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droit de sa clémence. Théodose versa des larmes : son cœur commencoit à s'attendrir; mais la colère combattoit encore ces premiers mouvemens de compassion.

Il y avoit déjà sept ou huit jours que Flavien étoit arrivé à Constantinople. Mais, soit qu'il crût que l'empereur était trop irrité, soit que ce prince l'évitât à dessein, il ne s'étoit point jusqu'alors présenté à Théodose. Plongé dans la douleur la plus amère, il ne s'occupoit que des maux de son peuple.Son absence les lui rendoit plus sensibles , parce qu'il ne pouvoit les soulager. Ses entrailles étoient déchirées. Il passoit les jours et les nuits à verser des larmes devant Dieu, le priant d'amollir le cœur du prince. L'arrivée de Césaire lui rendit le courage. Il alla au palais. Dès qu'il parut devant l'empereur, il se tint éloigné, dans un morne silence, le visage baissé vers la terre, comme s'il eût été chargé de tous les crimes de ses compatriotes. Théodose, le voyant confus et interdit, s'approcha lui-même; et levant à peine les yeux, le cœur serré de douleur, au lieu de s'abandonner aux éclats d'une juste colère, il sembloit faire une apologie. Rappelant en peu de mots tout ce qu'il avoit fait pour Antioche, il ajoutoit à chaque trait: « C'est donc ainsi que j'ai mérité tant d'outrages! » Enfin, après le récit des bienfaits dont il avoit comblé cette ville ingrate : « Quelle est donc << l'injustice dont ils ont prétendu se, venger, conti« nua-t-il? Pourquoi, non contens de m'insulter, ont<«< ils porté leur fureur jusques sur les morts? Si « j'étois coupable à leur égard, pourquoi outrager << ceux qui ne sont plus, et qui ne les ont jamais offen« sés ? N'ai-je pas donné à leur ville des marques de << préférence sur toutes les autres de l'empire? Je « désirois ardemment de la voir: j'en parlois sans cesse; << j'attendois avec impatience le moment où je pour << rois, en personne, recevoir les témoignages de leur << affection, et leur en donner de ma tendresse. ».

Flavien, pénétré de ces reproches, et fondant en larmes, pousse un profond soupir, rompt enfin le silence, et d'une voix entrecoupée de sanglots : « Prince, dit-il, notre ville infortunée n'a que trop de preuves de votre

amour; et ce qui faisoit sa gloire, fait aujourd'hui sa honte et notre douleur. Détruisez-la jusqu'aux fondemens, réduisez-la en cendres, faites périr jusqu'à nos enfans par le tranchant de l'épée: nous méritons encore de plus sévères châtimens ; et toute la terre, épouvantée de notre supplice, avouera cependant qu'il est audessous de notre ingratitude. Nous en sommes même déjà réduits à ne pouvoir être plus malheureux. Accablés de notre disgrace, nous ne sommes plus qu'un objet d'horreur. Nous avons, dans votre personne, offensé l'univers entier : il s'élève contre nous plus fortement que vous-même. Ilne reste à nos maux qu'un seul remède. Imitez la bonté de Dieu : outragé par ses créatures, il leur a ouvert les cieux. J'ose le dire, grand prince, si vous nous pardonnez, nous devons notre salut à votre indulgence; mais vous devrez à notre offense l'éclat d'une gloire nouvelle. Nous vous aurons, par notre attentat, préparé une couronne plus brillante que celle dont Gratien a orné votre tête : vous ne latiendrez que de votre vertu. On a détruit vos statues. Ah ! qu'il vous est facile d'en rétablir qui soient infiniment plus précieuses! Cene seront pas des statues muettes et fragiles, exposées dans les places aux caprices et aux injures: ouvrages de la clémence,et aussi immortelles que la vertu même, celles-ci seront placées dans tous les cœurs; et vous aurez autant de monumens qu'il y a d'hommes sur la terre, et qu'il en aura jamais. Non, les exploits guerriers, les trésors, la vaste étendue d'un empire, ne procurent pas aux princes un honneur aussi pur et aussi durable que la bonté et la douceur. Rappelez-vous les outrages que des mains séditieuses firent aux statues de Constantin, et les conseils de ces courtisans qui l'excitoient à la vengeance. Vous savez que ce prince, portant alors la main à son front, leur répondit en souriant: Rassurez-vous, je ne suis point blessé. On a oublié une partie des victoires de cet illustre empereur; mais cette parole a survécu à ses trophées : elle sera entendue des siècles à venir; elle lui méritera à jamais les éloges et les bénédictions de tous les hommes. Qu'est-il besoin de vous mettre sous les yeux des exem

