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passé la nuit à table, s'en retourna dans son logis, après le lever du soleil. Dans sa route, il vit la porte du philosophe Xénocrate ouverte. Chargé du vin, frotté de parfums, la tête couronnée de fleurs, paré d'une robe très-fine, il entre dans l'école de ce sage, et se met au nombre de ses disciples, pour tourner en ridicule son éloquence et ses sublimes préceptes. Toute l'assemblée en concut une juste indignation. Xénocrate seul n'en parut point ému. Seulement, interrompant le fil de la matière qu'il traitoit, il se jeta sur la tempérance et sur la modestie. Polémon, forcé de revenir à son bon sens par l'énergie victorieuse des discours du philosophe arracha d'abord de sa tête la couronne de fleurs qu'il portoit un instant après il remit son manteau sur son bras nu, quitta la gaieté de son visage, et déposa enfin par degrés toutes les marques de sa dissolution. Guéri par l'impression salutaire d'une seule leçon, il devint tout-à-coup l'amateur le plus zélé de la philosophie, qui rendit bientôt son nom célèbre.

5. « Pourquoi, seigneur, vous livrez-vous avec tant << d'ardeur à l'étude de la philosophie?» disoit quelqu'un au roi Hiéron. « A quoi peut-elle vous servir? Elle << m'apprend, répondit le monarque, à faire volontiers << et avec plaisir ce que les autres hommes font par la

<< crainte de lois. »

6. Alexandre-le-Grand ayant pris une forte place, ordonna qu'on la saccageât; mais quelques grands de sa cour lui dirent qu'il y avoit dans cette ville un philosophe célèbre qui méritoit bien d'être écouté. Le conquérant se le fit amener; et l'ayant trouvé de fort mauvaise mine, il dit à ceux qui le lui avoient présenté : <«< Voilà une étrange figure d'homme! » Le philosophe, indigné de ce mépris, récita hardiment à ce prince des vers qu'il composa sur-le-champ, et dont voici le sens : << Monarque dédaigneux, vous avez lort de me mépriser « surmamauvaise mine; le corps de l'homme n'est qu'un << fourreau dans lequel l'ame est mise, comme une épée: << c'est elle qu'il faut estimer, et non pas le fourreau. » A ces vers il ajouta cette instruction dont le vainqueur de Darius avoit alors besoin : « On peut dire d'un homme

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qui n'est doué d'aucune vertu, que son corps n'est pour lui qu'une affreuse prison où mille bourreaux le tourmentent.Il ne faut ni prévôt, ni archers pour le mettre aux fers, ni pour lui donner la torture: ses vices le poursuivent sans cesse ; et la peau qui couvre son corps est pour lui un cachot perpétuel. » Ces réflexions plurent tellement au roi de Macédoine, qu'il pria le philosophe de continuer d'en faire ; et le sage,charmé d'instruire un grand roi, ajouta : « Il n'est pas raisonnable d'envier aux autres les biens que Dieu et la nature leur ont donnés ; l'envieux n'est jamais content: il querelle, pour ainsi dire, sans cesse le Créateur; il trouve mauvais tout ce qu'il donne aux autres, et voudroit toujours avoir ce qui n'est pas fait pour lui. Il résiste pétuellement aux ordres suprêmes de celui qui gouverne le monde avec tant de sagesse ; et sa bouche criminelle murmure à chaque instant contre la divine Providence. » Puis, entrant plus avant dans ce qui le regardoit plus particuliérement, illui dit : «Les railleries et les injures que les grands font aux petits ternissent le lustre de leur grandeur, diminuent le respect que l'on a pour eux, et leur attirent enfin le mépris. Si vous vous divertissez aux dépens d'un pauvre misérable,je crains bien que cet orgueil ne vous fasse perdre quelque chose de la grandeur que vous affectez.Ne vous moquez jamais d'un homme de basse fortune; car, en le faisant, vous perdrez toujours quelque chose du respect qui vous est dû.» Cette excellente morale frappa singuliérement Alexandre; et, la philosophie triomphant de la colère, le conquérant pardonna à la ville qu'il vouloit ruiner, en considération du philosophe, qu'il renvoya comblé de faveurs et de très-riches présens. 7.Solon, l'un des sept sages de la Grèce, après avoir établi de sages lois à Athènes, crut devoir s'en absenter pendant quelques années, et profiter de ce temps pour faire différens voyages. Il vint à Sardes, capitale de Lydie, où régnoit Crésus, le plus opulent des monarques de son siècle. Il y fut reçu avec tous les honneurs dûs à sa haute réputation. Le prince, accompagné d'une cour nombreuse, parut dans tout l'éclat de la royauté,

