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qu'il avoit cultivée et instruite par ses leçons, étoit encore regardée comme la pépinière et le séjour des savans en tout genre ; et elle se maintint, pendant plusieurs siècles, dans cette glorieuse position. Il falloit qu'à Rome on eût une grande idée du mérite et de la vertu de Pythagore, puisque l'oracle de Delphes ayant ordonné aux Romains, pendant la guerre des Samnites, d'ériger deux statues dans l'endroit le plus célèbre de la ville, l'une au plus sage, l'autre au plus courageux des Grecs, ils les érigèrent, dans le lieu des Comi ces, à Pythagore et à Thémistocle.

9. Hieron II,roi de Syracuse, honora singuliérement la philosophie et ses amateurs; et c'est au bon goût de ce prince que Syracuse fut redevable de ces étonnantes machines de guerre dont elle fit un si grand usage lorsqu'elle fut assiégée par les Romains. Il sut profiter de l'avantagequ'il avoit de posséder dans ses Etats le plus savant géomètre qui fût dans l'univers : le fameux Archimède. Ce sage étoit célèbre, non-seulement par la vaste étendue de ses connoissanes, mais par sa noblesse, puisqu'il étoit parent du monarque. Uniquement sensible aux plaisirs de l'esprit, et plein de dégoût pour le tumulte des affaires du gouvernement, il s'étoit livré tout entier à l'étude d'une science dont les spéculations sublimes sur des vérités purement intelligibles et spirituelles, et tout-à-fait séparées de la matière, ont un attrait pour les savans du premier ordre, qui ne leur laisse presque pas la liberté de s'appliquer à aucun autre objet. Hieron eut pourtant assez de pouvoir sur Archimède, pour l'engager à descendre de ces hautes spéculations à l'exercice de cette mécanique qui dépend de la main, mais qui est conduite par l'esprit. Il le pressoit sans cesse de ne pas toujours donner l'essor à son art vers des objets immatériels et abstraits; de le rabaisser sur les choses sensibles et corporelles, et de rendre ses raisonnemens en quelque sorte plus évidens et plus palpables au commun des hommes, en les mêlant, par l'expérience, avec les choses d'usage.

Archimède entretenoit souvent le roi, qui l'écoutoit toujours avec un nouveau plaisir. Un jour qu'illui expliquoit les merveilleux effets des choses mouvantes, il

s'appliqua à lui démontrer «qu'avec une force donnée, << on pouvoit remuer un fardeau quelconque.'» S'applaudissant ensuite de la force de sa démonstration, il osa se vanter que s'il avoit une autre terre que celle que nous habitons, il remueroit celle-ci à sa fantaisie, en passant dans l'autre. Le roi, étonné et ravi, le pria d'exécuter lui-même sa proposition, en remuant quelque grand fardeau avec une petite force.Le philosophe se met en devoir de satisfaire la juste et louable curiosité de son parent et de son ami. Il choisit une galère qui étoit dans le port, la fait tirer à terre avec beaucoup de travail et à force d'hommes, y fait mettre sa charge ordinaire, et par-dessus autant d'hommes qu'elle en peut contenir. Ensuite, se plaçant à quelque distance, assis à son aise, sans travail, sans le moindre effort, en remuant seulement de la main le bout d'une machine à plusieurs cordes et poulies qu'il avoit préparée, il ramena la galère à lui, par terre, aussi doucement et aussi uniment que si elle n'eût fait que fendre les flots. A la vue d'un si prodigieux effet des forces mouvantes, le prince étoit tout hors de lui; et jugeant par cet essai de la puissance de cet art, il pria instamment Archimède d'en réitérer les merveilles. Le géomètre répondit à ses désirs ; et Athénée parle d'une galère construite sous sa direction, dont la description pourra plaire et instruire.

