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Ne convient-il donc pas, à quiconque eft véritablement homme d'honneur, de montrer que la raifon a plus de part que le reffentiment à la hardieffe de fes réfolutions? Et y a-t-il rien d'auffi raifonnable que d'avoir égard à notre devoir ?

Vous m'avez demandé, Meffieurs, mes idées fur cet important fujet : je vous ai obéi d'autant plus volontiers, que j'espère qu'à l'occafion qui a amené cette entrevue, que je ne regarde pas comme malheureufe, Sir Hargrave en aura plus de raifon d'être fatisfait que tout le foit terminé ainfi ;

& fi vous voulez bien adopter mes principes, ils peuvent être utiles à d'autres de vos amis, dans les différends qui pourroient furvenir entr'eux. Pour moi, par rapport à moi-même, j'ai toujours été difpofé à communiquer mes idées fur cet article, dans l'efpérance que cela pourroit m'épargner quelque défi; car, comme je l'ai avoué, je fuis très-vif, j'ai de l'orgueil, & je me crains fouvent moi-même, & d'autant plus que natu rellement, j'ofe le dire, je ne fuis pas timide.

(Hiftoire de Sir Charles Grandiffon.)

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E.

c'eft tout le contraire dans la grande famille, où l'adminiftration générale n'eft établie que pour affurer la propriété particulière qui lui eft antérieure. Le principal objet des travaux de toute la maison eft de conferver & d'accroître le patrimoine du père, afin qu'il puiffe un jour le partager entre fes enfans fans les appauvrir; au

ECONOMIE, f. f. Ce mot vient de oikos, maifon, & de nomos, loi, & ne fignifie originairement que le fage & légitime gouvernement de la maison, pour le bien commun de toute la famille. Le fens de ce terme a été dans la fuite étendu au gouvernement de la grande famille, qui eft l'état. Pour diftinguer ces deux acceptions, on l'appelle, dans ce dernier cas, économie gé-lieu que la richeffe du fifc n'est qu'un moyen, nérale ou politique ; & dans l'autre, économie domeftique ou particulière. Ce n'eft que de la première qu'il eft queftion dans cet article.

Quand il y auroit entre l'état & la famille autant de rapport que plufieurs auteurs le prétendent, il ne s'enfuivroit pas pour cela que les règles de conduite, propres à l'une de ces deux fociétés, fuffent convenables à l'autre elles diffèrent trop en grandeur pour pouvoir être adminiftrées de la même manière, & il y aura toujours une extrême différence entre le gouvernement domestique, où le père peut tout voir par lui-même, & le gouvernement civil, où le chef ne voit prefque rien que par les yeux d'autrui. Pour que les chofes devinffent égales à cet égard, il faudroit que les talens, la force & toutes les facultés du père augmentaffent en raifon de la grandeur de la famille, & que l'ame d'un puiffant monarque fût à celle d'un homme ordinaire, comme l'étendue de fon empire eft à l'héritage d'un particulier.

Mais comment le gouvernement de l'état pourroit-il être femblable à celui de la famille dont Je fondement eft fi différent ? Le père étant phyfiquement plus fort que fes enfans, aufli longtems que fon fecours leur eft néceffaire, le pouvoir paternel paffe avec raifon pour être établi par la nature. Dans la grande famille dont tous les membres font naturellement égaux, l'autorité politique, purement arbitraire quant à fon inftitution, ne peut être fondée que fur des conventions, ni le magiftrat commander aux autres qu'en vertu des loix. Les devoirs du père lui font dictés par des fentimens naturels, & d'un ton qui lui permet rarement de défobéir. Les chefs n'ont point de femblable règle, & ne font réellement tenus envers le peuple qu'à ce qu'ils lui ont promis de faire, & dont il eft communément en droit d'exiger l'exécution. Une autre différence plus importante encore, c'eft que les enfans n'ayant rien que ce qu'ils reçoivent du père, il est évident que tous les droits de propriété lui appartiennent, ou émanent de lui;

fouvent fort mal entendu, pour maintenir les particuliers dans la paix & dans l'abondance. En un mot, la petite famille eft deftinée à s'éteindre & à fe réfoudre un jour en plufieurs autres familles femblables; mais la grande étant faite pour durer toujours dans le même état, il faut que la première s'augmente pour se multiplier: & non feulement il fuffit que l'autre fe conferve mais on peut prouver ailément que toute augmentation lui eft plus préjudiciable qu'u

tile.

