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qu'on a furmontées; c'eft l'avantage des fon dateurs, tels que Lycurgue & le Czar Pierre. Mais on doit auffi diftraire du mérite du fuccès tout ce qu'a fait la violence. Il est beau de prévoir, comme Lycurgue, qu'on humanifera un peuple féroce avec de la mufique ; il n'y a aucun mérite à imaginer, comme le Czar, de fe faire obéir à coups de fabre. La feule domination glorieufe eft celle que les hommes préferent ou par raifon ou par amour: imperatoriam majeftatem armis decora tam, legibus oportet effe armatam, dit l'Empereur Juftinien.

De tous ceux qui ont défolé la terre il n'en eft aucun qui, à l'en croire, n'en voulût affurer le bonheur. Défiez-vous de quiconque prétend rendre les hommes plus heureux qu'ils ne veulent l'être; c'eft la chimere des ufurpateurs, & le prétexte des tyrans. Celui qui fonde un Empire pour lui-même, taille dans un peuple comme dans le marbre, fans en regretter les débris ; celui qui fonde un Empire pour le peuple qui le compofe, commence par rendre ce peuple flexible, & le modifie fans le brifer. En général, la perfonnalité, dans la cause publique, eft un crime de leze-humanité. L'homme qui fe facrifie à lui feul le repos, le bonheur des hommes, eft de tous les animaux le plus cruel & le plus vorace: tout doit s'unir pour l'accabler.

Sur ce principe nous nous fommes élevés contre les auteurs de toute guerre injufte. Nous avons invité les difpenfateurs de la gloire à couvrir d'opprobres les fuccès mêmes des conquérants ambitieux; mais nous fommes bien éloignés de difputer à la profeffion des

armes la part qu'elle doit avoir à la gloire de l'Etat dont elle est le bouclier, & du trô ne dont elle est la barriere.

Que celui qui fert fon Prince ou fa patrie foit armé pour la bonne ou pour la mauvaile caufe; qu'il reçoive l'épée des mains de la juftice, ou des mains de l'ambition; il n'eft ni juge ni garant des projets qu'il exécute; la gloire perfonnelle eft fans tache; elle doit être proportionnée aux efforts qu'elle lui coûte. L'austérité de la difcipline à laquelle il fe foumet, la rigueur des travaux qu'il s'impofe, les dangers affreux qu'il va courir;en un mot, les facrifices multipliés de fa liberté, de fon repos & de fa vie, ne peuvent être dignement payés que par la gloire. A cette gloire qui accompagne Ja valeur généreufe & pure, fe joint encore la gloire des talents qui, dans un grand Capitaine, éclairent, fecondent& couronnent la valeur.

Sous ce point de vue, il n'eft point de gloire comparable à celle des guerriers; car celle même des Légiflateurs exige peut-être plus de talents, mais beaucoup moins de facrifices: leurs travaux font à la vérité fans relâche, mais ils ne font pas dangereux. En fuppofant donc le fléau de la guerre inévitable pour l'humanité, la profeffion des armes doit être la plus honorable, comme elle eft la plus périlleufe.llferoit dange reux fur-tout de lui donner une rivale dans des états exposés par leur fituation à la jalousie & aux infultes de leurs voisins. C'est peu d'y ho norer le mérite qui commande, il faut y honorer encore la valeur qui obéit. Il doit y avoir une maffe de gloire pour le corps qui fe diftingue; car fi la gloire n'eft pas l'objet de chaque foldat en particulier, elle est l'objet de la mul

titude réunie. Un légionnaire penfe en homme une légion penfe en héros, & ce qu'on appelle l'efprit du corps ne peut avoir d'autre aliment, d'autre mobile que la gloire.

On fe plaint que notre hiftoire eft froide & feche en comparaifon de celle des Grecs & des Romains. La raison en est bien senfible. L'hiftoire ancienne est celle des hommes; l'histoire moderne eft celle de deux ou trois hommes: un Roi, un Ministre, un Général.

Dans le Régiment de Champagne, un Officier demande, pour un coup de main, douze hommes de bonne volonté: tout le corps refte immobile, & perfonne ne répond. Trois fois la même demande, & trois fois le mê-me filence. Hé quoi ! dit l'Officier, l'on ne m'entend point! L'on vous entend, s'écrie une voix; mais qu'appellez-vous douze hommes de bonne volonté? Nous le fommes tous vous n'avez qu'à choisir.

