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L'INDÉPENDANCE est la pierre philosophale de l'orgueil humain : la chimère après laquelle l'amour propre court en aveugle; le terme que les hommes se proposent toujours, et qui empêche leurs entreprises et leurs desirs d'en avoir jamais, c'est l'indépendance.

Cette perfection est sans doute bien digne des efforts que nous faisons pour l'atteindre, puisqu'elle renferme nécessairement toutes les autres; mais par-là même elle ne peut point se rencontrer dans l'homme, essentiellement limité par sa propre existence. Il n'est qu'un seul être indépendant dans la nature; c'est son auteur. Le reste est une chaîne dont les anneaux se lient mutuellement, et dépendent les uns des autres, excepté le premier, qui est dans la main même du créateur. Tout se tient dans l'univers, les corps célestes agissent les uns sur les autres; notre globe en est attiré, et les attire à son tour; le flux et le reflux de la mer a sa cause dans la lune; la fertilité des campagnes dépend de la chaleur du soleil, de l'humidité de la terre, de l'abondance de ses sels, etc. Pour qu'un brin d'herbe croisse, il faut, pour ainsi dire, que la nature entière y concoure : enfin il y a dans l'ordre physique un enchaînement dont l'étrange complication fait un chaos que l'on a eu tant de peine à débrouiller.

Il en est de même dans l'ordre moral et politique. L'ame dépend du corps; le corps dépend de l'ame et de tous les objets extérieurs : comment l'homme, c'est-àdire l'assemblage de deux parties si subordonnées, seroit-il lui-même si indépendant? La société pour laquelle nous sommes nés nous donne des lois à suivre, des devoirs à remplir quel que soit le rang que nous y tenions, la dépendance est toujours notre apanage; et celui qui commande à tous les autres, le souverain lui-même voit au dessus de sa tête les lois dont il n'est que le premier sujet.

Cependant les hommes se consument en des efforts

continuels pour arriver à cette indépendance qui n'existe nulle part. Ils croient toujours l'apercevoir dans le rang qui est au dessus de celui qu'ils occupent; et lorsqu'ils y sont parvenus, honteux de ne l'y point trouver, et non guéris de leur folle envie, ils continuent à l'aller chercher plus haut. Je les comparerois volontiers à des gens grossiers et ignorans qui auroient résolu de ne se reposer qu'à l'endroit où l'œil borné est forcé de s'arrêter, et où le ciel semble toucher à la terre. A mesure qu'ils avancent, l'horizon se recule; mais comme ils l'ont toujours en perspective devant eux, ils ne se rebutent point, ils se flattent sans cesse de l'atteindre dans peu; et, après avoir marché toute leur vie, après avoir parcouru des espaces immenses, ils tombent enfin accablés de fatigue et d'ennui, et meurent avec la douleur de ne se voir pas plus près du terme auquel ils s'efforçoient d'arriver, que le jour qu'ils avoient commencé à y tendre.

Il est pourtant une espèce d'indépendance à laquelle il est permis d'aspirer: c'est celle que donne la philosophie Elle n'ôte point à l'homme tous ses liens, mais elle ne lui laisse que ceux qu'il a reçus de la main même de la raison; elle ne le rend pas absolument indépendant, mais elle ne le fait dépendre que de ses devoirs.

Une pareille indépendance ne peut pas être dangereuse. Elle ne touche point à l'autorité du gouvernement, à l'obéissance qui est due aux lois, au respect que mérite la religion : elle ne tend pas à détruire toute subordination et à bouleverser l'état, comme le publient certaines gens qui crient à l'anarchie dès qu'on refuse de reconnoître le tribunal orgueilleux qu'ils se sont eux-mêmes élevé. Non; si le philosophe est plus indépendant que le reste des hommes, c'est qu'il se forge moins de chaînes nouvelles. La médiocrité des desirs le délivre d'une foule de besoins auxquels la cupidité assujétit les autres. Renfermé tout entier en lui-même, il se détache par raison de ce que la malignité des hommes pourroit lui enlever. Content de son obscurité, il ne va point, pour en sortir, ramper à la porte des grands, et chercher des mépris qu'il ne veut rendre à personne. Plus il est dégagé des préjugés, et plus il est attaché aux vérités de la religion,

ferme

ferme dans les grands principes qui font l'honnête homme, le fidèle sujet et le bon citoyen. Si quelquefois il a le malheur de faire plus de bruit qu'il ne le voudroit, c'est dans le monde littéraire, où quelques nains, effrayés ou envieux de sa grandeur, veulent le faire passer pour un Titan qui escalade le ciel, et tâchent ainsi, par leurs cris, d'attirer la foudre sur la tête de celui dont leurs propres dards pourroient à peine piquer légèrement les pieds. Mais que l'on ne se laisse pas étourdir par ces accusations vagues dont les auteurs ressemblent assez à ces enfans qui crient au feu lorsque leur maître les corrige. L'on n'a jusqu'ici guère vu de philosophes qui aient excité des révoltes, renversé le gouvernement, changé la forme des états: je ne vois pas que ce soient eux qui aient occasionné les guerres civiles en France, fait les proscriptions à Rome, détruit les républiques de la Grèce. Je les vois par-tout entourés d'une foule d'ennemis; mais par-tout je les vois persécutés, et jamais persécuteurs. C'est là leur destinée; et le prince même des philosophes, le grand et vertueux Socrate, leur apprend qu'ils doivent s'estimer heureux lorsqu'on ne leur dresse pas des échafauds avant de leur élever des statues.'

