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METHODIQUE.

LOGIQUE, MÉTAPHYSIQUE

ET

MORALE,

PUBLIÉE par M. LACRETELLE.

TOME TROISIÈME.

A PARIS,

Chez PANCKOUCKE, Libraire, hôtel de Thou, rue des Poitevins;

A LIÉGE,

Chez PLOMTEUX, Imprimeur des Etats.

M. D CC. LX X X I X.

AVEC APPROBATION, ET PRIVILEGE DU Roi.

DIGNITÉS, f. f. Les honneurs & les dignités ne devant être que les récompenfes de la vertu, le vice ne peut les pofféder qn'à titre d'ufurpation.

Si l'on découvroit les routes que tant de gens qui nous éblouiffent ont fuivies pour s'avancer, & de quels moyens ils fe font fervis pour se dégager de tous les mauvais pas qu'ils ont rencontrés, peut-être s'aimeroit-on affez pour ne vouloir jamais faire le même chemin à ce prix: & dès-là, que d'inquiétudes, que de mortifications, que de baffeffes ne s'épargneroit-on pas ?

On peut avoir fait couler des fleuves de fang par une grande habileté dans l'art de le faire couler; avoir conquis des provinces & des royaumes; s'être fait un nom également grand & redoutable, & néanmoins n'être ni bon ami, ni officieux, ni charitable, ni chrétien. Quel avantage donc pour un héros de ce caractère, s'il pouvoit être confondu dans la foule! fans doute, que dépouillé alors de tout l'extérieur pompeux qui l'annonce, il n'en feroit que plus rarement en butte aux réflexions, & par conféquent hai ou méprifé de beaucoup moins de gens.

On ne peut difconvenir qu'il n'y ait d'heureuse obscurité, fi j'ofe m'exprimer ainfi. Mille gens, defquels on ne difoit ni bien ni mal parce qu'ils n'étoient pas connus, n'ont gagné par leur élévation, qu'à fe faire méprifer du public. Etre en place, & prétendre échapper à la malignité des hommes, c'eft prétendre à l'impof fible. I's font trop mauvais pour accorder à une même perfonne les avantages de la fortune, & la gloire de la réputation; mais quand même un homme fe conduiroit dans un grand pofte avec beaucoup de fageffe & de bonheur la bizarrerie de la jalousie n'en vient-elle pas-là, qu'on fe laffe de lui, parce qu'il eft heureux beaucoup plus long- tems qu'on n'aime qu'il le

foit?

,

D.

trer avec confiance; les yeux voleront à son paffage, on s'empreffera de l'approcher; il verra tous les égards lui annoncer fes dignités, tous les refpects fon élévation; il n'auta plus rien à craindre peut être que de fe montrer trop long

tems.

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A voir ce port affuré, cette démarche fière ce front ferein, cette liberté d'agir; on juge que c'est un homme en place, mais à l'entendre parler, on juge que ce n'eft rien de plus.

C'eft du fein de la royauté que fe répandent les honneurs & les dignités; ceux qui en approchent le plus, en attrapent le plus.. Source féconde néanmoins, qui ne chercheroit qu'à fe répandre, & qui couleroit peut-être jufques dans le camp d'une armée victorieufe, fi les courtisans ambitieux n'en arrêtoient le cours.

Peut-on convenir que les emplois les plus honorables ne font dûs qu'au feul mérite, & fe plaindre, fans rougir, quand on les voit paffer à d'autres ?

Les dignités n'ont rien de fi féduisant pour un honnête homme, que de le mettre en fituation de protéger la vertu. La marque la plus fûre qu'on ne les mérite pas, c'est quand on ne la prorège pas.

Les dignités ont des devoirs relatifs à ceux qui y font fubordonnés: on ne doit point être admis à commander, quand on ne fait point protéger l'avantage de l'un n'eft de mife, qu'autant qu'on fait ufer de l'autre.

A cette foule de gens qui entourent Sozion, qui le précèdent & qui le fuivent, qui ne croiroit qu'ils font cortège à fon bon cœur, à fa générofité, à l'ufage officieux qu'il fait de fon crédit? Mais non, la crainte feule de le trou ver en fon chemin lui forme cette cour; on ne s'empreffe à être autour de fa perfonne, que parce qu'on le redoute: & néanmoins affez imbécile, il fe croit aimé, parce qu'il fe voit entouré.

Un homme né dans l'obfcurité, & qui a parcouru l'efpace qui fe trouvoit entre fa naiffance & les dignités dont il eft revêtu; qui y eft parvenu, malgré les chemins tortueux qu'il a tencontrés, & fans d'autre guide que fon devoir, fans d'autre fecours que fon habileté ; & fans d'autre appui que fes vertus: un homme, dis-je, tel que je le dépeins, peut néanmoins fe monEncyclopédie. Logique, Métaphysique & Morale, Tom. III.

A quoi tient-il donc qu'on ne ferme fa porte pour une bonne fois, quand on ne promet fon crédit que pour ne pas effaroucher? Ne fauroit-on être grand, fans jouir de la petiteffe des autres? Trifte fituation de la grandeur, quand

A

elle ne peut fe fuffire à elle-même! On veut avoir des courtifans qu'on amufe, parce que fans eux on s'ennuiroit à être courtisan.