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Par plufieurs raifons tirées de la nature de la chofe, le père doit commander dans la famille. Premiérement, l'autorité ne doit pas être égale entre le père & la mère; mais il faut que le gouvernement foit un, & que, dans les partages d'avis, il y ait une voix prépondérante qui décide. Secondement, quelque légères que l'on veuille fuppofer les incommodités particulières à la femme; comine elles font toujours pour elle un intervalle d'inaction, c'eft une raison fuffifante pour l'exclure de cette primauté: car, quand la balance eft parfaitement égale, une paille fuffit pour la faire pancher. De plus, le mari doit avoir inspection fur la conduite de fa femme; parce qu'il lui importe de s'affurer que les enfans, qu'il eft forcé de reconnoître & de nourrir, n'appartiennent pas à d'autres qu'à lui. La femme qui n'a rien de femblable à craindre, n'a pas le même droit fur le mari. Troisièmement, les enfans obéiflent au père, d'abord par néceffité, enfuite par reconnoiffance; après avoir reçu de lui leurs befoins durant la moitié de leur vie, ils doivent confacrer l'autre à pourvoir aux fiens. Quatrièmement, à l'égard des domeftiques, ils lui doivent auffi leurs fervices en échange de l'entretien qu'il leur donne ; fauf à répondre le marché dès qu'il ceffe de leur convenir. Je ne parle point de l'esclavage, parce qu'il eft contraire à la nature, & qu'aucun droit ne peut l'autorifer.

Il n'y a rien de tout cela dans la fociété politique. Loin que le chef ait un intérêt naturel au bonheur des particuliers, il ne lui eft pas rare

、de

de chercher le fien dans leur misère. La magiftrature eft-elle héréditaire, c'eft fouvent un enfant qui commande à des hommes: eft-elle élective, mille inconvéniens fe font fentir dans les élections, & l'on perd dans l'un & l'autre cas les avantages de la paternité. Si vous n'avez qu'un feul chef, vous êtes à la difcrétion d'un maître qui n'a nulle raifon de vous aimer; fi vous en avez plufieurs, il faut fupporter à la fois leur tyrannie & leurs divifions. En un mot, les abus font inévitables & leurs fuites funeftes dans toute fociété, où l'intérêt public & les loix n'ont aucune force naturelle, & font fans ceffe attaquées par l'intérêt perfonnel & les paffions du chef & des

membres.

Quoique les fonctions du père de famille & du premier magiftrat doivent tendre au même but, c'eft par des voies fi différentes ; leur devoir & leurs droits font tellement diftingués, qu'on ne peut les confondre fans fe former de fauffes idées des loix fondamentales de la fociété, & fans tomber dans des erreurs fatales au genre humain. En effet, fi la voix de la nature eft le meilleur confeil que doive écouter un bon père, pour bien remplir fes devoirs, elle n'eft pour le magikrat qu'un faux guide qui travaille fans cefle à l'écarter des fiens, & qui l'entraîne tôt ou tard à fa perte ou à celle de l'état, s'il n'eft retenu par la plus fublime vertu. La feule précaution néceffaire au père de famille, eft de fe garantir de la dépravation, & d'empêcher que les inclinations naturelles ne fe corrompent en lui; mais ce font elles qui corrompent le magiftrat. Pour bien faire, le premier n'a qu'à confulter fon cœur ; l'autre devient un traître au moment qu'il écoute le fien: fa raifon même lui doit être

fufpecte, & il ne doit fuivre d'autre règle que la raifon publique, qui eft la loi. Auffi la nature a-t-elle fait une multitude de bons pères de famille; mais il eft douteux que, depuis l'exifter ce du monde, la fageffe humaine ait jamais fait dix hommes capables de gouverner leurs femblables.

De tout ce que je viens d'expofer, il s'enfuit que c'eft avec raifon qu'on a diftingué l'économie publique de l'économie particulière, & que Pétat n'ayant rien de commun avec la famille que Pobligation qu'ont les chefs de rendre heureux l'un & l'autre, les mêmes règles de conduite ne fauroient convenir à tous les deux. J'ai cru qu'il fuffiroit de ce peu de lignes pour renverfer l'odieux fyftême que le chevalier Filmer a tâché d'établir dans un ouvrage intitulé patriarcha, auquel deux hommes illuftres ont fait trop d'honneur en écrivant des livres pour le réfuter: au refte, cette erreur eft fort ancienne, puifqu'Ariftote même à jugé à propos de la combattre par des raifons que l'on peut voir au premier livre de fes Pohaiques.