(ANONYME.)

Tome VI.

G

ON

N prétend que la philosophie a passé de la Chaldés et de la Perse aux Indes. Quoi qu'il en soit, les peuples de cette contrée étoient en si grande réputation de sagesse parmi les Grecs, que leurs philosophes n'ont pas dédaigné de les visiter. Pythagore, Démocrite, Anaxarque, Pyrrhon, Apollonius et d'autres, firent le voyage des Indes, et allèrent converser avec les brachmanes ou gymno-sophistes indiens.

Les sages de l'Inde ont été appelés brachmanes de Brachme, fondateur de la secte, et gymno-sophistes ou sages, qui marchent nus, de leur vêtement qui laissoit à découvert la plus grande partie de leur corps.

On les divise en deux sectes, l'une des brachmanes, et l'autre des samanéens; quelques-uns font mention d'une troisième sous le nom de pranines: nous ne sommes pas assez instruits sur les caractères particuliers qui les distinguoient; nous savons seuleinent en général qu'ils fuyoient la société des hommes; qu'ils habitoient le fond des bois et des cavernes ; qu'ils menoient la vie la plus austère, s'abstenant du vin et de la chair des animaux, se nourrissant de fruits et de légumes, et couchant sur la terre nue ou sur des peaux; qu'ils étoient si fort attachés à ce genre de vie, que quelques-uns, appelés auprès du grand roi, répondirent qu'il pouvoit venir lui-même, s'il avoit quelque chose à apprendre d'eux ou à leur commander.

Ils souffroient avec une égale constance la chaleur et le froid; ils craignoient le commerce des femmes. Si elles sont méchantes, disoient-ils, il faut les fuir, parce qu'elles sont méchantes: si elles sont bonnes, il faut encore les fuir, de peur de s'y attacher. Il ne faut pas que celui qui fait son devoir du mépris de la douleur et du plaisir, de la mort et de la vie, s'expose à devenir l'esclave d'un autre.

Il leur étoit indifférent de vivre ou de mourir, et de mourir, ou par le feu, ou par l'eau, ou par le fer. Ils s'assembloient jeunes et vieux autour d'une même table; ils s'interrogeoient réciproquement sur l'emploi de la

journée, et l'on jugeoit indigne de manger celui qui n'avoit rien dit, fait ou pensé de bien.

Ceux qui avoient des femmes les renvoyoient au bout de cinq ans si elles étoient stériles, ne les approchoient que deux fois l'année, et se croyoient quittes envers la nature lorsqu'ils en avoient eu deux enfans, l'un pour elles, l'autre pour eux.

Buddas, Dandanis, Calanus et Iarcha, sont les plus célèbres d'entre les gymno-sophistes dont l'histoire ancienne nous a conservé les noms.

Buddas fonda la secte des hylobiens, les plus sauvages des gymno-sophistes.

Pour juger de Dandanis, il faut l'entendre parler à Alexandre par la bouche d'Onésicrite, que ce prince, dont l'activité s'étendoit à tout, envoya chez les gymnosophistes. «Dites à votre maître que je le loue du goût » qu'il a pour la sagesse, au milieu des affaires dont un » autre seroit accablé : qu'il fuie la mollesse ; qu'il ne » confonde pas la peine avec le travail; et, puisque ses » philosophes lui tiennent le même langage, qu'il les » écoute. Pour vous et vos semblables, Onésicrite, je >> ne désapprouve vos sentimens et votre conduite qu'en » une chose; c'est que vous préfériez la loi de l'homme à » celle de la nature, et qu'avec toutes vos connoissances » vous ignoriez que la meilleure demeure est celle où il » y a le moins de soin à prendre. »

Calanus, à qui l'envoyé d'Alexandre-s'adressa lorsque ce prince s'avança dans les Indes, débuta avec cet envoyé par ces mots : « Dépose cet habit, ces souliers; 'assieds» toi nu sur cette pierre, et puis nous converserons ». Cet homme, d'abord si fier, se laissa persuader par Taxile de suivre Alexandre, et il fut méprisé de toute la nation, qui lui reprocha d'avoir accepté un autre maître que Dieu. A juger de ses mœurs par sa mort, il ne paroît pas qu'elles se fussent amollies. Estimant honteux d'attendre la mort, comine c'étoit le préjugé de sa secte, il se fit dresser un bûcher, et y monta, en se félicitant de la liberté qu'il alloit se procurer. Alexandre, touché de cet héroïsme, institua en son honneur des combats équestres et d'autres jeux.

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