Quelle fecouffe à une ame foible, d'être tranfportée tout d'un coup de la plus grande obfcurité au plus grand jour ! Peu faite pour un mouvement fi difproportionné à fes forces, faut-il être furpris, fi elle fe trouble, fi elle fe perd de vue, fi elle ne fe connoît plus? Attendons que fa propre infuffifance la replace dans fa fituation naturelle alors, peut être honteufe ellemême de fon élévation, elle n'en fera que plus raifonnable, & plus humaine.

A voir les hommes fi furpris de la chûte inopinée d'un grand, qui ne croiroit qu'ils vont profiter de fon exemple, & fe corriger des mêmes vices qui l'ont fait périr? La nouvelle eft publique ils s'en amufent quelque-tems: mais fans nulle réflexion fur leur propre conduite, ils courrent la plupart au même précipice.

Défions-nous de notre fituation, dès qu'elle nous rend trop heureux. Il faut quelquefois des difgraces, on n'en devient que plus fage & plus habile tel ne connoiffoit pas la mer dans la bo nace, qui après avoir effuyé quelque tempête, devient un bon pilote.

Ne perfuadera-t-on jamais aux Pomerions que dès là qu'ils font nés dans la roture, ils font exclus de certains poftes après lefquels ils courent toute leur vie; que des raifons d'état exigent que ces places ne foient remplies que par des perfonnes de la première qualité; que l'ufage en eft établi; & qu'en vain on fouhaiteroit fur cela quelque réforme en faveur des gens de mérite, quoique nés dans une condition obfcure?

C'est une grande folie de ne s'occuper que de chimères, de paffer toute la vie à fouhaiter ce qu'on ne fauroit obtenir, & de fe priver ainfi du plaifir que pourroit donner une fituation tranquille, fi elle ne fe trouvoit fort audeffous de celle qu'on a toujours ambitionnée.

§ I.

Vous avez' tort, Utime, de vous imaginer que je ne fois pas dans vos intérêts: perfonne ne fouhaite votre avancement plus que moi, parce que perfonne ne fait mieux combien votre commerce feroit agréable, fi vous étiez moins vif dans l'envie de vous élever. Scrupuleux au dernier point fur votre réputation, tout vous fait ombrage; vos plus tendres amis n'et plus de part à vos confidences (ils n'ont accès dans votre maifon qu'aux heures où on ne pourroit vous accufer d'oifiveté ; quand même on vous

trouveroit dans l'inaction, vous ne laiffez pas encore au premier coup qu'ils frappent, de vous faifir d'un livre, pour marquer votre affiduité au travail, ou pour avoir en main un prétexte de les congédier. Tout ce qui approche tant foit peu de la diffipation vous allarme; les fêtes publiques, les fpectacles les moins dangereux, les promenades; les fociétés mêmes dans votre famille; quel changement! Il n'est pas jufqu'à votre manière de vous mettre qui ne foit étudiée, & il femble que vous ne fongiez qu'à vous rendre difforme. Devenez pontife inceffamment, je vous y exhorte, je vous en conjure, ne fût-ce, mon cher Utime, que pour être autorifé à jouer le rôle qu'il vous plaira.

C'est être peu verfé dans la connoiffance des gens en place, de croire qu'ils nous obfervent affez dans nos démarches pour en être déterminés à nous faire plaifir le feul moyen de s'en faire des protecteurs utiles, c'eft de commencer par leur laiffer entrevoir qu'ils feront de nous ce qu'ils voudront.

Je ne dois rien attendre d'un grand, s'il n'attend rien de mois d'un orgueilleux, s'il ne me trouve rampant ; d'un fuffifant, fi je ne me fais aux baffeffes; d'un préfomptueux, fi je ne lui applaudis toujous; d'un homme prévenu de foi, fi je ne lui cède en tout; d'un ami, fi je ne donne pas dans fes caprices; de ceux qui font au-deffous de moi, fi je ne leur fuis bon à rien, ni de ceux enfin avec qui je cours la même carrière, s'ils me foupçonnent de vouloir les devancer. Etrange embarras ! pour un homme qui voudroit travailler à fon avancement, fans qu'il en coutât à fon honneur, & qui fait néanmoins que pour y réuffir, il ne faut rien négliger.

Savoir fe déguifer, c'eft un grand art pour s'avancer. On fait que la vertu, toute négligée qu'elle eft, fait de fortes impreffions, quand elle fe montre conftamment la même ; & c'est parce qu'on le fait, que tant de gens s'enveloppent de fes apparences; mais qu'attendre de celui, qui, méprifant le foin de plaire à Dieu, ofe fe fervir de Dieu même, qu'il fert mal, pour plaire plus fûrement aux hommes ?

S II.

Amphirion a paru avoir affez de piété pour mériter Epifcopat, il n'en a point eu affez pour le refufer, quoiqu'il fe connût incapable d'occuper un pofte fi difficile: que conclure?

Qu'on fait chafte, prudent, grave, modefte, & capable d'inftruire; qu'on ne foit ni fujet au vin, ni prompt, ni emporté, mais équitable. doux, pacifique & défintéreffé; qu'on fe foiz

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