صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

288

COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

les romans du moyen âge ont tracé la peinture idéale. Homme de guerre et de conseil, il porte la prudence, la bonne foi, la prud'hommie au milieu des entreprises les plus téméraires et les plus injustes. Il nous donne l'idée de ces caractères fermes et sévères des vieux temps, qui se remuaient tout d'une pièce, semblables à ces armures d'acier dont les guerriers étaient revêtus. Tel ne nous paraîtra pas un autre chevalier, un autre historien, qui doit nous occuper, le naïf et aimable Joinville. Mais nous réserverons cette étude pour la séance prochaine : elle se rattachera naturellement au progrès de la langue nationale sous saint Louis. Nous suivrons en même temps le nouvel essor que prend la poésie des Trouvères. Thibaut, comte de Champagne, dans ses chants ingénieux, nous fera reconnaître l'idiôme français. Je n'aurai plus besoin d'être pour vous un interprète, et de vous traduire votre langue. Joinville et Thibaut vous mettront au milieu de la France.

NEUVIÈME LEÇON.

Richesse de la poésie des Trouvères aux x11o et x111o siècles.Caractère des Fabliaux.-Romans historiques.-Roman du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel; citations. -Poésies de Thibaut, comte de Champagne. — Joinville. Rare mérite de son ouvrage,

[ocr errors]

MESSIEURS,

Le français septentrional, développé plus tard que le roman du midi, eut une littérature beaucoup plus riche et plus variée. La preuve en serait longue, et je ne peux la donner complète. Plusieurs parties de cette littérature sont frappées d'interdiction pour nous. Il y aurait peu bienséance à chercher, dans cet amas de fabliaux et de contes, l'occasion d'un rire trop facile. Sous le point de vue historique, la liberté

9. T. I, LITT, DU MOY. AGE, 1830.

22

de

des Trouvères n'offre pas le même intérêt que celle des Troubadours; elle n'a pas cette vivacité hautaine et poétique, cette hardiesse éclatante qui forme un singulier contraste avec l'oppression féodale; elle a dans ses médisances quelque chose de sournois. Souvent aussi, ses plaisanteries auraient aujourd'hui un sens et une portée qu'elles n'avaient pas dans le vieux temps. Il serait aisé, comme l'a fait un écrivain célèbre, d'en détacher même des témérités philosophiques. La citation exacte serait un mensonge; car, pour les contemporains, ces impiétés apparentes n'étaient pas ce qu'elles seraient pour nous. Il y avait alors beaucoup de candeur dans les esprits et de corruption dans les mœurs : c'est le double caractère qui se fait sentir dans cette foule de fabliaux, recueillis et extraits par Legrand d'Aussy. On peut les étudier dans le texte original, sous le rapport de la langue et même du style, à la fois grossier et malin; on peut y chercher curieusement l'origine de plus d'un récit de Boccace et des autres conteurs italiens; surtout, on peut s'en servir pour deviner les mœurs bourgeoises et la vie familière du temps, de même qu'on se sert des romans de chevalerie pour retrouver les usages de la vie. guerrière et seigneuriale. Mais cette étude, nous

pouvons l'indiquer plutôt que la faire: qu'il nous suffise de constater ici que l'esprit des Trouvères, au xire et au XIII' siècle, a mis en mouvement l'imagination italienne, si féconde dans l'âge suivant. Sans doute les modèles ont été bien surpassés par les imitateurs. Sans doute aussi quelquesuns de ces modèles ne méritaient pas beaucoup d'être imités. Mais ce ne sont pas seulement des contes licencieux que l'Italie a empruntés aux Trouvères; c'est chez eux que Boccace a puisé cette histoire de Griselidis, où la plus parfaite pureté morale est développée avec tant d'imagination et de grâce. Boccace a jeté son style et son génie sur ce vieux conte de nos poètes.

Mais comment ce qui était rude et grossier dans une langue, a-t-il été porté dans une autre, presque contemporaine, à ce haut point de perfection élégante? Pourquoi la langue italienne est-elle comme fixée dès le commencement du XIVe siècle, tandis que la nôtre changeait sans cesse, et que ses monumens devenaient presque inintelligibles pour les nationaux, à cinquante ans de leur date première ? Ces questions doivent s'éclaircir par la comparaison des faits. En France, les fabliaux n'étaient que des traditions bourgeoises et populaires, écrites par le premier venu: en

Italie, ils furent des ouvrages d'art, composés par des hommes de génie; et l'homme de génie seul fixe une langue, en la personnifiant par son style. Tant qu'il n'y a, pour ainsi dire, d'imagination que dans la foule, dans le peuple d'un pays, l'idiôme est variable, incertain; c'est une mer agitée, où l'on ne peut élever aucune construction. Mais quand l'imagination supérieure d'un homme maîtrise toutes les autres, elle laisse après elle un monument durable. Les fabliaux sans nombre et sans nom de nos auteurs sont oubliés : quelques récits de Boccace et de deux ou trois de ses contemporains ont servi, comme les vers du Dante, fixer une grande époque de la langue et du génie moderne.

à

Pour énumérer tous les titres de nos faiseurs de fabliaux, nous pourrions aussi chercher ce que leur emprunta le génie de Molière. Molière, comme Lafontaine, un peu gêné par les nobles entraves du siècle de Louis XIV, aimait à revenir à ces vieux récits gaulois; il n'en redoutait pas la licence, et en prenait la gaîté vive et peu contenue. Ce n'est pas le Tartufe qu'il a pris chez les Trouvères, bien qu'on s'y moque déjà des Papelards et des hypocrites : mais les scènes bouffonnes du Médecin malgré lui sont

« السابقةمتابعة »