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pas que je me repréfente le Dieu que je dois adorer, comme un tyran trifte & farouche qui ne demande qu'à punir? Je fais bien que lorfque des hommes jaloux, fuperbes, mélancoliques nous l'annoncent ils le font colere & violent comme eux; mais ils ont beau lui attribuer leurs vices; je tâche moi, de ne voir en lui que ce que je dois imiter. Si je me trompe, au moins fuis-je affuré que mon erreur eft innocente. Dieu m'a créé foible, il fera indulgent; il fait bien que je n'ai ni la folie ni la malice de vouloir l'offenfer: c'eft une rage impuiffante & abfurde que je ne conçois même pas. Je lui fuis plus fidele encore, & plus dévoué mille fois que je ne le fus jamais à l'Empereur; & je fuis bien fûr que l'Empereur, qui n'eft qu'un homme, ne m'eût jamais fait aucun mal, s'il avoit pu lire comme lui dans mon cœur.

Hélas! ce Dieu, reprit Juftinien, n'en eft pas moins un Dieu terrible. Terrible aux méchants, je le crois, dit Bélifaire; mais je fuis bon; & autant l'ame d'un fcélérat eft incompatible avec cette divine effence, autant je me plais à penfer que l'ame du jufte lui eft analogue. Et qui de nous eft jufte, dit l'Empereur? Celui qui fait de fon mieux pour l'être, dit Bélifaire : car la droiture eft dans la volonté.

Je ne m'étonne pas, dit le jeune Tibere, fi votre pensée aime à s'élever jufqu'à lui : vous le voyez fi favorable! Hélas, dit le vieillard, je fens bien qu'en m'efforçant de le concevoir, je fatigue en vain ma foible intelligence à réunir tout ce que je fais de meilleur & de plus beau, & qu'il n'en résulte jamais qu'une idée très-imparfaite. Mais que voulez-vous que faffe un homme qui tâche de connoître un Dieu? Si cet Etre incompréhenfible fe plaît à quelque chofe, c'eft à l'amour de ses enfants; & ce qui me le peint fous les traits les plus doux, eft ce que je faifis le plus avidement, pour en compofer fon image.

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Ce n'est pas affez, dit l'Empereur, de fe le peindre bienfaifant, il faut ajouter qu'il eft jufte. C'est la même chofe, dit le vieillard fe plaire au bien, haïr le mal, récompenfer l'un, punir l'autre, c'eft être bon: je m'en tiens-là. N'avez-vous jamais, comme moi, affifté en idée au lever de Titus, de Trajan, & des Antonins? C'est une de mes rêveries les plus fréquentes & les plus délicieuses. Je crois être au milieu de cette Cour, toute compofée de vrais amis du Prince; je le vois fourire avec bonté à cette foule d'honnêtes gens, répandre fur eux les rayons de fa gloire, se communiquer à eux avec une majefté pleine

de douceur, & remplir leur ame de cette joie pure, qu'il reffent lui-même en faisant des heureux. Hé bien, la Cour de celui qui m'attend fera infiniment plus augufte & plus belle. Elle fera compofée de ces Titus, de ces Trajans, de ces Antonins, qui ont fait les délices du monde. C'est avec eux & tous les gens de bien, de tous les Pays & de tous les âges, que le pauvre aveugle Bélifaire fe trouvera devant le Trône du Dieu jufte & bon. Et les méchants, lui dit Tibere, qu'en faites-vous?— Ils ne feront point là. J'efpere y voir, ajouta-t-il, l'augufte & malheureux vieillard qui m'a privé de la lumiere: car il a fait du bien, & il l'a fait par goût; & s'il a fait du mal, il l'a fait par furprise. Il fera bienaife, je crois, de me retrouver mes deux yeux! En parlant ainfi, fon vifage étoit tout rayonnant de joie ; & l'Empereur fondoit en larmes, penché fur le fein de Tibere.

Mais bientôt l'attendriffement faifant place à la réflexion, vous efpérez trouver, dit-il à Bélifaire, les Héros Païens dans le Ciel! (a) Y penfez-vous? Ecoutez, mon

(a) Les Peres de l'Eglife ont penfé, que Dieu feroit un miracle, plutôt que de laiffer mourir hors de la voie du falut, celui qui auroit fidéle. ment fuivi la Loi naturelle. Mais on fait que Juftinien étoit fanatique & perfécuteur.

voifin, dit Bélifaire: Vous n'avez pas envie d'affliger ma vieilleffe? Je fuis un pauvre homme, qui n'ai d'autre confolation que

Suares, & prefque tous les Auteurs de fon temps, enfeignent que la connoiffance implicite des vérités myftérieufes de la Religion Chrétienne fuffit pour le falut, aux perfonnes qui font dans l'impoffibilité de les connoître diftinétement; qu'il fuffit, dans ce cas, de connoître & de croire, d'une véritable foi, l'existence de Dieu & fa provi. dence, d'obferver fidélement la Loi naturelle.

Ce fentiment n'a jamais été condamné par l'Eglife; & les Auteurs qui le combattent, comme Sylvius, Haber, &c. ne le rejettent que coinine moins probable.

Innocent XI, & le Clergé de France, dans l'Affemblée de 1700, n'ont donné aucune at. teinte à ce fentiment de Suarès. La plus faine partie des Théologiens s'accordent à dire que les Infideles, dont l'erreur eft de bonne foi, peuvent, avec des graces furnaturelles que Dieu leur accorde, obferver la Loi naturelle; & que s'ils le font, Dieu ne permettra jamais qu'ils meurent fans la connoiffance des vérités néceffaires au falut.

S. Thomas, dans fon Commentaire fur le Li. vre des Sentences, fe propofe la difficulté des Incrédules:

Nullus damnatur in hoc quod vitare non poteft: fed aliquis natus in filvis, vel inter Infideles, non poteft diftinctè de fidei articulis cognitionem habere: ergo non damnatur; & tamen non habet fidem explicitam ergo videtur quod explicatio fidei non fit de neceffitate falutis. Voici fa réponse: In eis qua funt neceffaria ad falutem, numquam Deus bomini

l'avenir que je me fais. Si c'eft une illufion, laiffez-la moi : elle me fait du bien; & Dieu n'en eft point offenfé: car je l'en aime davantage. Je ne puis me réfoudre à croire qu'entre mon ame & celle d'Aristide, de Marc-Aurele & de Caton, il y ait un éternel abyme; & fi je le croyois, je fens que j'en aimerois moins l'Etre excellent qui nous a faits.

Jeune homme, dit l'Empereur à Tibere, en honorant dans ce Héros cet enthousiafme généreux, n'allez pas le prendre pour guide. Bélifaire ne s'eft jamais piqué d'être profond dans ces matieres. Profond! hélas ! & qui peut l'être, dit le vieillard? Quel homme affez audacieux peut dire avoir fondé les décrets éternels? Mais Dieu nous a donné deux guides, qui doivent être d'accord ensemble, la lumiere de la Foi & celle du fentiment. Ce qu'un fentiment naturel & irréfiftible nous affure, la Foi ne peut le défavouer. La révélation n'est que le fupplément de la confcience : c'est la

quarenti fuam falutem deeft, vel defuit, nifi ex culpâ fuâ remaneat: unde explicatio eorum qua funt de neceffitate falutis, vel divinitùs homini provide. retur per pradicationem fidei, ficut patet de Cornelio; vel per revelationem, (intimam) quâ fuppofitâ, in poteftate eft liberi arbitrii ut in actum fidei erumpat. Distinct. 25, quest. 2. art. 1.

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