et avec les habits les plus magnifiques, où l'or et les pierreries brilloient de toutes parts. Quelque nouveau que fût ce spectacle pour Solon, on ne s'aperçut point qu'il en fût ému; et il ne proféra pas la moindre parole qui sentît la surprise ou l'admiration ; mais il laissa entrevoir aux gens de bons sens, qu'il regardoit toute cette pompe comme un vain éclat, capable de frapper des regards vulgaires, mais indifférent pour des yeux accoutumés à juger des choses par les lumières de la philosophie. Un abord si froid et si tranquille ne prévint pas Crésus en faveur de son hôte.

Ce prince commanda qu'on lui montrât tous ses trésors, et qu'on lui fit voir la somptuosité et la magnificence de ses appartemens et de ses meubles, comme pour vaincre, par cette multitude de vases précieux, de pierreries, de statues, de peintures, l'indifférence du philosophe. Mais tout cela n'étoit point le roi, et c'étoit lui que Solon venoit visiter, non les murs ni les chambres de son palais ; et ́il croyoit devoir juger de lui, et l'estimer, non par tout cet appareil extérieur qui lui étoit étranger, mais par lui-même et par ses qualités personnelles. Ce seroit réduire bien des grands à une affreuse solitude, que d'en user ainsi. Quand le sage observateur eut tout vu, on le ramena. Crésus alors lui demanda qui, dans les différens voyages qu'il avoit faits, lui avoit paru jouir d'un véritable bonheur. «C'est, répondit Solon, un bourgeois d'Athènes, « nommé Tellus, fort homme de bien, qui, après avoir << été toute sa vie à couvert de la nécessité, et avoir vu << sa patrie toujours florissante, a laissé après lui des << enfans généralement estimés de tout le monde, a << eu la joie de voir les enfans de ses enfans, et enfin est < mort en combattant glorieusement pour sa patrie. » Une telle réponse, où l'on comptoit pour rien l'or et l'argent, parutà Crésus d'une grossiéreté et d'une stupiditépeu communes. Cependant,comme il ne désespéroit pas d'avoir le second rang dans la félicité, il lui demanda qui, après Tellus, il avoit vu de plus heureux. Solon répondit que c'étoient Cléobis et Biton d'Argos, deux frères qui avoient été un parfait modèle de l'amitié fraternelle, et du respect qui est dû aux parens. Un jour de

fête solennelle, où la prêtresse, leur mère, devoit aller au temple de Junon, ses boeufs tardant trop à venir, ils se mirent eux-mêmes au joug, et traînèrent le char de leur mère jusqu'au temple, pendant près de deux lieues. Toutes les mères, ravies en admiration, félicitèrent celle-ci d'avoir mis au moude de tels enfans. Pénétrée des plus vifs sentimens de joie et de reconnoisssance, elle pria instamment la déesse de vouloir accorder à ses deux fils, pour récompense, ce qu'il y avoit de meilleur pour les hommes. Elle fut exaucée. Après le sacrifice, ils s'endormirent dans le temple même d'un doux sommeil, et terminèrent leur vie par une mort tranquille.Pour honorer leur piété, ceux d'Argos consacrèrent leurs statues dans le temple de Delphes.

