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l'air; c'étoit assez qu'il entrât dans les cœurs, et qu'il y soufflat le feu de la révolte. Elle avoit commencé au point du jour ; à midi, le calme étoit rétabli dans la ville. Mais ce calme n'avoit rien que de sombre et de lugubre. Après ces accès de frénésie,les habitans abattus,consternés,ne se reconnoissoient qu'avec horreur. La honte, les remords, la crainte,tenoient tous les cœurs accablés.La vue des courriers,qui partent pour informer l'empereur, leur annonce déjà leur condamnation.Les innocens et les coupables attendent également la mort; mais personne ne veut être coupable:ils s'accusent les unsles autres. Les païens,qui n'étoient pasplus criminels que les chrétiens, tremblent qu'on ne leur impute tout ce désordre. Tous, renfermés avec leurs familles qui fondent en larmes,déplorent le sort de leurs femmes et de leurs enfans;ils se pleurent eux-mêmes. Par-tout règne une affreuse solitude; on voit seulement errer çà et là, dans les places et dans les rues,des troupes d'archers, traînant aux prisons des malheureux qu'ils ont arrachés de leurs maisons.

Lanuitse passe dans de mortelles inquiétudes; elle ne présente à leur esprit que des gibets, des échafauds. La plupart se déterminent à quitter leur patrie, qui ne leur paroît plus qu'un vaste sépulcre. Les riches cachent et enfouissent leurs richesses. Chacun se tient heureux de sauver sa vie. Dès le point du jour, les rues sont remplies d'hommes, de femmes, d'enfans, de vieillards qui fuient la colère du prince, comme un incendie. Les magistrats incertains du sort de la ville,n'osent les retenir. A peine peuvent-ils, à force de menaces, arrêter les sénateurs, qui se préparoient eux-mêmes à déserter Antioche. Les autres sortent en foule, et se dispersent sur les montagnes et dans les forêts. Plusieurs sont massacrés par les brigands, qui profitent de cette alarme pour infester les campagnes voisines; et le fleuve Oronte, qui baignoit Antioche, rapportoit tous les jours dans cette cité malheureuse, quelques-uns des cadavres de ces infortunés fugitifs.

Cependant les magistrats étoient assis sur le tribunal, et faisoient comparoître ceux qu'on avoit arrêtés à la fin de la sédition, et la nuit suivante. Ils déployoient toute l'horrenr des supplices. On pouvoit leur reprocher de

n'avoir rien osé faire pour empêcher le crime. Cette crainte les rendoit plus implacables : ils croyoient faire leur apologie en punissant avec rigueur. Les fouets armés de plomb, les chevalets, les torches ardentes, toutes les tortures redoutables à l'innocence même, étoient mises en œuvre pour arracher l'aveu du crime et des complices. Tout ce qui restoit de citoyens dans la ville, étoient assemblés aux portes du prétoire, dont les soldats gardoient l'entrée.Là, plongés dans un morne silence, se regardant les uns les autres avec une défiance mutuelle, les yeux et les bras levés vers le ciel, ils le conjuroient avec larmes d'avoir pitié des accusés, et d'inspirer aux juges des sentimens de clémence. La voix des bourreaux, le bruit des coups, les menaces des magistrats les glacent d'effroi. Ils prêtent l'oreille à tous les interrogatoires. A chaque coup, à chaque gémissement qu'ils entendent, ils tremblent pour leurs parens, pour eux-mêmes : i's craignent d'être nommés entre les complices. Mais rien n'égale la douleur des femmes. Enveloppées de leurs voiles, se roulant à terre, et se traînant aux pieds des soldats, elles les supplient en vain de leur permettre l'entrée; elles conjurent les moindres officiers qui passent devant elles, de compatir aux malheurs de leurs proches, et de leur prêter quelques secours. Entendant les cris douloureux de leurs pères, de leurs fils, de leurs maris, elles y répondent par des cris lamentables: elles ressentent au fond de leurs coeurs tous les coups dont ils sont frappés; et les dehors du prétoire présentent un spectacle aussi déplorable que les rigueurs que l'on exerce au dedans.