ples

ples étrangers? Il ne faut que vous montrer vous-même. Souvenez-vous de ce soupir généreux que la clémence fit sortir de votre bouche, lorsqu'aux approches de la fête de Pâques, annonçant, par un édit, aux criminels leur pardon, et aux prisonniers leur délivrance, vous ajoutâtes: Que n'ai-je aussi le pouvoir de ressusciter les morts! Vous pouvez opérer aujourd'hui ce miracle. Antioche n'est plus qu'un sépulcre ; ses habitans ne sont plus que des cadavres ; ils sont morts avant le supplice qu'ils ont mérité vous pouvez, d'un seul mot, leur rendre la vie. Les infidèles s'écrieront: Qu'il est grand, le Dieu des chrétiens! Des hommes il en sait faire des anges: il les affranchit de la tyrannie de la nature. Ne craignez pas que votre impunité corrompe les autres villes. Hélas! notre sort ne peut qu'effrayer. Tremblans sans cesse, regardant chaque nuit comme la dernière, chaque jour comme celui de notre supplice, fuyant dans les déserts, en proie aux bêtes féroces, cachés dans les cavernes, dans les creux des rochers, nous donnons au reste du monde l'exemple le plus funeste. Détruisez Antioche; mais détruisez-la comme le Tout-Puissant détruisit autrefois Ninive. Effacez notre crime par pardon; anéantissez la mémoire de notre attentat, en faisant naître l'amour et la reconnoissance. Il est aisé de brûler des maisons, d'abattre des murailles; mais de changer tout-à-coup des rebelles en sujets fidèles et affectionnés, c'est l'effet d'une vertu divine. Quelle conquête une seule parole peut vous procurer! Elle vous gagnera les cœurs de tous les hommes. Quelle récompense vous recevrez de l'Eternel! Il vous tiendra compte, non-seulement de votre bonté, mais aussi de toutes les actions de miséricorde que votre exemple produira dans la suite des siècles. Prince invincible, ne rougissez pas de céder à un foible vieillard, après avoir résisté aux prières de vos plus braves officiers. Ce sera céder au souverain des empereurs, qui m'envoie pour vous présenter l'Evangile, et vous dire de sa part: Sivous neremettez pas les offenses commises contre vous,votre Père céleste ne vous remettra pas les vôtres. Représentez-vous ce jour terrible, dans lequel les princes et lessu

Tome III.

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jets comparoîtront au tribunal de la suprême justice, et faites réflexion que toutes vos fautes seront alors effacées par le pardon que vous nous aurez accordé. Pour moi, je vous le proteste, grand prince, si votre juste indignation s'appaise, si vous rendez à notre patrie votre bienveillance, j'y retournerai avec joie ; j'irai bénir, avec mon peuple, la Bonté divine, et célébrer la vôtre. Mais si vous ne jetez plus sur Antioche que des regards irrités, mon peuple ne sera plus mon peuple: je ne le reverrai plus; j'irai, dans une retraite éloignée, cacher ma honte et mon affliction; j'irai pleurer, jusqu'à mon dernier soupir, le malheur d'une ville qui aura rendu implacable à son égard le plus humain et le plus doux de tous les princes. »

