se consacre à l'oeuvre des Missions dans les Provinces éloignées. Mais ce Ministère, qui semble condamner ses talents à l'obscurité, devient au contraire le

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