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hommes, sous l'influence toute puissante de l'Église? N'y a-t-il pas dans cette situation, pour ainsi dire, double des intelligences; dans ce travail à la fois latin et moderne, ecclésiastique et populaire, qui se faisait alors, et qui était indépendant l'un de l'autre, un trait caractéristique du moyen âge, qui n'appartient à aucune autre époque ?

Aujourd'hui notre civilisation courante est devenue le fond de nos pensées les plus intimes. La vie est si savante, si développée, si munie d'inventions ingénieuses, qu'elle est bien plus forte que les souvenirs du passé. C'est dans le temps présent qu'on vit; c'est avec les pensées de tout le monde

les

que chacun pense; études variées, les souvenirs viennent se perdre dans le sentiment actuel de la civilisation, et servent seulement à l'orner et à l'enrichir. Mais il y eut dans le moyen âge un état du monde tout différent, où la science était autre chose que la civilisation; où il existait deux civilisations: une civilisation de réminiscence et de solitude, qui s'entretenait par la contemplation religieuse et l'étude de quelques monumens de l'antiquité; une civilisation de gaîté, de désordre, qui était la vie des châteaux et des cours. Cela ne peut plus se retrouver. Il y a sans doute

ici de bien studieux jeunes gens, dévoués à de longs travaux ; mais jamais ces travaux les emportent-ils tout-à-fait hors de leur temps? sont-ils dans un autre monde, dans un autre ordre d'idées que celui qui préoccupe tous les esprits? Il n'en était pas de même aux x1o et xıra siè– cles. Un homme, dans la solitude du cloître, séparé du monde par la vie religieuse, défendu des violences par les barres qui fermaient la porte du couvent, et par le respect religieux qui en défendait l'entrée, étudiait d'abord les livres saints. Beaucoup d'esprits restaient, pour ainsi dire, opprimés sous le poids de cette étude; et, dans les longs travaux du cloître, le chant grégorien et la prière prenaient toute leur pensée. Mais d'autres esprits plus actifs rêvaient au-delà; ce n'était pas la vie extérieure qui les occupait, c'était la vie antique. Ils ne quittaient pas leur cellule pour errer en imagination au milieu des tournois et des fêtes du moyen âge; c'était un monde inconnu pour eux; on le voit dans la sécheresse des chroniques écrites des moines: mais ils vivaient avec ces par pères de l'antiquité chrétienne, Augustin, Jérôme, qui eux-mêmes étaient, par l'étude, contemporains des grands hommes de l'antiquité païenne. Aussi, un moine savant du x11' siècle,

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sous son costume qui aurait si fort étonné Cicéron, avait cependant un grand nombre d'idées philosophiques, morales, littéraires, en commun avec Cicéron. Par l'imagination et la pensée, il ressemblait bien plus à ces grands. lettrés de l'antiquité qu'à ce baron ignorant et féroce, tout bardé de fer, qui ne savait que piller et tyranniser ses vassaux.

Par exemple, à la fin du xe siècle, dans ce temps où la trève de Dieu obtenait à peine qu'il y eût deux jours de la semaine sans pillage et sans guerre, un savant, un philosophe, comme Gerbert, se formait dans les monastères d'Aurillac et de Bobio. Il relisait les plus précieux manuscrits de l'antiquité latine, ceux même que nous n'avons plus. Il étudiait la métaphysique, l'histoire, les lettres. Il apprenait, d'après quelques traités grecs et latins, les élémens de la géométrie. Il travaillait même à des ouvrages d'une mécanique ingénieuse; il fabriquait des horloges de bois et des sphères. Il les échangeait pour des manuscrits: « Nous ne t'envoyons pas » de sphère, écrivait-il à un de ses amis. Nous >> ne l'avons pas encore. Et ce n'est pas une chose » de peu de travail à faire, au milieu de tant d'occupations. Si donc tu tiens à ces grandes étu

>>

» des, adresse-nous le volume de l'Achilleïde de

>> Stace soigneusement transcrit. Cette sphère, >> que tu n'obtiendras jamais gratis, à cause de » la difficulté d'un tel ouvrage, tu pourras me » l'arracher par ton présent. » Voilà quelles étaient les distractions de ce moine du x' siècle, qui, à la vérité, fut accusé de magie, et qui devint pape. N'est-il pas évident que de pareilles études, de pareils souvenirs, qui le transportaient dans un monde si différent du monde barbare, et même du monde chrétien, devaient déposer dans son esprit une foule de pensées étrangères à son siècle, et faisaient de lui un homme autre que ses contemporains?

Les plus remarquables exemples de ce retour à l'antiquité par l'étude se trouvent précisément à l'époque où naissait et se développait le génie moderne dans une langue vulgaire. Vers les xe et xie siècles, la langue latine, dès longtemps bannie de l'usage vulgaire, quoique réser vée encore aux actes publics, et souvent même à la prédication, était devenue langue savante, mais pourtant familière, et, pour ainsi dire, domestique dans les couvens. Elle y était étudiée avec soin, et parlée naturellement. Elle n'était plus ce qu'on la vit au vrr siècle, emportée par une décadence progressive qui la précipitait vers la barbarie. A cette époque, les savans même,

Grégoire de Tours écrivaient dans un style grossier, dont les constructions sont souvent défectueuses, mêlées de termes qui n'appartiennent pas à la langue latine. Mais au xe et au XIe siècles, vous voyez des moines, des religieuses, des évêques parler une langue qui n'est pas langue latine du siècle d'Auguste, qui a son originalité propre, mais qui en même temps a quelque chose de correct et de savant.

la

peu

Par exemple, il est un écrivain, fort connu de vous peut-être; c'est un Allemand qui vivait au milieu du xie siècle, c'est Lambert d'Affschensbourg. Il a écrit une histoire des guerres de l'Italie contre l'Empire; il a raconté la vie de plusieurs papes de cette époque; il a retracé le caractère des empereurs d'Allemagne; il a expliqué leur politique; il a montré les luttes des grands vassaux d'Allemagne contre la puissance impériale : tout cela dans un style plein de nerf et de vigueur, imité de l'antiquité, sans être servilement calqué, reproduisant des pensées modernes, sans tomber dans la barbarie, altérant quelquefois, par cette élégance, le vrai caractère de la vie féodale, mais offrant cependant le modèle d'une pensée forte et d'une langue généralement expressive et naturelle. Ce phénomène littéraire s'explique aisément.

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