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contention les brife; mais aucun de ces accidents n'eft mortel. On a vu les Nations fe relever des plus terribles chûtes, revenir de l'état le plus défefpéré, &, après les crifes les plus violentes, fe rétablir avec plus de force & plus de vigueur que jamais. Leur décadence n'eft donc pas marquée, comme l'eft pour nous le déclin des ans; leur vieilleffe eft une chimere; & l'efpérance qui foutient le courage, peut s'étendre auffi loin qu'on veut. Cet Empire eft foible, ou plutôt languiffant; mais le remede, ainfi que le mal, eft dans la nature des chofes, & nous n'avons qu'à l'y chercher. Hé bien, dit l'Empereur, daignez faire avec nous cette recherche confolante; & avant d'aller au remede, remontons aux fources du mal. Je le veux bien, dit Bélifaire; & ce fera plus d'une fois le fujet de nos entretiens.

CHAPITRE XI.

USTINIEN plus impatient que jamais de revoir Bélifaire, vint le preffer le jour fuivant, de déchirer le voile qui depuis fi long-temps. lui cachoit les maux de l'Empire. Bélfaire ne remonta qu'à l'époque

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de Conftantin. Quel dommage, dit-il, qu'avec tant de réfolution, de courage & d'activité, ce génie vaste & puissant se soit trompé dans fes vues, & qu'il ait employé à ruiner l'Empire, plus d'efforts qu'il n'en eût fallu pour en rétablir la fplendeur! Sa nouvelle conftitution eft un chef-d'œuvre d'intelligence: la Milice Prétorienne abolie, les enfants des pauvres adoptés par l'Etat, (a) l'autorité du Préfet divifée & réduite, (b) les Vétérans établis poffeffeurs & gardiens des frontieres, tout cela étoit fage & grand. Que ne s'en tenoit-il à des moyens fi fimples? Il ne vit pas, ou ne voulut pas voir que tranfporter le fiege de l'Empire, c'étoit en ébranler, & au phyfique & au moral, les plus folides fondements. Il eut beau vouloir que fa Ville fût une feconde Rome; il eut beau dépouiller l'ancienne de fes plus riches ornements, pour en décorer la nouvelle; ce n'étoit là qu'un jeu de théâtre, qu'un spectacle fragile & vain.

(a) Dès qu'un pere déclaroit ne pouvoir nourrir fon enfant, l'Etat en étoit charge; l'enfant devoit être nourri, élevé aux dépens de la République. Conftantin voulur que cette Loi fût gravée fur le marbre, afin qu'elle fût éternelle (b) Voyez Zofime, L. 2, ch. 33.

Vous m'étonnez, interrompit Tibere, & la Capitale du monde me fembloit bien plus dignement, bien plus avantageufement placée fur le Bofphore, au milieu de deux mers, & entre l'Europe & l'Afie, qu'au fond de l'Italie, au bord de ce ruiffeau qui foutient à peine une barque.

Conftantin a penfé comme vous, dit Bélifaire, & il s'eft trompé. Un Etat, obligé de répandre fes forces au-dehors, doit être au-dedans facile à gouverner, à contenir & à défendre. Tel eft l'avantage de l'Italie. La nature elle-même fembloit en avoir fait le Siege des Maîtres du monde. Les monts & les mers qui l'entourent, la garantiffent, à peu de fraix, des infultes de fes voifins; & Rome, pour fa fûreté, n'avoit à garder que les Alpes. Si un ennemi puiflant & hardi franchiffoit ces barrieres, l'Apennin fervoit de refuge aux Romains, & de rempart à la moitié de l'Italie ce fut là que Camille défit les Gaulois: & c'est dans ce même lieu que Narsès a remporté sur Totila une fi belle victoire.

Ici nous n'avons plus de centre fixe & immuable. Le reffort du Gouvernement eft exposé au choc de tous les revers. Demandez aux Scythes, aux Sarmates, aux Efclavons, fi l'Hebre, le Danube, le Tanaïs, font des barrieres qui leur impofent.

Bifance eft contre eux notre unique refuge; & la foibleffe de fes murs n'eft pas ce qui m'afflige le plus.

A Rome, les loix qui regnoient au-dedans pouvoient étendre de proche en proche leur vigilance & leur action, du centre de l'Etat jufqu'aux extrémités : l'Italie étoit fous leurs yeux-& fous leurs mains modératrices elles y formoient les mœurs publiques; & les moeurs, à leur tour, leur donnoient de fideles difpenfateurs. Ici nous avons les mêmes Loix; mais comme tout eft tranfplanté, rien n'eft d'accord, rien n'eft enfemble. L'efprit national n'a point de caractere; la Patrie n'a pas même un nom. L'Italie produifoit des hommes qui refpiroient, en naiffant, l'amour de la Patrie, & qui croiffoient dans le champ de Mars. Ici quel eft le berceau, quelle eft l'école des Guerriers? Les Dalmates, les Illyriens, les Thraces font auffi étrangers pour nous que les Numides & les Maures. Nul intérêt commun qui les lie, nul efprit d'Etat & de Corps qui les anime & les faffe agir. Souvenez-vous que vous êtes Romains, difoit à fes Soldats un Capitaine de l'ancienne Rome; & certe harangue les rendoit infatigables dans les travaux, & intrépidés dans les combats. A préfent que dirons-nous à nos Troupes pour les encourager? Souve

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nez-vous que vous êtes Arméniens, Numides, ou Dalmates? L'Etat n'eft plus un Corps, c'est le principe de fa foibleffe; & l'on n'a pas vu qu'il falloit des fiecles pour y rétablir cette unité qu'on appelle Patrie, & qui eft l'ouvrage infenfible & lent de l'habitude & de l'opinion. Conftantin a décoré fa Ville des ftatues des Héros de Rome: vain ftratagême, hélas! ces images facrées étoient vivantes au Capitole; mais le Génie qui les animoit n'eft pas monté fur nos vaiffeaux: ils n'ont tranfporté que des marbres. Les Paul Emiles, les Scipions, les Catons font muets pour nous: Bifance leur eft étrangere. Mais dans Rome ils parloient au Peuple, & ils en étoient entendus.

Je ne vois pas, dit Juftinien, qu'à Rome l'Empire ait été plus tranquille, ni plus heureux depuis long-temps. Le Peuple y étoit avili, & le Sénat plus avili encore.

Un Empire eft foible & malheureux partout, dit Bélifaire, quand il eft en de mauvaifes mains. Mais à Rome il ne falloit qu'un bon regne pour changer la face des chofes. Voyez de quel abaiffement l'Etat fortit fous Adrien, & à quel point de gloire & de majefté il arriva fous Marc-Aurele. La vertu Romaine s'éclipfoit fans s'éteindre; le Prince digne de la ranimer, en retrouvoit le germe dans les cœurs. Ce ger

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