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saient dans la hiérarchie féodale d'une indépendance que les familles de notre temps seraient heureuses de posséder, devant les offices ministériels, le fisc et la bureaucratie. Les moindres communes avaient alors une autonomie, vers laquelle nos grandes cités n'oseraient élever aujourd'hui leur pensée, dans leurs plus vives revendications. Les ouvriers ruraux, exempts

et des autres pays d'élevage; elles étaient presque intactes à l'époque de la révolution, dans toutes les contrées où les propriétaires continuaient à résider. Depuis lors les neuf dixièmes de ces familles ont été désorganisées par le Code civil et les officiers ministériels, par les contraintes de la conscription et l'attrait des résidences urbaines. Plaise à Dieu que la destruction ne soit pas complétement achevée, quand le moment de la réforme sera arrivé; qu'en conséquence, les hommes d'État qui auront le bonheur d'accomplir cette réforme puissent juger, par l'observation directe, combien les deux types du moyen âge étaient supérieurs au type instable que la révolution a créé. Quant à la famille - souche (§ 6), elle se constitua surtout chez les propriétaires de tout rang. Elle a résisté à la révolution mieux que la famille patriarcale; et elle offre encore de nombreux modèles aux réformateurs.

8 On peut consulter, au sujet des institutions communales du moyen âge, l'intéressante Monographie de Beaumont-enArgonne (Ardennes), publiée par M. l'abbé Defourny, curé de

cette commune.

La commune de Beaumont a été régie, pendant six siècles, par la charte que lui donna spontanément, en 1182, son suzerain Guillaume de Champagne, archevêque de Reims, et que Charles V, roi de France, cessionnaire en 1379 des droits des archevêques, s'engagea à respecter. Aux termes de cette charte, les impôts, d'ailleurs très- légers, sont fixés une fois pour toutes. La liberté individuelle est garantie. Les bourgeois élisent chaque année leurs magistrats municipaux, qui gouverneñt la commune, rendent la justice civile et criminelle, et donnent l'authenticité aux contrats. Les décisions touchant les intérêts

de toute dépendance personnelle, étaient liés à leurs patrons par des rapports permanents

communs sont prises, sur la place de l'église paroissiale, par une assemblée composée du maire, des échevins et de quarante des bourgeois les plus éclairés.

Le seigneur intervient à peine, dans ce petit gouvernement local. Ses prérogatives se bornent à nommer un juré qui, de concert avec deux autres désignés par les bourgeois, surveille l'emploi des fonds alloués sur les revenus seigneuriaux, pour la défense et l'embellissement de la ville; à faire grâce dans certains cas spécifiés, enfin à recevoir le serment des magistrats nouvellement élus. Quant à ses obligations, elles consistent à défendre la commune contre les ennemis du dehors, sans imposer les habitants, ni les requérir pour le service militaire pendant plus de vingt-quatre heures.

Les bourgeois ont, sur toute la partie du territoire non comprise dans la réserve du seigneur, la jouissance libre et gratuite des produits spontanés du sol, des forêts et des eaux, à la seule condition de se conformer à certaines règles d'ordre public. La pêche du poisson, l'abatage du bois et la cueillette des fruits sauvages fournissent aux familles, surtout aux moins aisées, des subventions précieuses pour la nourriture, ainsi que pour la construction, l'ameublement, l'éclairage et le chauffage des habitations.

Tel était le degré de liberté et de bien-être dont jouissaient les bourgeois de Beaumont, qu'ils se montrèrent constamment très-attachés à leur organisation municipale. Aux états de Vermandois, réunis en 1556 pour la rédaction des coutumes de la province, ils déclarèrent fermement vouloir s'en tenir aux franchises contenues dans leur charte; et, au XVIIIe siècle, ils résistèrent, avec une énergie digne d'un meilleur succès, aux empiétements par lesquels la royauté inculqua à la France le mépris des coutumes, puis l'esprit de révolution.

Il ne faudrait pas d'ailleurs objecter que la constitution dont je viens d'esquisser les principaux traits, n'aurait eu, au moyen âge, qu'un caractère exceptionnel. Les autres constitutions urbaines étaient, en général, fondées sur les mêmes principes. La loi de Beaumont elle-même fut octroyée, par les seigneurs suzerains, à un grand nombre de villes du nord-est de la France;

qui obligeaient également les deux parties, et par les autres pratiques essentielles à la Coutume

et il parait qu'au XVIIe siècle elle régissait encore plus de cinq cents communes. (Voir la Loy de Beaumont, coup d'œil sur les libertés et les institutions du moyen âge. Reims, 1864; 1 vol. in-8°.) Parmi les ouvrages qui décrivent le mieux les institutions du moyen âge, et qui démontrent que les communes urbaines jouissaient à cette époque d'une indépendance que celles de notre temps pourraient envier, je signale à ceux qui désirent s'instruire en ces matières l'Histoire de la commune de Montpellier (Hérault), par M. Germain. Je citerai encore une excellente monographie dans laquelle M. L. Charles décrit les admirables institutions dont jouissaient, au moyen âge, les bourgeois de la Ferté-Bernard (Sarthe). Cette description nous montre une très-petite ville tenant à honneur de fonder, avec ses seules ressources, une magnifique église, des établissements d'instruction et d'autres œuvres qu'elle n'a pu même entretenir depuis lors, sous le prétendu régime de protection imposé par l'État. M. Charles nous apprend en même temps que les libertés, source de cette initiative, prirent fin sous le gouvernement tyrannique de Louis XIV. Comme M. A. Thierry qui a inspiré ses travaux, M. Charles déclare que, en ce qui concerne l'histoire nationale, il faut renouveler à fond l'opinion publique. << Pendant longtemps, » dit-il, « on n'a dévoilé que des infir<< mités dans notre vieille histoire; il est temps d'y rechercher «<les faits qui l'honorent. » (De l'Administration d'une ancienne communauté d'habitants du Maine. Le Mans, 1862; une brochure in-8°.)