Ce jour affreux et funeste se passa à interroger et à convaincre les coupables. La nuit étoit déjà venue. On attendoit au dehors, dans des transes mortelles, la décision des magistrats. On demandoit à Dieu, par les vœux lés plus ardens, qu'il touchât le coeur des juges ; qu'ils voulussent bien accorder quelque délai,et renvoyer lejugement à l'empereur, lorsque tout-à-coup les portes du prétoire s'ouvrirent. On vit sortir, à la lueur des flambeaux, entre deux haies de soldats, les premiers de la ville, chargés de chaînes, languissans et se traînant à peine, les tortures ne leur ayant laissé de vie qu'autant

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qu'il en falloit pour mourir de la main des bourreaux, la vue de leurs concitoyens. On avoit voulu commencer ce terrible exemple par la punition des plus nobles. On les conduisit au lieu des exécutions. Leurs mères, leurs femmes, leurs filles, plus mortes qu'eux-mêmes, veulent les suivre, et manquent de forces. Le désespoir les ranime; elles courent; elles voient leurs proches tomber sous le glaive, et tombent avec eux par la violence de leur douleur. On les emporte à leurs maisons. Elles en trouvent les portes scellées du sceau public. On avoit déjà ordonné la confiscation de leurs biens; et ces femmes distinguées par leur rang et par leur naissance, sont réduites à mendier un asile qu'elles ne trouvent qu'avec peine, la plupart de leurs parens et de leurs amis refusant de leur donner retraite, de peur de partager leur crime, en soulageant leur infortune. On continua pendant cinq jours à faire le procès aux coupables.Plusieurs innocens furent enveloppés dans la condamnation, s'étant déclarés criminels, dans la force des tortures. Les uns périrent par l'épée, d'autres par le feu: on en livra plusieurs aux bêtes; on ne fit pas même grace aux enfans. Tant de supplices ne rassuroient pas ceux qui restoient. Après tant de coups redoublés, la foudre sembloit toujours gronder sur leurs têtes. Ils craignoient les effets de la colère du prince; et, quoiqu'il ne pût encore être instruit de la sédition, on entendoit sans cesse répéter dans la ville : « L'empereur sait-il la « nouvelle ? ́est-il irrité ? l'a-t-on fléchi? qu'a-t-il or« donné ? voudra-t-il perdre Antioche ? » Pour effas'il étoit possible, la mémoire du soulèvement, chacun s'empressoit de payer l'impôt qui en avoit été l'occasion. Loin de le trouver alors insupportable, les habitans offroient de se dépouiller de tous leurs biens, et d'abandonner à l'empereur leurs maisons et leurs terres, pourvu qu'on leur laissât la vie.

cer,

Antioche étoit une ville de plaisir et de dissolution. L'adversité, cette excellente maîtresse de la philosophie chrétienne, la changea tout-à-coup. Plus de jeux, plus de festins, de débauches, de chansons et de danses laseives, de divertissemens tumultueux. On n'y entendoit

plus que des prières et le chant des psaumes. Les chrétiens, qui faisoient la moitié des habitans, pratiquoient toutes les vertus : les païens avoient renoncé à tous les vices. Le théâtre étoit abandonné. On passoit les journées entières dans l'église, où les cœurs les plus agités se reposent dans le sein de Dieu même. Toute la ville sembloit être devenue un monastère. S. Jean Chrysostome soutenoit leur courage chancelant, et félicitoit ses concitoyens de ce qu'ils avoient enfin recours au seul médecin qui pouvoit guérir leurs maux.