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Le corps politique, pris individuellement, peut être confidéré comme un corps organise, vivant, & femblable à celui de l'homme. Le pouvoir fouverain représente la tête; les loix & les coutumes font le cerveau, principe des nerfs & fiège de l'entendement, de la volonté & des fens dont les juges & magiftrats font les organes; le commerce l'induftrie & l'agriculture, font la bouche & l'eftomac qui préparent la fubfiftance commune; les finances publiques font le fang qu'une fage économie, en faifant les fonctions du cœur, renvoie diftribuer par tout le corps la nourriture & la vie; les citoyens font le corps & la machine, & qu'on ne fauroit bleffer en aucune les membres qui font mouvoir, vivre, & travailler partie, qu'auffi -tôt l'impreffion douloureuse ne s'en porte au cerveau, fi l'animal eft dans un état de fanté.

La vie de l'un & de l'autre eft le moi commun au tout, la fenfibilité réciproque, & la correfpondance interne de toutes les parties. Cette

communication vient-elle à ceffer, l'unité formelle à s'évanouir, & les parties contigues à n'appartenir plus l'une à l'autre que par juxtapofition? L'homme eft mort, ou l'état eft dif

fous.

Le corps politique eft donc auffi un être moral qui à une volonté ; & cette volonté générale, qui tend toujours à la confervation & au bienêtre du tout & de chaque partie, & qui eft la fource des loix, eft pour tous les membres de l'état, par rapport à eux & à lui, la règle du jufte & de l'injufte; vérité qui, pour le dire en paffant, montre avec combien de fens tant d'écrivains ont traité de vol la fubtilité des enfans de Lacédémone, pour gagner leur frugal repas, comme fi tout ce qu'ordonne la loi pouvoit ne pas être légitime.

Il est important de remarquer que cette règle de juftice, sûre par rapport à tous les citoyens, peut être fautive avec les étrangers; & la raifon de ceci eft évidente: c'est qu'alors la volonté de

Encyclopédie. Logique, Métaphysique & Morale. Tom. III,

I

'état, quoique générale par rapport à fes membres, De l'eft plus par rapport aux autres états & à leurs membres, mais devient pour eux une vo lonté particulière & individuelle, qui a fa règle de juftice dans la loi de nature, ce qui rentre également dans le principe établi : car alors la grande ville du monde devient le corps politique dont la loi de nature eft toujours la volonté générale, & dont les états & les peuples divers ne font que des peuples individuels.

De ces mêmes diftinctions appliquées à chaque fociété politique & à fes membres, découlent les règles les plus univerfelles, & les plus sûres fur lefquelles on puiffe juger d'un bon ou d'un mauvais gouvernement, & en général de la moralité de toutes les actions humaines.

Toute fociété politique eft compofée d'autres fociétés plus petites, de différentes espèces dont chacune a fes intérêts & fes maximes; mais ces fociétés que chacun apperçoit, parce qu'elles ont une forme extérieure & autorifée, ne font pas les feuls qui exiftent réellement dans l'état; tous les particuliers qu'un intérêt commun réunit, en compofent autant d'autres, permanentes ou paf fagères, dont la force n'eft pas moins réelle pour être moins apparente, & dont les divers rapports bien obfervés font la véritable connoiffance des mours. Ce font toutes ces affociations tacites ou formelles qui modifient de tant de manières les apparences de la volonté publique par l'influence de la leur. La volonté de ces fociétés particulières a toujours deux relations; pour les membres de l'affociation, c'eft une volonté générale; pour la grande fociété, c'est une volonté particulière, qui très fouvent fe trouve droite au premier égard, & vicieufe au fecond. Tel peut être prêtre dévôt, ou brave foldat, ou praticien zélé, & mauvais citoyen. Telle délibération peut être avantageufe à la petite communauté, & très pernicieufe à la grande. Il eft vrai que les fociétés particulières étant toujours fubordonnées à celles qui les contiennent, on doit obéir à celles-ci préférablement aux autres; que les devoirs du citoyen vont avant ceux du fénateur, & ceux de l'homme avant ceux du citoyen: mais malheureufement l'intérêt perfonnel fe trouve toujours en raifon inverfe du devoir, & augmente à mefure que l'affociation devient plus étroite & l'engagement moins facré; preuve invincible que la volonté la plus générale eft auffi toujours la plus jufte, & que la voix du peuple eft en effet la voix de Dieu.