9 « A part quelques faits isolés, nous avons vainement cherché, << dans la Normandie, les traces de cet antagonisme qui, suivant << des auteurs modernes, régnait entre les différentes classes de << la société du moyen âge. Les rapports des seigneurs avec leurs << hommes n'y sont point entachés de ce caractère de violence « et d'arbitraire avec lequel on se plaît trop souvent à les dé<< crire. De bonne heure, les paysans sont rendus à la liberté; << dès le onzième siècle, le servage a disparu de nos campagnes. << A partir de cette époque, il subsiste bien encore quelques re<< devances et quelques services personnels; mais le plus grand <<< nombre est attaché à la jouissance de la terre. Dans tous les

des ateliers (§§ 20 à 25). Dans le moindre fief, dans la baronnie qui offrait l'unité complète du gouvernement local 10, comme dans les circon

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«< cas, les obligations tant réelles que personnelles sont nette«ment définies par les chartes et coutumes. Le paysan les ac<< quitte sans répugnance; il sait qu'elles sont le prix de la terre << qui nourrit sa famille; il sait aussi qu'il peut compter sur « l'aide et la protection de son seigneur... » (Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie, au moyen âge. Évreux, 1851; 2 vol. in-8°.) Les savants, qui ont étudié l'ancienne condition des paysans européens, sans se laisser égarer par les passions politiques de notre temps, sont tous arrivés à la même conclusion. Les personnes qui, à cet égard, ont adopté sans examen les préjugés révolutionnaires, renonceront à des erreurs invétérées, si elles veulent bien prendre la peine de remonter, sous la direction des autorités compétentes, aux sources de la certitude. Je signalerai ici notamment les beaux ouvrages de M. Guérard sur l'ancienne France, de M. de Maurer sur l'Allemagne, et de M. l'abbé Hanauer sur l'Alsace. Ces tableaux fidèles du passé nous montrent les paysans jugeant eux-mêmes par la voie du jury leurs affaires civiles et criminelles, payant de faibles impôts, établissant sans contrôle les taxes relatives aux dépenses locales, ayant enfin devant leurs seigneurs des allures indépendantes qu'aucune classe des sociétés du Continent n'oserait prendre aujourd'hui devant la bureaucratie européenne. (La Réforme sociale, t. III, p. 303.)

A l'appui de l'opinion de ces historiens spéciaux, on peut citer le récit suivant de Joinville sur l'arrangement qu'il fit avec ses vassaux, lors de son départ pour la croisade. « A Pâques, en << l'an de grace 1248, je mandai mes hommes et mes fieffés à «Joinville... Je leur dis: Seigneurs, je vais outre-mer, et je «ne sais si je reviendrai. Or, avancez; si je vous ai fait tort de «< rien, je vous le réparerai, l'un après l'autre, ainsi que je l'ai << accoutumé, à tous ceux qui voudront rien demander de moi << ou de mes gens. Je le leur réparai de l'avis de tous les habi<< tants de ma terre; et, pour que je n'eusse point d'influence, << je me levai du conseil, et je maintins sans débat tout ce qu'ils « décidèrent. » (Joinville, Histoire de saint Louis, XXV.)

10 Les Coustumes du pays et comté du Maine, citées par M. L.

scriptions plus étendues qui s'échelonnaient entre la baronnie et l'État, régnait toute l'indépendance compatible avec la conservation de l'ordre social. Quant au souverain placé au sommet de cette puissante hiérarchie, il se croyait lié envers ses sujets par des obligations fort impérieuses" il défendait le pays contre les agressions du dehors; il conservait à l'intérieur la paix publique; et il jugeait en appel certaines décisions rendues par les juridictions inférieures. Il conservait d'ailleurs, dans ses rapports avec les gentilshommes, la tradition de l'égalité originelle des Francs. Selon cette même tradition, il les associait au gouvernement de l'État; ainsi il dirigeait avec le concours des barons, dans des assemblées annuelles, les lois les plus importantes, celles qui tendaient à

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Charles (Histoire de la Ferté-Bernard. Mamers (Sarthe), 1869; 1 br. in-8°, p. 9.) 11. Saint Louis enseignait les devoirs de la royauté à son fils ainė, dans les termes suivants : « Beau fils, << dit-il, je te prie que tu te fasses aimer du peuple de ton << royaume; car vraiment j'aimerais mieux qu'un Écossais vint « d'Écosse, et gouvernât le peuple bien et loyalement, que si << tu gouvernais mal, au vu de tous. » (Joinville, Histoire de saint Louis, p. 28.) — Blanche de Castille, mère de saint Louis, lui répétait souvent « qu'elle aimeroit mieux le voir mort que << de lui voir commettre un seul péché mortel, et que s'il « se trouvoit en estat de ne pouvoir conserver sa vie que par << un péché mortel, elle aimeroit mieux le laisser mourir << que de souffrir qu'il perdist la vie de son âme en offensant son Créateur.» (Lenain de Tillemont, Vie de saint Louis, 1. Ier, p. 408.)

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