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au coin de la bonté. Le duc de Sully, qui étoit près de lui, le voyant attendri à la vue de cette multitude qui poussoit des cris d'allégresse, et qu'on lui avoit représentée si animée contre sa personne, ne put s'empêcher de lui dire : « Eh bien! sire, voilà ces gens << que l'on s'attachoit à vous peindre comme vos plus < cruels ennemis ! Ne semble-t-il pas, au contraire << qu'ils revoient en vous un libérateur et un père? » Henri ne put répondre que par des larmes de tendresse.

4. Dans un manuscrit que possède une de plus riches bibliothèques de Paris, on lit que les comtes de Ligneville et d'Autricourt, frères jumeaux, issus de l'une des quatre maisons de l'ancienne chevalerie de Lorraine, étoient si ressemblans, que quand ils s'habilloient l'un comme l'autre, ce qui leur arrivoit de temps en temps pour s'amuser, leurs domestiques ne pouvoient les distinguer. Ils avoient le même son de voix, la même démarche, le même maintien ; et ces rapports parfaits jetoient dans le plus grand embarras les personnes avec lesquelles ils étoient liés, et souvent leurs femmes même. Etant tous deux capitaines des chevaux-légers, l'un se plaçoit à la tête de l'escadron de l'autre, sans que les cavaliers et les officiers se doutassent de cet échange. Le comte d'Autricourt eut une affaire criminelle; il ne tenoit qu'à sa partie adverse de le priver de la liberté. Que fit le comte de Ligneville? Il ne quitta plus son frère, ne le laissa plus sortir sans l'accompagner; et la crainte de saisir l'innocent au lieu du coupable, rendit nuls les droits qu'on avoit obtenus sur la personne du comte d'Autricourt. Ils s'amusèrent un jour d'une scène assez plaisante. M. de Ligneville fit appeler un barbier. Après s'être fait raser un côté, il prétexte une affaire pour passer dans l'appartement voisin. M. d'Autricourt y étoit caché; il endosse la robe-de-chambre de son frère, s'attache la serviette au cou, et vient s'asseoir dans le siége qu'avoit quitté M. de Ligneville. Le barbier se met en devoir raser l'autre côté; mais quelle fut sa surprise en voyant que la barbe étoit en un instant revenue! Ne doutant point que ce ne soit un démon qui a pris la figure Tome III.

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de sa pratique, il fait un grand cris, et s'évanouit. Tandis qu'on s'occupoit à le faire revenir, le comte d'Autricourt rentra dans le cabinet, et M. de Ligneville, à demi-rasé, reprit sa place. Nouvelle surprise le barbier : il croit avoir rêvé tout ce qu'il a vu, et pour n'est convaincu de la vérité, qu'en voyant, qu'en touchant les deux frères ensemble. La sympathie_qui régnoit entre eux, n'étoit pas moins originale que leur ressemblance ils ont toujours été malades dans le même temps. Si l'un recevoit une blessure, l'autre en ressentoit de la douleur : il en étoit de même de tous leurs maux; aussi veilloient-ils avec le plus grand intérêt à la conduite l'un de l'autre. Ce qu'il y a de plus étonnant encore, c'est que très-souvent ils faisoient les mêmes songes. Le jour que le comte d'Autricourt fut attaqué en France d'une fièvre continue, dont il mourut, le comte de Ligneville ressentit en Bavière les accès de la même fièvre, et il auroit succombé comme son frère, ajoute le manuscrit, säl n'avoit fait un voeu à Notre-Dame d'Altenting. Si tous -ces faits sont véritables, il faut avouer qu'ils ont de quoi confondre la pénétration des physiciens les plus subtils, et qu'ils nous annoncent bien des découvertes à faire encore dans le systême de la nature.

TALEN S.

1.RIENne donne une meilleure éducation qu'une petite fortune, pourvu qu'elle soit aidée de quelques talens. La force de l'inclination, le besoin de parvenir, le peu de secours même, aiguisent le désir et l'industrie, mettent en œuvre tout ce qui est en nous. Le savant Alexis Littre, académicien célèbre, joignit à ces avantages un caractère très-sérieux, très-appliqué, et qui n'avoit rien de jeune que le pouvoir de soutenir beaucoup de travail. Sans tout cela, dénué de ressources, comment eût-il pu subsister durant le cours de ses études? Une grande économie n'eût pas suffi. Il fallut qu'il répétât à d'autres écoliers plus riches et moins diligens, ce qu'on venoit presque dans l'instant de leur enseigner à tous ; et il en tiroit la double utilité de vivre plus

commoděment, et de savoir mieux. La promenade eût été une débauche pour lui. Dans les temps où il étoit libre, il suivoit un médecin chez ses malades ; et au retour, il s'enfermoit pour écrire les raisonnemens qu'il avoit entendus. A la fin de ses études, il se trouva un petit fonds pour aller à Montpellier, où l'attiroit la grande réputation des écoles de médecine; et il fit sibien, qu'il fut encore en état de venir de là à Paris, le séjour ordinaire et le lycée des véritables talens.

