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méfiez-vous des circonstances fortuites, et songez surtout au peu de temps et d'espace que le genre vous accorde.

Au spectacle, plus l'illusion est vive et forte, plus elle agit sur l'ame, et par conséquent moins elle laisse de liberté à la réflexion et de prise à la vérité. Quelle impression peuvent faire de légères invraisemblances sur des esprits émus, troublés d'étonnement et de terreur? N'avons-nous pas vu de nos jours Phèdre expirante au milieu d'une foule de petits maîtres? n'avons-nous pas vu Mérope, le poignard à la main, fendre la presse de nos jeunes seigneurs pour percer le cœur à son fils? et Mérope nous faisoit frémir, et Phèdre nous arrachoit des larmes. C'est sur ces exemples que se fondent ceux qui se moquent des bienséances et des vraisemblances théâtrales mais si, dans ces momens de trouble et de terreur, l'ame, trop occupée du grand intérêt de la scène, ne fait aucune attention à ses irrégularités, il y a des momens plus tranquilles, où le bon sens en est blessé ; la réflexion reprend alors tout son empire; la vérité détruit l'illusion: or l'illusion, une fois détruite, ne se reproduit pas l'instant d'après avec la même force; et il n'y a nulle comparaison entre un spectacle où elle est soutenue, et un spectale où, à chaque instant, on est trompé et détrompé.

L'illusion, au spectacle, n'a pas besoin d'être complète. On ne doit donc pas s'inquiéter des invraisemblances forcées, et l'on peut se permettre celles qui contribuent à donner au spectacle plus d'intérêt et d'agrément.

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Mais, quoi qu'on fasse pour en imposer, il est rare que l'illusion soit trop forte: on fait donc bien d'être sévère sur ce qui intéresse la vraisemblance, et de n'accorder à l'art que les licences heureuses d'où résulte quelque beauté.

Il faut se figurer qu'il y a sans cesse dans l'imitation théâtrale un combat entre la vérité et le mensonge : affoiblir celle qui doit céder, fortifier celui que l'on veut qui domine, voilà le point où se réunissent toutes les règles de l'art par rapport à la vraisemblance, dont l'llusion est l'effet.

Quant aux moyens qu'on doit exclure, il en est qui

rendent l'imitation trop effrayante et horriblement vraie, comme lorsque, sous l'habit de l'acteur qui doit paroître se tuer, on cache une vessie pleine de sang, et que le sang inonde le théâtre; il en est qui rendent grossièrement et bassement une nature dégoûtante, comme lorsqu'on produit sur la scène l'ivrognerie et la débauche; il en est qui sont pris dans un naturel insipide et trivial, dont l'unique mérite est une plate vérité, comme lorsqu'on représente ce qui se passe communément parmi le peuple. Tout cela doit être interdit à l'imitation poétique, dont le but est de plaire, non pas seulement au bas peuple, mais aux esprits les plus cultivés et aux ames les plus sensibles succès qu'elle ne peut avoir qu'autant qu'elle est décente, ingénieuse, et telle qu'un goût exquis et un sentiment délicat enchérissent l'illusion.

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Il y a tel spectacle dont l'illusion tempérée est agréable, et dont l'illusion pleine seroit révoltante ou péniblement douloureuse: combien de personnes soutiennent le meurtre de Camille ou de Zaïre, et les convulsions d'Inès empoisonnée, qui n'auroient pas la force de soutenir la vue d'une querelle sanglante ou d'une simple agonie! Il est donc hors de doute que le plaisir du spectacle tragique tient à cette réflexion tacite et confuse qui nous avertit que ce n'est qu'une feinte, et qui par-là modère l'impres sion de la terreur et de la pitié.

Je sais bien que l'échafaud est la tragédie de la populace, et que des nations entières se sont amusées de combats de gladiateurs. Mais cet exercice de la sensibilité seroit trop violent pour des ames qu'une société douce et voluptueuse amollit, et qui demandent des plaisirs délicats comme leurs organes.

(M. MARMON TEL.)

IMAGINAIRE.

Ce qui n'est

E qui n'est que dans l'imagination; ainsi l'on dit en ce sens un bonheur imaginaire, une peine imaginaire. Sous ce point de vue, imaginaire ne s'oppose point à réel; car un bonheur imaginaire est un bonheur réel, une peine imaginaire est une peine réelle. Que la chose soit ou ne soit pas comme je l'imagine, je souffre ou je suis heureux : ainsi l'imaginaire peut être dans le motif, dans l'objet; mais la réalité est toujours dans la sensation. Le malade imaginaire est vraiment malade, sinon de corps, au moins d'esprit. Nous serions trop malheureux si nous n'avions beaucoup de biens imaginaires; mais nous devrions être assez sages pour ne pas nous faire des peines imaginaires.

