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tout s'arrange le mieux du monde : les difficultés s'applaniffent; les circonstances naiffent à propos & fe combinent à fouhait; on fait tout ce qu'on veut des hommes & des choses; foi-même on fe fuppofe exempt de paffions & de foibleffes, toujours éclairé, toujours fage, auffi ferme que modéré. Douce & trompeufe illufion, qu'une légere épreuve auroit bientôt détruite, fi l'on te noit en main les rênes d'un Etat. Cette illufion même a fon utilité, dit le jeune homme, car la chimere du mieux poffible, devient le modele du bien. Je le fouhaite, dit Bélifaire, mais je n'ofe l'efpérer. Le plus mauvais état des chofes trouve partout des Partifans intéreffés à le maintenir. Et moi, je vous réponds, dit l'Empereur, que les fruits de votre fageffe ne feront point perdus, fi vous les confiez au zele de mon fils. Vous méritez, dit le Héros, que je vous parle à cœur ouvert. Maisj'exige votre parole de ne rien divulguer, fous ce regne, de mes entretiens avec vous. Pourquoi, demanda Juftinien? Pour ne pas affliger de mes triftes réflexions, dit Bélifairé, un vieillard qui ne fent que trop les maux qu'il ne peut réparer. Tel fut leur premier entretien.

Quelle honte pour moi, difoit l'Empereur en s'en allant, d'avoir méconnu un tel

homme! Mon cher Tibere, voilà comme on nous trompe, comme on nous rend injuftes malgré nous.

La nuit, le jour fuivant, il ne vit dans fa Cour que l'image de Bélifaire; & vers le foir, à la même heure, il revint nourrir fa douleur.

CHAPITRE VIII.

BELISAIRE fe promenoit avec fon

guide fur la route. Dès que l'Empereur l'apperçut, il defcendit de fon char; &, en l'abordant Vous nous trouvez plongés, lui dit-il, dans de férieuses réflexions. Frappé de l'injuftice que l'on a fait commettre au malheureux vieillard qui vous a condamné, je méditois avec mon fils fur les dangers du rang fuprême; & je lui difois qu'il étoit bien étrange qu'une multitude d'hommes libres eût jamais pu s'accorder à remettre fon fort dans les mains d'un feul homme, d'un homme foible & fragile comme eux, facile à furprendre, sujet à se tromper, & en qui l'erreur d'un moment pouvoit devenir fi funefte! Et croyez-vous, dit Bélifaire, qu'un Sénat, qu'un Peuple affemblé foit plus jufte & plus infaillible? Eft.

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Eft-ce fous le regne d'un feul que les Camilles, les Thémistocles, les Ariftides ont été profcrits? Multiplier les refforts du Gouvernement, c'eft en multiplier les vices, car chacun y apporte les fiens. Ce n'eft donc pas fans raifon qu'on a préféré le plus fimple; & foit que les Etats aient été conquis ou fondés, qu'ils aient mis leur efpoir dans la bonté des Loix, ou dans la force des armes; il eft naturel que l'homme le plus fage, le plus vaillant, le plus habile, ait obtenu la confiance, & réuni les vœux du plus grand nombre. Ce qui m'étonne ce n'eft donc pas qu'une multitude affemblée ait voulu confier à un feul le foin de commander à tous; mais qu'un feul ait jamais voulu fe charger de ce foin pénible. Voilà, lui dit Tibere, ce que je n'entends pas. Pour l'entendre, dit le vieillard, mettez-vous à la place & du Peuple & du Prince dans cette premiere élection.

Que rifquons-nous, a dû fe dire un Peuple, que rifquons-nous en nous donnant un Roi? Du bien de tous, nous faifons le fien; des forces de l'Etat, nous faifons fes forces; nous attachons fa gloire à nos profpérités comme Souverain, il n'existera qu'avec nous & par nous; il n'a donc qu'à s'aimer pour aimer fes Peuples, & qu'à fentir fes intérêts pour être jufte & bienfaifant.

D

:

Telle a été leur bonne foi. Ils n'ont pas calculé, dit Juftinien, les paffions & les erreurs qui affiégeroient l'ame d'un Prince. Ils n'ont vu, reprit Bélifaire, que l'indivifible unité d'intérêt entre le Monarque & la Nation ils ont regardé comme impoffible que l'un fût jamais, de plein gré & de fang froid, l'ennemi de l'autre. La tyrannie leur a paru une espece de suicide, qui ne pouvoit être que l'effet du délire & de l'égarement ; &, au cas qu'un Prince fût frappé de ce dangereux vertige, ils fe font munis de la volonté réfléchie & fage du Légiflateur, pour l'oppofer à la volonté aveugle & paffionnée de l'homme ennemi de lui-même. Ils ont bien prévu qu'ils auroient à craindre une foule de gens intéreffés au mal; mais ils n'ont pas douté que cette ligue, qui ne fait jamais que le petit nombre, ne fût aifément réprimée par l'impofante multitude des gens intéreffés au bien, à la tête defquels feroit toujours le Prince. Et en effet, avant l'épreuve, qui jamais auroit pu prévoir qu'il y auroit des Souverains affez infenfés pour faire divorce avec leur Peuple, & caufe commune avec fes ennemis? C'est un renversement fi inconcevable de la nature & de la raifon, qu'il faut l'avoir vu pour le croire. Pour moi, je trouve tout fimple qu'on ne s'y foit pas attendu.

Mais à qui l'élection d'un feul, pour dominer fur tous, a dû inspirer de la crainte, c'eft à celui qu'on avoit élu. Un pere de famille, qui a cinq ou fix enfants à élever, à établir, à rendre heureux dans leur état, a tant de peine à dormir tranquille! que fera-ce du Chef d'une famille qui fe compte par millions?

Je m'engage, a-t-il dû fe dire, à ne vivre que pour mon Peuple; j'immole mon repos à fa tranquillité; je fais vœu de ne lui donner que des Loix utiles & juftes, de n'avoir plus de volonté qui ne foit conforme à ces Loix. Plus il me rend puiffant, moins il me laiffe libre. Plus il fe livre à moi, plus il m'attache à lui. Je lui dois compte de mes foibleffes, de mes paffions, de mes erreurs; je lui donne des droits fur tout ce que je fuis: enfin, je renonce à moimême, dès que je confens à regner; & I'homme privé s'anéantit, pour céder au Roi fon ame toute entiere. Connoiffez-vous de dévouement plus généreux, plus abfolu? Voilà pourtant comme pensoient un Antonin, un Marc-Aurele. Je n'ai plus rien en propre, difoit l'un; mon Palais même n'est pas à moi, difoit l'autre ; & leurs pareils ont pensé comme eux.

La vanité du vulgaire ne voit, dans le fuprême rang, que les petites jouiffances

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