C'étoit un navire à vingt rangs de rames. Cette masse énorme fut affermie de tous côtés avec de gros clous de cuivre qui pesoient dix livres et plus. L'intérieur avoit trois corridors, dont le plus bas conduisoit au fond de cale, où l'on descendoit par degrés. Un autre conduisoit aux appartemens. Le premier, et le plus haut, menoit au logement des soldats. Au corridor du milieu on trouvoit, à droite et à gauche, des appartemens au nombre de trente,dans chacun desquels il y avoit quatre lits pour des hommes. L'appartement des patrons et des matelots avoit quinze lits et trois salles à manger, dans la dernière desquelles, qui étoit la poupe, on faisoit la cuisine. Tous les pavés de ces appartemens étoient compo sés de petites pièces rapportées de différentes couleurs, où étoit représentée l'Iliade d'Homère. Les planchers,

les fenêtres, et tout le reste, étoient travaillés avec un art merveilleux,et embellis de toutes sortes d'ornemens. Au plus haut corridor il y avoit un gymnase et des promenades proportionnées à la grandeur du navire. On voyoit là des jardins et des plantes de toute espèce, d'un arrangement merveilleux.Des tuyaux, les uns de terre cuite, les autres de plomb, portoient l'eau tout autour pour les arroser. On y voyoit, outre cela, des berceaux de lierre blanc et de vigne, dont les racines étoient dans de grands tonneaux pleins de terre. Ces tonneaux étoient arrosés de la même manière que les jardins. Les berceaux faisoient ombre aux promenades. Ensuite on trouvoit l'appartement de Vénus, à trois lits, dont le pavé étoit composé d'agates et d'autres pierres précieuses,les plus belles qu'on avoit pu trouver dans l'île. Les murailles et le toit étoient de bois de cyprès. Les fenêtres étoient ornées d ivoire, de peintures et de petites statues.Dans un autre appartement il y avoit une bibliothèque, au haut de laquelle, en dehors, on avoit placé un cadran solaire. Il y avoit aussi un appartement à trois lits pour le bain, où se voyoient trois grandes chaudières d'airain, et une baignoire faite d'une seule pierre de différentes couleurs. La baignoire contenoit deux cent cinquante pintes. A la proue étoit un grand réservoir d'eau qui contenoit cent mille pintes. Tout autour du navire on voyoit, en dehors, des Atlas de neuf pieds de haut, qui soutenoient les hauts bords. Ils étoient à une égale distance les uns des autres. Le navire étoit encore orné de peintures magnifiques. On y voyoit huit tours proportionnées à sa grosseur ; deux à la poupe, deux d'égale grandeurà la proue,et quatre au milieu du vaisseau.Sur ces tours étoient des parapets par lesquels on pouvoit jeter des pierres sur les vaisseaux ennemis qui auroient trop approché. Chaque tour étoit gardée par quatre jeunes hommes armés de pied en cap, et par deux archers. Tout le dedans des tours étoit plein de pierres et de traits. Sur le bord du vaisseau, bien planchéyé, étoit une espèce de rempart sur lequel on avoit dressé une machine à jeter des pierres, faite par Archimède. Elle jetoit une pierre du poids de trois cents livres et une flèche de dix-huit pieds, à la distance de cent vingt-cinq pas.

Lenavire avoit trois mâts, à chacun desquels étoient deux machines chargées de pierres. Là étoient aussi des crocs et des masses de plomb pour jeter sur ceux qui approcheroient. Tout le bâtiment étoit environnéd'un rempart de fer, pour empêcher ceux qui voudroient venirà l'abordage. Tout autour du navire étoient disposés des corbeaux de fer, qui, étant lancés par des machines, accrochoient les vaisseaux des ennemis, et les approchoient du navire, d'où on les pouvoit accabler facilement. Sur chacun des bords se tenoient soixante jeunes hommes armés de pied en cap; un pareil nombre défendoit les mâts et les pierriers. Quoique la sentine fût extrêmement profonde, un seul homme la vidoit avec une machine à vis, inventée par Archimède. Le prince, ayant appris qu'il n'y avoit point de port en Sicile qui pût contenir cet énorme vaisseau, résolut d'en faire présent à Ptolémée, roi d'Egypte. Il le fit cingler vers Alexandrie, chargé de soixante mille muids de blés, de dix mille grands vases de terre pleins de poisson salé, de vingt mille quintaux pesant de chair salée, et de vingt mille grands fardeaux de différentes hardes, sans comprendre les vivres pour tout l'équipage.