(ANONYME.)

Tome VI

O

N appelle ainsi cette faculté de l'ame qui rend les objets présens à la pensée. C'est le pouvoir que chaque être sensible éprouve en soi de se représenter dans son esprit les choses sensibles : cette faculté dépend de la mémoire. On voit des hommes, des animaux, des jardins; ces perceptions entrent par les sens; la mémoire les retient; l'imagination les compose: voilà pourquoi les anciens Grecs appelèrent les muses filles de mémoire.

Il est très-essentiel de remarquer que ces facultés de recevoir des idées, de les retenir, de les composer, sont au rang des choses dont nous ne pouvons rendre aucune raison ces ressorts invisibles de notre être sont dans la

main de l'Etre-Suprême qui nous a faits, et non dans la

nôtre.

Peut-être ce don de Dieu, l'imagination, est-il le seul instrument avec lequel nous composions des idées, et même les plus métaphysiques.

Vous prononcez le mot de triangle; mais vous ne prononcez qu'un son, si vous ne vous représentez pas l'image d'un triangle quelconque: vous n'avez certainement eu l'idée d'un triangle que parce que vous en avez vu si vous avez des yeux, ou touché si vous êtes aveugle. Vous ne pouvez penser au triangle en général si votre imagination ne se figure, au moins confusément, quelque triangle particulier. Vous calculez; mais il faut que vous vous représentiez des unités redoublées, sans quoi il n'y a que votre main qui opère.

Vous prononcez les termes abstraits, grandeur, vérité, justice, fini, infini; mais ce mot de grandeur est-il autre chose qu'un mouvement de votre langue qui frappe l'air, si vous n'avez pas l'image de quelque grandeur? Que veulent dire ces mots vérité, mensonge, si vous n'avez pas aperçu par vos sens que telle chose qu'on vous dit existoit en effet, et que telle autre n'existoit pas ? et de cette expérience ne composez-vous pas l'idée générale de vérité et de mensonge? et, quand on vous demande ce que vous entendez par ces mots, pouvez-vous vous empêcher

de vous figurer quelque image sensible, qui vous fait souvenir qu'on vous a dit quelquefois ce qui étoit, et fort souvent ce qui n'étoit pas ?

Avez-vous la notion de juste et d'injuste autrement que par des actions qui vous ont paru telles? Vous avez commencé, dans votre enfance, par apprendre à lire sous un maître; vous aviez envie de bien épeler, et vous avez mal épélé. Votre maître vous a battu; cela vous a paru très-injuste; vous avez vu le salaire refusé à un ouvrier, et cent autres choses pareilles. L'idée abstraite du juste et de l'injuste est-elle autre chose que ces faits confusément mêlés dans votre imagination?

Le fini est-il dans votre esprit autre chose que l'image de quelque mesure bornée? L'infini est-il autre chose que l'image de cette même mesure que vous prolongez sans fin?

Toutes ces opérations ne se font-elles pas à peu près de la même manière que vous lisez un livre? Vous y lisez les choses, et vous ne vous occupez pas des caractères de l'alphabet, sans lesquels pourtant vous n'auriez aucune notion de ces choses. Faites-y un moment d'attention, et alors vous apercevrez ces caractères sur lesquels glissoit votre vue; ainsi, dans tous vos raisonnemens, toutes vos connoissances sont fondées sur des images tracées dans votre cerveau vous ne vous en apercevez pas; mais arrêtez-vous un moment pour y songer, et alors vous voyez que ces images sont la base de toutes vos notions; c'est au lecteur à peser cette idée, à l'étendre, la rectifier.

à

Le célèbre Adisson, dans ses onze Essais sur l'imagination, dont il a enrichi les feuilles du Spectateur, dit d'abord que le sens de la vue est celui qui fournit seul les idées à l'imagination cependant il faut avouer que les autres sens y contribuent aussi. Un aveugle-né entend dans son imagination l'harmonie qui ne frappe plus son oreille; il est à table en songe : les objets qui ont résisté ou cédé à ses mains, font encore le même effet dans sa tête il est vrai que le sens de la vue fournit seul les images; et, comme c'est une espèce de toucher qui s'étend

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