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Pendant tout le discours de Flavien, l'empereur avoit fait effort sur lui-même pour resserrer sa douleur.Enfin, ne pouvant plus retenir ses larmes : « Pourrions-nous, << dit-il, refuser le pardon à des hommes semblables à « nous, après que le Maître du monde, s'étant réduit << pour nous à la condition d'esclave, a bien voulu de<< mander grace à son père pour les auteurs de son sup« plice, qu'il avoit comblés de ses bienfaits? » Flavien, touché de la plus vive reconnoissance, demandoit à l'empereur la permission de demeurer àConstantinople,pour célébrer avec lui la fête de Pâques. « Allez, mon père, « << lui dit Théodose, hâtez-vous de vous montrer à votre < peuple rendez le calme à la ville d'Antioche. Après << une si violente tempête, elle ne sera rassurée que lors<< qu'elle reverra son pilote. » L'évêque le supplioit d'envoyer son fils Arcadius. Le prince, pour lui témoigner que, s'il lui refusoit cette grace, ce n'étoit par aucune impression de ressentiment, lui répondit : «Priez Dieu « qu'il me délivre des guerres dont je suis menacé, et << vous me verrez bientôt moi-même.» Lorsque le prélat eut passé le détroit, Théodose lui envoya encore des officiers de sa cour, pour le presser de se rendre à son troupeau avant la fête de Pâques. Quoique Flavien usât de toute la diligence dont il étoit capable, cependant, pour ne pas dérober à son peuple quelques momens de joie, il se fit devancer par des courriers qui portèrent la

lettre de l'empereur avec une promptitude incroyable. Depuis que Césaire étoit parti d'Antioche, les esprits flottoient entre l'espérance et la crainte.Les prisonniers sur-tout recevoient sans cesse des alarmes,par les bruits publics qui se répandoient, que l'empereur étoit inflexible; qu'il persistoit dans la résolution de ruiner la ville. Leurs parens et leurs amis, gémissant avec eux, leur disoient tous les jours le dernier adieu; et l'éloquente charité de S.Jean Chrysostome pouvoit à peine les rassurer. Enfin la lettre de Théodose arriva pendant la nuit, et fut rendue à Hellébique.Cet officier généreux sentit le premier toute la joie qu'il alloit répandre dans Antioche. Il attendit le jour avec impatience; et dès le matin il se transporta au prétoire. L'allégresse peinte sur son visage annoncoit le salut. Il fut bientôt environné d'une foule de peuple qui poussoit des cris de joie ; et ce lieu, arrosé de tant de larmes quelques jours auparavant, retentissoit d'acclamations et d'éloges. Tous ceux que la crainte avoit jusqu'alors tenus cachés, accouroient avec transport. Tous s'efforçoient d'approcher d'Hellébique. Ayant imposé silence, il fit lui-même la lecture de la lettre. Elle contenoit des reproches tendres et paternels. Théodose y paroissoit plus touché des insultes faites à Flaccille et à son père, que de celles qui tomboient sur lui-même. Il y censuroit cet esprit de révolte et de mutinerie,qui sembloit faire le caractère du peuple d'Antioche; mais il ajoutoit qu'il étoit encore plus naturel à Théodose de pardonner. Il témoignoit être affligé que les magistrats eussent ôté la vie à quelques coupables, et finissoit par révoquer tous les ordres qu'il avoit donnés pour la punition de la ville et des habitans.

A ces mots, il s'élève un cri général. Tous se dispersent pour aller porter cette heureuse nouvelle à leurs femmes et à leurs enfans. La veille,on accusoit de lenteur Flavien et Césaire; en ce moment on s'étonne qu'une affaire si importante, si difficile, ait été si promptement terminée. On ouvre les bains publics: on orne les rues et les places de festons et de guirlandes; on y dresse des tables Antioche entière n'est plus qu'une salle de festin. La nuit suivante égale la lumière des plus beaux jours;la

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