Après la mort d'Hiéron, les Syracusains, excités par des magistrats séditieux, prirent les armes contre les Romains, et rompirent le traité d'alliance conclu par ce prince avec la république.Le consul Marcellus,qui étoit pour lors en Sicile avec une forte armée de terre et de mer, s'avanca contre Syracuse,et se disposa à l'attaquer. La consternation des rebelles étoit grande. On craignoit de succomber sous l'effort des Romains; mais la merveilleuse industrieduseulArchimèdefitpourSyracuse ceque n'auroient pu faire les troupes les plus nombreuses et les plus aguerries; et l'on vit alors combien la philosophie pent fournir de ressources aux Etats qui savent honoreret ménager ceux qui la cultivent. Le génie du célèbre géomètre arrêta tout-à-coup ces formidables légions, devant qui la puissance de Carthage et des peuples d'Italie s'étoit humiliée. Il avoit construit une infinité de machines d'une invention nouvelle, qui lançoient à quelque distance que ce fût,des traits de toute espèce, et des pierres

d'une pesanteur énorme. Tantôt il faisoit tomber sur les galères de grosses poutres chargées au bout d'un poids immense, qui les abîmoient dans les flots: tantôt il faisoit partir une main de fer attachée à une chaîne, et par laquelle celui qui la gouvernoit saisissoit les vaisseaux, les élevoit en Pair par le moyen d'un contre-poids, les dressoit sur la pouppe; puis, les lâchant tout-à-coup, les submergeoit, ou les brisoit entièrement. Le général romain fit dresser, à grands frais, une grande machine appelée sambuque. Il la fit approcher de la ville surplusieurs galères fortement attachées ensemble;et déjà l'on abattoit le pont qui la composoit, pour passer sur le mur des assiégés, lorsqu'il partit de dessus les remparts une pierre du poids de dix quintaux ; et coup sur coup une seconde, une troisième plus énorme encore, qui, donnant sur cette machine avec un sifflement et un tonnerre épouvantables, en fraccassèrent la base, et détruisirent en un momentl'ouvrage de plusieurs jours. Marcellus, à toutes ces attaques, avoit perdu un nombre prodigieux de soldats. L'épouvante s'étoit mise parmi les Romains. De quelque côté que ce fût, on n'osoit plus approcher de la ville. Dès qu'on apercevoit le bout d'une corde, ou quelques pièces de bois sur les murailles, chacun fuyoit, en criant qu'Archimède alloit tout foudroyer. Ce qui les désespéroit, c'est qu'ils ne pouvoient se venger sur les ennemis. Il n'en paroissoit aucun. Les machines étoient derrière les fortifications, et le service s'en faisoit à couvert. Marcellus prit donc le parti de convertir le siége en blocus. Il avoit ménagé une intelligence avec quelques citoyens ; et c'étoit-là le fondement de ses espérances. Mais la conjuration fut découverte, et les coupables furent punis. Le généralromain ne voyoit plus d'autre parti à prendre, que celui de lever le siége. Mais qu'elle honte! quel affront pour la république! Tandis qu'il s'occupoit de ces chagrinantes pensées, un soldat vint lui dire qu'il avoit remarqué un côté du mur beaucoup plus bas qu'on ne le croyoit, et qu'avec de médiocres échelles on pourroit facilement monter. Le général s'en assure de ses propres yeux, fait préparer des échelles ; et pendant la nuit, lorsque les assiégés, qui avoient fait la débauche, étoient

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