Il ne s'enfuit pas pour cela que les délibérations publiques foient toujours équitables; elles peuvent ne l'être pas lorfqu'il s'agit d'affaires étrangères; j'en ai dit la raifon. Ainfi, il n'eft pas impoffible qu'une république bien gouvernée

faffe une guerre injufte. Il ne l'eft pas non plus que le confeil d'une démocratie pafle de mauvais décrets, & condamne les innocens : mais cela n'arrivera jamais, que le peuple ne foit féduit par des intérêts particuliers, qu'avec du crédit & de l'éloquence quelques hommes adroits fauront fubftituer aux fiens. Alors autre chofe fera la délibération publique, & autre chofe la volonté générale. Qu'on ne m'oppofe donc point la démocratie d'Athènes, parce qu'Athènes n'étoit point en effet une démocratie, mais une ariftocratie très-tyrannique, gouvernée par des favans & des orateurs. Examinez avec foin ce qui fe paffe dans une délibération quelconque, & vous verrez que la volonté générale est toujours pour le bien commun, mais très fouvent il fe fait une fciffion fecrète, une confédération tacite, qui, pour des vues particulières fait éluder la difpofition naturelle de l'affemblée. Alors le corps focial fe divife réellement en d'autres, dont les membres prennent une volonté générale, bonne & jufte à l'égard de ces nouveaux corps, injufte & mauvaise à l'égard du tout dont chacun d'eux fe démembre.

On voit avec quelle facilité l'on explique, à l'aide de ces principes, les contradictions apparentes qu'on remarque dans la conduite de tant d'hommes remplis de fcrupule & d'honneur à certains égards, trompeurs & fripons à d'autres, foulant aux pieds les plus facrés devoirs, & fidèles jufqu'à la mort à des engagemens fouvent illégitimes. C'eft ainfi que les hommes les plus corrompus rendent toujours quelque forte d'hommage à la foi publique ; c'eft ainfi que les brigands mêmes, qui font les ennemis de la vertu dans la grande fociété, en adorent le fimulacre dans leurs

cavernes.

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En établiffant la volonté générale pour premier principe de l'économie publique, & règle fondamentale du gouvernement, je n'ai pas cru néceffaire d'examiner férieufement les magiftrats appartiennent au peuple ou le peuple aux magiftrats, & fi, dans les affaires publiques, on doit confulter le bien de l'état ou celui des chefs. Depuis long-tems cette queftion a été décidée d'une manière par la pratique & d'une autre par la raifon ; & en général ce feroit une grande folie d'efpérer que ceux qui dans le fait font les maîtres, préféreront un autre intérêt au leur. II feroit donc à propos de divifer encore l'economie publique en populaire & tyrannique. La première eft celle de tout état, où règne entre le peuple & les chefs unité d'intérêt & de volonté ; l'autre exiftera néceffairement par-tout où le gouvernement & le peuple auront des intérêts différens, & par conféquent des volontés oppofées. Les maximes de celle-ci font infcrites au long dans les archives de l'hiftoire & dans les fatyres de

Machiavel. Les autres ne fe trouvent que dans i raifon publique, & lui apprend à agir felon les

les écrits des philofophes qui ofent réclamer les, droits de l'humanité.

La première & plus importante maxime du gouvernement légitime ou populaire, c'est-à-dire, de celui qui a pour objet le bien du peuple, eft donc, comme je l'ai dit, de fuivre en tout la volonté générale; mais, pour la fuivre, il faut la connoitre, & fur-tout la bien diftinguer de la volonté particulière en commençant par foimême; diftinction toujours fort difficile à faire, & pour laquelle il n'appartient qu'à la plus fublime vertu de donner de fuffifantes lumières.

maximes de fon propre jugement, & à n'être pas en contradiction avec lui-même. C'eft elle feule auffi que les chefs doivent faire parler quand ils commandent; car fi-tôt qu'indépendamment des loix un homme en prétend foumettre un autre à fa volonté privée, il fort à l'inftant de l'état civil, & fe met vis-à-vis de lui dans le pur état de nature, où l'obéiffance n'eft jamais prefcrite que par la néceffité.