Ce grand homme, animé de l'esprit de Dieu, fut le seul, dans ces jours d'alarme et de douleur, qui consolat ce peuple nombreux d'une manière efficace. Il étoit né à Antioche de parens nobles. Il avoit pris les lecons du fameux Libanius. Mais la beauté de son génie, le goût du vrai et du grand, la lecture assidue de ces admirables modèles que l'ancienne Grèce avoit enfantés, et sur-tout l'étude de l'Ecriture-Sainte, dont la sublime simplicité passa dans son espritcomme dans son cœur,luidonnèrent un ton d'éloquence fort supérieur à celle de son maître. Ce fut une de ces ames choisies, que la sagesse de Dieu se plaît à former de temps en temps, et à montrer aux hommes, pour leur apprendre jusqu'à quel degré peuvent s'élever les forces humaines, éclairées, excitées, soutenues de la grace divine. Depuis le vendredi, jour de la sédition, jusqu'au jeudi de la semaine suivante, le Démosthène chrétien garda le silence.Enfin, lorsque les plus coupables furent punis, que plusieurs de ceux que la terreur avoit bannis de la ville commencoient à y revenir, et qu'il ne restoit plus que l'inquiétude de la vengeance du prince, il monta dans la tribune. Pendant tout le temps du carême, qui commença cette année (387) à Antioche, le huitième de Mars, il continua de prêcher au peuple, dont il sut calmer les craintes et essuyer les larmes; et l'on doit principalement attribuer à ce grand orateur la tranquillité où la ville se maintint au milieu des diverses alarmes qui survinrent.

Il y avoit déjà huit jours que les courriers, qui portoient à l'empereur la nouvelle de la sédition, étoient partis d'Antioche, lorsqu'on apprit qu'ils avoient été ar

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rêtés dans leur route par divers accidens, et obligés de quitter les chevaux de poste, pour prendre les voitures publiques.On crut qu'il étoit encore temps de les prévenir; et toute la ville s'adressa à l'évêque Flavien,prélat vénérable par sa sainteté, et chéri de l'empereur. Il accepta cette pénible commission; et ni les infirmités d'une extrême vieillesse, ni la fatigue d'un long voyage, dans une saison incommode et pluvieuse, ni l'état où se trouvoit une sceur unique, qu'il aimoit tendrement, et qu'il laissoit au lit de la mort, ne purent arrêter son zèle. Résolu de mourir, ou de fléchir la colère du prince, il part, au milieu des larmes de son peuple. Tous les cœurs le suivent par leurs vœux. On espère que la bonté naturelle de l'empereur ne pourra se défendre d'écouter un prélat si respecté, si digne de l'être.

Quoique Flavien fit une extrême diligence, il ne put atteindre les courriers. Ils arrivèrent avant lui; et leur rapport excita dans Théodose cette violente colère dont les premiers accès étoient toujours prompts et terribles. Il étoit moins irrité du renversement de ses propres statues que des outrages faits à celles de Flaccille et de son père. L'ingratitude d'Antioche redoubloit encore son courroux. Il avoit distingué cette ville entre toutes celles de l'empire, par des marques de sa bienveillance : il y avoit ajouté de superbes édifices. On venoit d'achever, par ses ordres, un nouveau palais, dans le faubourg de Daphné ; et il avoit promis de venir incessamment honorer Antioche de sa présence.. Son premier mouvement fut de détruire la ville, et d'ensevelir les habitans sous ses ruines. Etant revenu de cet excès d'emportement, il choisit le général Hellébique et Césaire, maître des offices, pour l'exécution d'une vengeance plus conforme aux règles de la justice. Comme ilignoroit encore la punition des principaux auteurs du désordre, il chargea ces commissaires d'informer contre les coupables, avec pouvoir de vie et de mort.

Il leur ordonna de fermer le théâtre, le cirque et les hains publics; d'ôter à la ville son territoire, ses priviléges, et la qualité de métropole ; de la réduire à la condition d'un simple bourg soumis à Laodicée, son

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