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MEMOIRE

SUR CATULLE,

Par M. l'abbé ARNAUL D.

Lu le 17

CATULLE, ou, pour m'exprimer avec plus d'exactitude, Caïus Valerius Catullus, naquit à Vérone, l'an 668 de la fondation de 20ût 1784. Rome, quand les lettres et les arts venoient enfin de s'introduire chez les Romains, qui jusqu'alors ne connoissoient d'autre vertu que la force et le courage, d'autre science que la discipline militaire, et d'autre gloire que celle de vaincre.

Huit ans s'étoient à peine écoulés depuis que les censeurs Cneius Domitius Ænobarbus, et Lucius Licinius Crassus avoient porté un édit par lequel les grammairiens et les philosophes étoient bannis de Rome, comme corrupteurs de la jeunesse ; et sans doute il fut difficile d'inspirer le goût des occupations douces et des tranquilles études, qui seules peuvent orner l'esprit et polir les mœurs, à des républicains féroces, accoutumés aux spectacles de sang, toujours occupés de combats, presque toujours vainqueurs, terribles et menaçans lors même qu'ils étoient vaincus, et conservant, dans leurs défaites, tout l'orgueil de leurs prétentions et de leurs espérances, comme si le ciel leur eût révélé le secret de leur destinée.

Il n'est guère permis de douter que Catulle n'appartînt à une famille considérable et distinguée : c'étoit chez Valerius son père que descendoit et logeoit César toutes les fois qu'il passoit par Vérone; et l'on voit encore aujourd'hui, dans la presqu'île du lac voisin de cette ville, les restes d'un ancien édifice qu'on croit avoir été sa maison de campagne, la même qu'il a chantée en vers si charmans, et dont le séjour lui fit oublier ses peines et

ses travaux.

Dès ses plus jeunes années, Catulle se rendit à Rome, où,

comme s'ils eussent voulu se faire pardonner la longue résistance qu'ils avoient opposée à l'instruction, les citoyens les plus distingués de la République s'empressoient à l'envi d'apprendre et d'enseigner l'art de la parole, art qu'on ne perfectionne jamais sans perfectionner en même temps celui du raisonnement et de la pensée : il y trouva l'éloquence Latine déjà portée à un si haut degré de perfection, que les Grecs en avoient conçu de la jalousie, et craignoient de perdre le seul avantage qu'ils eussent conservé sur leurs vainqueurs.

Cicéron faisoit souvenir de Démosthène ; il lui fut impossible de le faire oublier. Saluste peignoit les vices et les mœurs de son temps, avec le pinceau de Thucydide; Cornelius Nepos esquissoit l'imposant tableau de tout ce qui s'étoit passé jusqu'alors sur la vaste scène du monde; Varron, après avoir exercé les grandes charges de la république, consacroit tous ses momens à la culture des lettres, et traçoit à ses concitoyens l'histoire de leur langue, de leur origine, de leur religion et de leur gouvernement; Lucrèce paroit la philosophie des charmes d'une poësie qui réunissoit à la fois le caractère de la simplicité et celui de la majesté le même homme qui méditoit la destruction de la république, s'occupait de perfectionner l'art de bien parler et de bien écrire; César analysoit les mots, les syllabes, et ne croyoit pas s'abaisser en descendant aux fonctions du grammairien le plus scrupuleux. Voilà par quels hommes s'ouvrit ce siècle à jamais mémorable, où les Romains acquirent une domination bien plus glorieuse et bien plus durable que celle où les avoient conduits les succès de leurs armes et de leur politique.

Lorsqu'il s'agit de la grandeur des Romains, on n'est ordinairement frappé que de l'audace de leurs entreprises, de l'éclat de leurs succès, et de l'étendue de leur puissance; on ne remarque pas que ce fut sur-tout par leur attention à cultiver les arts de la paix, ainsi que ceux de la guerre, que les Romains se montrèrent véritablement grands. Les Scipions, les Lælius, les Lucullus, les Caton, les Jules César, furent à-la-fois généraux et philosophes, hommes d'état et hommes de lettres. Ainsi de nos jours, deux héros, unis par les liens de la fraternité, doués des mêmes talens, et couronnés des mêmes lauriers, ont

su

su, par le noble usage qu'ils font du

usage qu'ils font du repos, étendre leur gloire au-delà de leurs travaux et de leurs succès militaires.

Les talens du jeune Catulle se firent bientôt remarquer: en très-peu de temps il vit au nombre de ses amis, les personnages les plus instruits et les plus célèbres, parmi lesquels je me contenterai de nommer Cicéron, qui, de l'aveu de notre poëte, lui rendit un service important, celui peut-être de plaider en sa faveur ; et Cornélius Népos, son compatriote, à qui il dédia une partie de ses ouvrages.

Cependant, Catulle brûloit de connoître la patrie des arts et des lettres, et de s'abreuver aux sources mêmes du savoir, du bon goût et de la véritable politesse, celle de l'esprit et des mœurs. Jamais desir ne fut plus ardent, ni plus promptement satisfait. Mummius partoit pour la Bithynie, en qualité de préteur, et Catulle fut nommé pour l'accompagner. Il parcourut ou plutôt il visita curieusement les principales villes de l'Asie; et sans doute c'est à ce voyage que la poësie Latine fut redevable de ces grâces naïves et piquantes, de ces tournures aimables et faciles, de cet art de traiter avec élégance et pureté les sujets les moins purs et les plus libres, de ce bon ton, de cet enjouement dont la Grèce avoit fourni le modèle, dont elle seule offroit jusqu'alors l'exemple, et que les Romains désespéroient de pouvoir jamais faire passer dans leur langue.