il n'eft

Le plus preffant intérêt du chef, de même que fon devoir le plus indifpenfable eft donc de veiller à l'obfervation des loix dont il eft le miniftre & fur lesquelles eft fondée toute fon autorité. Comme pour vouloir il faut être libre, une au- S'il doit les faire obferver aux autres, à plus tre difficulté qui n'eft guère moindre, eft d'affurer forte raifon doit-il les obferver lui-même qui jouit à la fois la liberté publique & l'autorité du gou- de toute leur faveur. Car fon exemple eft de telle vernement. Cherchez les motifs qui ont porté force, que, quand même le peuple voudroit bien les hommes unis par leurs befoins mutuels dans fouffrir qu'il s'affranchît du joug de la loi, il la grande fociété, à s'unir plus étroitement par devroit fe garder de profiter d'une fi dangereufe des fociétés civiles; vous n'en trouverez point prérogative, que d'autres s'efforceroient bientôt d'autre que celui d'affûrer les biens, la vie & d'ufurper à leur tour, & fouvent à fon préjudice. la liberté de chaque membre par la protection Au fond, comme tous les engagemens de la fode tous: or, comment forcer des hommes à ciété font réciproques par leur nature, défendre la liberté de l'un d'entr'eux, fans porter pas poffible de fe mettre au deffus de la loi fans atteinte à celle des autres ? & comment pourvoir renoncer à fes avantages, & perfonne ne doit aux befoins publics, fans altérer la propriété rien à quiconque prétend ne rien devoir à perfonne. Par la même raifon, nulle exemption de particulière de ceux qu'on force d'y contribuer? De quelques fophifmes qu'on puiffe colorer tout la loi ne fera jamais accordée à quelque titre que ce puiffe être dans un gouvernement bien policé. cela, il eft certain que, fi l'on peut contraindre ma volonté, je ne fuis plus libre, & que je ne Les citoyens mêmes, qui ont bien mérité de la fuis plus maître de mon bien, fi quelqu'autre patrie, doivent être récompenfés par des honpeut y toucher. Cette difficulté, qui devoit neurs, & jamais par des privilèges: car la répufembler infurmontable, a été levée avec la pre-blique eft à la veille de fa ruine, fi tôt que mère par la plus fublime de toutes les inftitutions humaines, ou plutôt par une inspiration céleste, qui apprit à l'homme à imiter ici bas les décrets immuables de la divinité.

Par quel art inconcevable a-t-on pu trouver le moyen d'affajettir les hommes pour les rendre libres d'employer au fervice de l'état les biens, les bras, & la vie même de tous fes membres, fans les contraindre & fans les confulter? d'enchainer leur volonté de leur propre aveu de faire valoir leur confentement contre leur refas, & de les forcer à fe punir eux-mêmes, quand ils font ce qu'ils n'ont pas voulu Gomment fe peut-il faire qu'ils obéiffent & que perfonne ne commande qu'ils fervent & n'aient point de maitre? d'autant plus libres en effet, fous une apparente fejétion, nul ne perd de fa liberté que ce qui peut nuire à celle d'un autre. Ces prodiges font l'ouvrage de la loi. C'eft à la loi feale que les hommes doivent la juftice & la berté. C'est cet organe falutaire de la volonté de tous, qui rétablit dans le droit l'égalité naturelle entre les hommes. C'eft cette voix célefte qui difte à chaque citoyen les préceptes de la

quelqu'un peut penfer qu'il eft beau de ne pas
obéir aux loix. Mais, fi jamais la nobleffe ou
le militaire, ou quelqu'autre ordre de l'état,
le militaire
adoptoit une pareille maxime, tout feroit perdu
fans reffource.

La puiffance des loix dépend encore plus de leur propre fageffe que de la févérité de leurs minifires, & la volonté publique tire fon plus grand poids de la raifon qui l'a dictée : c'est pour cela que Platon regarde comme une précaution très-importante, de mettre toujours à la tête des édits un préambule raifonné qui en montre la juftice & l'utilité. En effet, la première des loix eft de refpecter les loix : la rigueur des châtimens n'eft qu'une vaine reffource imaginée par de petits efprits, pour fubftituer la terreur à ce refpect qu'ils ne peuvent obtenir. On a toujours remarqué que les pays où les fupplices font les plus terribles, font auffi ceux où ils font le plus fréquens; de forte que la cruauté des peines ne marque guère que la multitude des infracteurs, & qu'en puniffant tout avec la même févérité, l'on force les coupables de commettre des cri mes pour échapper à la punition de lents fautes.

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