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fe mettre en défense, ils tombent à genoux, & demandent la vie. On les faifit, on les fait traîner dans le lieu où étoit Bélifaire. Beffas, à la clarté des flambeaux, voit à cheval un vieillard aveugle; il le reconnoît, il lui tend les bras, il lui crie grace & pitié. Le vieillard attendri, conjure les Bulgares de l'épargner lui & les fiens. Point de grace pour les méchants, lui répondit le Chef; ce fut le fignal du carnage: Beffas & fes convives furent tous égorgés. Auffitôt fe faifant amener leurs Valets, qui croyoient aller au fupplice; vivez, leur dit le même, & venez nous fervir, car c'eft nous qui fommes vos maîtres. Alors la troupe fe mit à table, & fit affeoir Bélifaire à la place de Beffas.

Bélifaire ne ceffoit d'admirer les révolutions de la fortune. Mais ce qui venoit d'arriver l'affligeoit. Compagnons, dit-il aux Bulgares, vous me donnez un chagrin mortel, en faifant couler autour de moi le fang de mes compatriotes. Beffas étoit un avare inhumain je l'ai vu dans Rome affamer le Peuple, & vendre le pain au poids de l'or, fans pitié pour les malheureux qui n'avoient pas de quoi payer leur vie. Le Ciel l'a puni; je ne le plains que d'avoir mérité fon fort. Mais ce carnage, fait en mon nom, eft une tache pour ma gloire.

Ou faites-moi mourir, ou daignez me promettre que rien de pareil n'arrivera tant que je ferai parmi vous. Ils lui promirent de fe borner au foin de leur propre défense; mais le Château de Beffas fut pillé; & après y avoir paffé la nuit, les Bulgares, chargés de butin, fe mirent en marche avec Bélifaire.

Leur Général, comblé de joie de le voir arriver dans fon camp, vint au-devant de lui; & le recevant dans fes bras: Viens, mon pere, lui dit-il, viens voir fi c'eft nous qui fommes les barbares. Tout t'abandonne dans ta Patrie, mais tu trouveras parmi nous des amis & des vengeurs. En difant ces mots, il le conduifit par la main dans fa tente, l'invita à s'y repofer, & ordonna qu'autour de lui tout refpectât fon fommeil. Le foir, après un foupé fplendide, où le nom de Bélifaire fut célébré par tous les Chefs du camp barbare, le Roi s'étant enfermé avec lui: Je n'ai pas befoin, lui dit-il, de te faire fentir l'atrocité de l'injure que tu as reçue. Le crime eft horrible; le châtiment doit l'être. C'eft fous les ruines du Trône & du Palais de votre vieux Tyran, fous les débris de fa Ville embrafée, qu'il faut l'enfevelir avec tous fes complices. Sois mon guide, apprendsmoi, magnanime vieillard, à les vaincre

& à te venger. Ils ne t'ont pas ôté la lumiere de l'ame, les yeux de le fageffe; tu fais les moyens de les furprendre & de les forcer dans leurs murs. Reculons au-delà des mers les bornes de leur Empire; & fi dans celui que nous allons fonder, c'est peu pour toi du fecond rang, partage avec moi, j'y confens, tous les honneurs du rang fuprême; & que le Tyran de Bifance, avant d'expirer fous nos coups, t'y voie encore une fois entrer fur un char de triomphe. Vous voulez donc, lui répondit Bélifaire, après un filence, qu'il ait eu raison de me faire crever les yeux? Il y a long-temps, Seigneur, que Bélifaire a refufé des couronnes. Carthage & l'Italie m'en ont offert. J'étois dans l'âge de l'ambition; je me voyois déja perfécuté; je n'en reftai pas moins fidele à mon Prince & à ma Patrie. Le même devoir qui me lioit, subfifte, & rien n'a pu m'en dégager. En donnant ma foi à l'Empereur, j'efpérois bien qu'il feroit jufte; mais je ne me réfervai, s'il ne l'étoit pas, ni le droit de me défendre, ni celui de me venger. N'attendez de moi contre lui ni révolte ni trahifon. Et que vous ferviroit de me rendre parjure? De quel fecours vous feroit un vieillard privé de la lumiere, & dont l'ame même a perdu sa force & fon activité? Vo

tre entreprise est au-deffus de moi, peutêtre au-deffus de vous-même. Dans le relâchement des refforts de l'Empire, il vous paroît foible; il n'eft que languiffant : & pour le relever, pour ranimer fes forces, il feroit peut-être à fouhaiter pour lui qu'on entreprît ce que vous méditez. Cette Ville que vous croyez facile à furprendre, eft pleine d'un Peuple aguerri; & quels hommes encore il auroit à fa tête ! Si le vieux Bélifaire eft au rang des morts, Narsès eft vivant, Narsès a pour rivaux de gloire, Mundus, Hermès, Salomon, & tant d'autres qui ne respirent que les combats. Non, croyez-moi, n'attendez que du temps la ruine de cet Empire. Vous y ferez quelques ravages; mais c'eft la guerre des brigands; & votre ame eft digne de concevoir une ambition plus noble & plus jufte. Justinien ne demande plus que des alliés & des amis; il n'eft point de Rois que ces tîtres ne doivent honorer, & il dépend de vous.... Non, reprit le Bulgare, je ne ferai jamais l'ami, ni l'allié d'un homme qui te doit tout, & qui t'a fait crever les yeux. Veux-tu regner avec moi, être l'ame de mes Confeils & le génie de mes Armées? Voilà de quoi il s'agit entre nous. Ma vie eft en vos mains, dit Bélifaire; mais rien ne peut me détacher de mon Souverain lé

gitime; & fi, dans l'état où je fuis, je pouvois lui être utile, fut-ce contre vous-même, il feroit auffi für de moi que dans le temps de mes prospérités. Voilà une étrange vertu, dit le Bulgare! Malheur au Peuple à qui elle paroît étrange, dit Bélifaire. Et ne voyez-vous pas qu'elle eft le fondement de toute difcipline; que nul homme, dans un Etat, n'eft juge & vengeur de lui-même; & que fi chacun fe rendoit arbitre dans fa propre caufe, il y auroit autant de rebelles qu'il y auroit de mécontents? Vous qui m'invitez à punir mon Souverain d'avoir été injufte, donneriez-vous à vos Soldats le droit que vous m'attribuez? Le leur donner, dit le Bulgare! ils l'ont, fans que je le leur donne; mais c'eft la crainte qui les retient. Et nous, Seigneur, c'eft la vertu, dit Bélifaire; & tel eft l'avantage des mœurs d'un Peuple civilifé, fur les mœurs d'un Peuple qui ne l'eft pas. Je vais vous parler avec la franchife d'un homme qui n'efpere & qui ne craint plus rien. A quels Sujets commandez-vous? Leur feule reffource eft la guerre ; & cette guerre, où ils font nourris, leur fait négliger tous les biens de la paix, abandonner toutes les richeffes du travail & de l'industrie, fouler aux pieds toutes les Loix de la nature & de l'équité, & chercher dans la

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