Il paroît que les poësies de Sapho et celles de Callimaque eurent pour lui un attrait particulier; et ce fut, sans doute, par une suite de son admiration pour la Muse de Lesbos, qu'il nomma Lesbie une de ses maîtresses, dont le véritable nom, s'il faut en croire Apulée, étoit Clodia, fille de Métellus Céler.

L'étude et l'usage heureux qu'il fit de la mythologie, la connoissance qu'il acquit des beautés de la langue Grecque, et le succès avec lequel il les transporta dans la sienne, lui valurent la qualification de docte, que ses contemporains s'accordèrent à lui donner, et que lui confirmèrent les âges suivans.

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Si son voyage en Bithynie fut utile à ses talens il ne le fut pas à sa fortune; c'est lui-même qui prend soin de nous en instruire dans deux pièces de vers, d'où le sentiment de sa pauvreté n'a exclu ni la gaieté, ni la bonne plaisanterie.

Tome XLIX.

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Du reste, à juger de ses mœurs par le ton qui règne dans ses ouvrages, on seroit tenté de croire qu'il ne connut jamais l'amour; l'amour est un sentiment qui rarement se fait jour au travers du libertinage; il le connut cependant, et je n'en veux d'autre preuve que les vers suivans :

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O Di! si vestrum est misereri, aut si quibus unquam
Extremâ jam ipsâ in morte tulistis opem,

Me miserum adspicite; et vitam si puriter egi, 、
Eripite hanc pestem perniciemque mihi,

Quæ mihi subrepens imos, ut torpor, in artus,

Expulit ex omni pectore lætitias.

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Dieux immortels! si le sort des misérables humains peut » vous toucher, si jamais un malheureux près d'expirer éprouva >> votre secours tout puissant, voyez l'état où je suis; et pour prix d'une vie innocente et pure, ôtez-moi ce mal redoutable qui, courant par tout mon corps, de veine en veine, comme » un frisson mortel, a banni de mon cœur tout sentiment de plaisir et de joie.

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Ce n'est point là le langage d'un poëte dont le talent est de feindre et de tout imiter; mais bien celui d'un amant malheureux et passionné, qui s'exprime en poëte.

Catulle eut un frère qu'il aima tendrement, et qui mourut en parcourant la solitude qui fut jadis la superbe Troie. A peine en fut-il instruit, qu'il s'exposa aux dangers d'une navigation longue et pénible, pour visiter et arroser de ses pleurs la terre qui couvroit les cendres de ce frère chéri; terre fatale et désastreuse, qui, pour me servir de ses propres expressions, avoit englouti l'Asie et l'Europe. Cette perte empoisonna le reste de ses jours, et il remplit de ses regrets quelques pièces de vers que les ames sensibles s'empresseront toujours de lire, et qu'elles ne liront jamais sans attendrissement. Les sentimens qu'il exprime, la manière dont ils sont exprimés, tout y peint la tendresse gémissante et désolée; jamais la douleur n'eut des accens ni plus touchans ni plus vrais ; et c'est véritablement là que la plaintive élégie se montre avec les cheveux épars et en longs habits de deuil.

Lorsque Catulle revit l'Italie, Rome, dont la destinée étoit

de parcourir, au travers des plus violentes crises, toutes les formes de gouvernement, et de ne rencontrer la paix que dans l'impuissance de recouvrer la liberté, Rome étoit en proie à des factions qui devoient lui être encore plus funestes que toutes celles qui l'avoient jusqu'alors agitée. Pressée entre l'ambition de César et la jalousie de Pompée, la liberté n'avoit plus qu'un reste de vie. Catulle, dont l'ame étoit toute républicaine, et qui, par le haut degré de puissance où le rival de Pompée étoit parvenu, jugeoit de tout le mal qu'il pourroit faire un jour à la république, s'arma contre lui des traits qui jadis avoient si bien servi le ressentiment et l'indignation d'Archiloque; il accabla César d'épigrammes, qui, pour me servir de l'expression de Suétone, lui firent d'éternelles blessures. Mais César, à qui sa politique eût conseillé la clémence, quand même il ne l'auroit pas due à son caractère, se contenta de quelques legères excuses, et continua de le faire asseoir à sa table, où, par considération pour Valérius son père, et, sans doute, par estime pour ses talens, il l'avoit toujours admis.

Cependant, le malheur dont Rome étoit menacée, malheur qu'avoient préparé les Gracques, et qui s'étoit accru par les fureurs de Marius et par celles de Sylla, fut consommé par l'ambition de Jules - César. Mais Catulle n'étoit déjà plus; le spectacle de la tyrannie s'élevant sur les ruines de la liberté, n'affligea point ses derniers regards; de sorte que, pour me servir d'une des plus belles phrases de Cicéron, les Dieux lui ôtèrent moins la vie qu'ils ne lui firent présent de la mort.

Catulle est du très-petit nombre des hommes qui, en passant sur la terre, y ont laissé des traces que le temps n'a pu effacer, et que vraisemblablement il n'effacera jamais. Ce poëte occupa toujours un des premiers rangs dans la république des lettres. Cornélius Népos semble le placer à côté de Lucrèce, et les regarder l'un et l'autre comme les deux plus grands poëtes de son siècle. Ovide, Tibulle et Properce viennent-ils à le nommer; c'est toujours avec le respect qu'on n'accorde et qui n'est dû qu'aux hommes supérieurs. Virgile, dit Martial, n'a pas fait plus d'honneur à Mantoue que Catulle n'en a fait à Vérone. Pline le jeune et Aulu-Gelle l'appellent le plus élégant des poëtes.

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