La tranchée de Philisbourg étoit inondée; le foldat y marchoit dans l'eau plus qu'à demi corps. Un très-jeune Officier, à qui fon âge ne permettoit pas d'y marcher de même, s'y faifoit porter de main en main. Un grenadier le préfentoit à fon camarade, afin qu'il le prît dans fes bras: mets-le fur mon dos, dit celui-ci; du moins, s'il y a un coup de fufil à recevoir, je le lui épargnerai.

Le Militaire Français a mille traits de cette beauté, que Plutarque & Tacite auroient eu grand foin de recueillir. Nous les reléguons dans des mémoires particuliers, comme peu dignes de la majefté de l'histoire. Il faut ef pérer qu'un Hiftorien philofophe s'affranchira de ce préjugé.

Toutes les conditions qui exigent des ames réfolues aux grands facrifices de l'intérêt perfonnel au bien public, doivent avoir pour encouragement la perfpective, du moins éloignée, de la gloire perfonnelle. On fait bien que les Philofophes, pour rendre la vertu inébranlable, l'ont préparée à fe paffer de tout: non vis effe juftus fine gloria; at mehercule, fæpè juftus effe debebis cum infamiâ... Mais la vertu même ne fe roidit que contre une honte paffagere, & dans l'efpoir d'une gloire à venir. Fabius fe laiffe infulter dans le camp d'Annibal, & déshonorer dans Rome pendant le cours d'une campagne: auroit-il pu fe réfoudre à mourir déshonoré, à l'être à jamais dans la mémoire des hommes ? N'attendons pas ces efforts de la foibleffe de notre nature; la religion feule en eft capable, & fes facrifices mêmes ne font rien moins que défintéreffés. Les plus humbles des hommes ne renoncent à une gloire périffable qu'en échange d'une gloire immortelle. Ce fut l'espoir de cette immortalité qui foutint Socrate & Caton. Un Philofophe ancien difoit: » comment veux-tu que je fois » fenfible au blâme, fi tu ne veux pas que je » fois fenfible à l'éloge? «

A l'exemple de la théologie, la morale doit prémunir la vertu contre l'ingratitude & le mépris des hommes, en lui montrant dans le lointain des temps plus heureux & un monde plus jufte.

Lá gloire accompagne la vertu comme fon ombre,dit Séneque;mais, comme l'ombre d'un corps tantôt le précede & tantôt le fuit, de même la gloire tantôt devance la vertu & feprésente la premiere, tantôt ne vient qu'à fa fuite, lorf que l'envie s'eft retirée; & alors elle eft d'au

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tant plus grande qu'elle fe montre plus tard. C'est donc une philofophie auffi dangereufe que vaine, de combattre dans l'homme le preffentiment de la postérité & le défir de se survivre. Celui qui borne fa gloire au court espace de fa vie eft efclave de l'opinion & des égards; rebuté fi fon fiecle eft injufte, découragé s'il eft ingrat; impatient fur-tout de jouir, il veut recueillir ce qu'il feme; il préfere une gloire précoce & paffagere à une gloire tardive & durable; il n'entreprendra rien de grand.

Celui qui fe tranfporte dans l'avenir, & qui jouit de fa mémoire, travaillera pour tous les fiecles comme s'il étoit immortel: que fes contemporains lui refufent la gloire qu'il a méritée, leurs neveux l'en dédommagent; car fon imagination le rend préfent à la postérité.

C'est un beau fonge, dira-t-on. Hé ! jouiton jamais de fa gloire autrement qu'en fonge! Ce n'eft pas le petit nombre des fpectateurs qui vous environnent qui forme le cri de la renommée. Votre réputation n'eft glorieuse qu'autant qu'elle vous multiplie où vous n'êtes pas, où vous ne ferez jamais. Pourquoi donc feroit-il plus infenfé d'étendre en idée fon exiftence aux fiecles à venir qu'aux climats éloignés? L'efpace réel n'eft pour vous qu'un point, comme la durée réelle. Si vous vous renfermez dans l'un ou l'autre, votre ame y va languir abattue, comme dans une étroite prison. Le défir d'éternifer fa gloire eft un enthousiasme qui nous agrandit, qui nous éleve au-dessus de nous-mêmes & de notre fiecle, & quiconque le raisonne n'eft pas digne de le fentir. Méprifer la gloire, dit Tacite, c'est mépriser les vertus qui y menent.

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