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« Vous ne me mettez donc point du nombre des << gens heureux ? » dit Crésus d'un ton qui marquoit son mécontentement? Solon, qui ne vouloit ni le flatter, ni l'aigrir davantage, lui dit avec douceur: << Roi " de Lydie, Dieu nous a donné, à nous autres Grecs, << outre plusieurs autres avantages, un esprit de modération et de retenue, qui a formé parmi nous une sorte de philosophie simple et populaire, accompa«gnée d'une noble hardiesse, sans faste et sans os«tention, peu propre à la cour des rois, et qui, nous << apprenant que la vie des hommes est sujette à mille << vicissitudes, ne nous permet ni de nous glorifier des << biens dont nous jouissons nous-mêmes, ni d'admirer <«< dans les autres une félicité qui peut n'être que pas<< sagère, et n'avoir rien de réel.» A cette occasion, il lui représenta que la vie de l'homme est ordinairement composée de soixante et dix années, qui font en tout vingt-six mille deux cent cinquante jours, dont aucun ne ressemble à l'autre. « Ainsi, l'avenir est pour chaque homme un tissu d'accidens tout divers qui ne peuvent être prévus; celui-là donc nous paroît très-heureux, de qui Dieu a continué la félicité jusqu'au dernier moment de sa vie : pour les autres qui se trouvent exposés à mille dangers, leur bonheur nous paroît aussi incertain que la couronne pour celui qui combat encore, et qui n'a pas encore vaincu. »

Solon

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Solon se retira après ces paroles, qui ne firent qu'affliger Crésus, sans le corriger.

8.Pythagore,citoyen de Samos,après avoir parcouru beaucoup de pays, et s'être enrichi l'esprit d'un grand nombre de rares connoissances, revint dans sa patrie, où il ne fit pas un long séjour, à cause du gouvernement tyrannique qu'il y trouva établi par Polycrate, qui avoit néanmoins pour lui tous les égards possibles, et qui faisoit de son mérite tout le cas qu'il devoit. Mais l'étude des sciences, etsur-tout de la philosophie,ne peut guère s'accorder avec la servitude, même la plus douce et la plus honorable. Il passa donc en Italie; et bientôt cette contrée se ressentit de la présence de ce grave philosophe.Le goût de l'étude et l'amour de la sagesse s'y répandirent généralement en fort peu de temps. On accouroit de toutes les villes voisines pour voir Pythagore, pour l'entendre, et pour profiter de ses salutaires avis. Tous les princes du pays se faisoient un plaisir et un honneur de l'avoir chez eux, de s'entretenir avec lui, et de prendre ses leçons sur la manière de gouverner sagement les peuples. Son école devint la plus célèbre qui eût encore été. Il n'avoit pas moins de quatre ou cinq cents disciples. Avant que de les admettre dans ce rang, il les éprouvoit par une espèce de noviciat qui duroit cinq ans ; et pendant tout ce temps-là il les condamnoit à un rigoureux silence, parce qu'il vouloit qu'ils fussent instruits avant que de parler. Ses disciples avoient un grand respect pour tout ce qui sortoit de sa bouche; et, sans autre examen, il suffisoit qu'il eût parlé pour se faire croire; et pour assurer que quelque chose étoit vrai, ils avoient coutume de s'exprimer ainsi : «Le maître l'a dit.» C'étoit sans doute porter trop loin la déférence et la docilité, que de faire le sacrifice absolu de sa raison et de ses lumière. Il sortit de l'école de Pythago re un grand nombre d'illustres disciples, qui firent un honneur infini à leur maître ; de sages législateurs, de grands politiques, des personnes habiles dans toutes les sciences, des hommes capablesde gouverner les Etats, et d'être les ministres des plus grands prinoes. Long-temps après sa mort, cettte partie de l'Italie Tome III.

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