Sa plus forte inclination étoit pour l'anatomie; mais, de toutes les inclinations qui ont une science pour objet, c'est la plus difficile à satisfaire. Les sortes de livres qui seuls enseignent surement l'anatomie, ceux qu'il faut le plus étudier, sont rares; on ne lès a pas sous sa main en aussi grand nombre et dans le temps qu'on voudroit. Un certain sentiment, confus à la vérité, mais très-fort, et si général qu'il peut passer pour naturel, fait respecter les cadavres humains; la France n'est pas à cet égard autant au-dessus de la superstition chinoise, qui révère les morts, que les anatomistes le désireroient. Chaque famille veut que son défunt n'ait plusqu'à jouir de ses obsèques, et ne souffre point qu'il soit sacrifié à l'instruction publique; à peine seulement permettra-t-elle, en quelques occasions, qu'il le soit à son intérêt particulier. La police restreint extrêmement la permission de disséquer les morts; et ceux à qui elle l'accorde pour l'utilité commune, en sont beaucoup plus jaloux que cette utilité ne demanderoit. Quand on n'est pas de leur nombre, on ne fait guère de progrès en anatomie, qui ne soient en quelque sorte illégitimes. On est réduit à frauder les lois, et à ne s'instruire que par artifice, par surprise, à force de larcins toujours un peu dangereux. M. Littre étant à Paris, éprouva les inconvéniens de son amour pour l'anatomie. Il est vrai qu'il fut un temps assez tranquille, grace à la liaison qu'il fit avec un chirurgien de la Salpêtrière, qui avoit à sa discrétion tous les cadavres de l'hôpital. Il s'enferma avec lui pendant l'hiver de 1684, qui heureusement fut fort long et très-froid; et ils disséquèrent ensemble plus de deux cents cadavres. Mais le savoir qu'il acquit par là

le grand nombre d'étudians qui coururent à lui, excitèrent des envieux qui le traversèrent. Il se réfugia dans le temple, où les plus grands criminels se mettent quelquefois à l'abri des priviléges du lieu. Il crut y pouvoir travailler en sureté, avec la permission du grandprieur de Vendôme; mais un officier subalterne, avec qui il n'avoit pas songé à prendre les mesures nécessaires, permit qu'on lui enlevât le trésor qu'il tenoit caché dans cet asile, un cadavre qui l'occupoit alors. Cet enlèvement se fit avec une pompe insultante. On triomphoit d'avoir arrêté les progrès d'un jeune homme qui n'avoit pas droit de devenir si habile.

Malgré ses malheurs, et peut-être par ces malheurs même, sa réputation croissoit, et les écoliers se multiplioient. Ils n'attendoient point de lui les graces du discours, ni uuc agréable facilité de débiter son savoir; mais une exactitude scrupuleuse à démontrer, une extrême timidité à conjecturer de simples faits bien vus. De plus ils s'attachoient à lui par la part qu'il leur donnoit à la gloire de ses découvertes dès qu'ils le méritoient, ou pour avoir aperçu quelque chose de nouveau, ou pour avoir eu quelque idée singulière et juste. Ce n'étoit point qu'il affectât de mettre leur vanité dans ses intérêts: il n'étoit pas si fin ni si adroit : il ne songeoit qu'à leur rendre loyalement ce qui leur étoit dû. Malgré toutes ses lumières, il s'empressoit cependant toujours de s'instruire avec l'avidité d'un disciple. Il assistoit à toutes les conférences qui se tenoient sur les matières qui l'intéressoient. Il suivoit les médecins dans leurs visites; il se trouvoit aux pansemens des hôpitaux. Enfin il fut reçu docteur-régent de la faculté de Paris. L'éloquence lui manquoit absolument. Un simple anatomiste peut s'en passer, mais un médecin ne le peut guère. L'un n'a que des faits à découvrir et à exposer aux yeux; mais l'autre, éternellement obligé de conjecturer sur des matières très-douteuses, l'est aussi d'appuyer ses conjectures par des raisonnemens assez solides, ou qui du moins rassurent et flattent l'imagination effrayée. Il doit quelquefois parler sans avoir d'autre but que de parler; car il a le malheur de

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ne traiter avec les hommes que dans le temps précisément où ils sont plus foibles et plus enfans que jamais. Cette puérilité de maladie règne pricipalement dans le grand monde, et surtout dans une moitié de ce grand monde, qui occupe plus les médecins, qui sait mieux les mettre à la mode, et qui a plus souvent besoin d'être amusée que guérie. Un médecin peut agir plus raisonnablement avec le peuple; mais, en 1 général, s'il n'a pas le don de la parole, il faut presque qu'il ait, en récompense, celui des miracles. Aussi ne fut-ce qu'à force d'habileté que M. Littre réussit dans cette profession; encore ne réussit-il que parmi ceux qui se contentoient de l'art de la médecine, dénué de celui du médecin. Sa vogue ne s'étendit point jusqu'à la cour; mais malgré tant d'obstacles, son rare mérite, justement apprécié, fut jugé digne de décorer l'académie des sciences. On connut bientôt M. Littre dans cette docte compagnie, non par son empressement à se faire connoître à dire son sentiment, à combattre celui des autres, à étaler un savoir imposant, quoique inutile; mais par sa circonspection à proposer ses pensées, par son respect pour celles d'autrui, par la justesse et la précision des ouvrages qu'il donnoit, par son silence même. Il fut toujours d'une assiduité exemplaire à l'académie, fort exact à s'acquitter. des travaux qu'il lui devoit, si ce n'est qu'il s'en affranchit les trois ou quatre dernières années de sa vie, parce qu'il perdoit la vue de jour en jour; mais il ne se relâcha point sur l'assiduité. Alors il se mit à garder dans les assemblées un silence dont il n'est jamais sorti : il paroissoit un disciple de Pythagore, quoiqu'il pût toujours parler en maître sur les matières qui l'avoient occupé. Ceux d'entre les gens de bien qui condamnent tant les spectacles, l'auroient trouvé bien net sur cet article: jamais il n'en avoit vu aucun. Il n'y a pas de mémoire qu'il se soit diverti. Il n'avoit de sa vie songé au mariage; et ceux qui l'ont vu de plus près ont assuré que les raisons de conscience n'avoient jamais dû être assez pressantes pour l'y porter. Presque tous les hommes ne songent qu'à étendre leur sphère, et à y faire entrer tout ce qu'ils peuvent d'étranger:

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