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gner confiste à fuivre les mouvements d'un efprit jufte & d'un bon cœur. C'est ce qu'il y a de plus fimple, dit Bélifaire, de plus facile & de plus für. Un bon Payfan d'Illyrie, Juftin, a fait chérir fon regne. Etoitce un politique habile? Non; mais le Ciel l'avoit doué d'un fens droit & d'une belle ame. Si j'étois Roi, ce feroit lui que je tâcherois d'imiter. Une prudence oblique & tortueufe a pour elle quelques fuccès; mais elle ne va qu'à travers les écueils & les précipices; & un Souverain qui s'oublieroit lui-même, pour ne s'occuper que du bonheur du monde, s'expoferoit mille fois moins que le plus inquiet, le plus foupçonneux, & le plus adroit des Tyrans. Mais on l'intimide, on l'effraie, on lui fait regarder fon Peuple comme un ennemi qu'il doit craindre; & cette crainte réalife le danger qu'on lui fait prévoir: car elle produit la défiance, que fuit de près l'inimitié.

Vous avez vu que dans un Souverain les befoins de l'homme ifolé fe réduisent à peu de chofe; qu'il peut jouir à peu de fraix de tous les vrais biens de la vie; que le cercle lui en eft prefcrit, & qu'au-delà ce n'eft que vanité, fantaisie & illufion. Mais tandis que la nature lui fait une loi d'être modéré, tout ce qui l'environne le preffe

d'être avide. D'intelligence avec fon Peuple, il n'auroit pas d'autre intérêt, d'autre parti que celui de l'Etat; on feme entr'eux la défiance; on perfuade au Prince de se tenir en garde contre une multitude indocile, remuante & féditieufe; on lui fait croire qu'il doit avoir des forces à lui oppofer. Il s'arme donc contre fon Peuple; à la tête de fon parti marchent l'ambition & la cupidité; & c'eft pour affouvir cette hydre infatiable qu'il croit devoir fe réserver des moyens qui ne foient qu'à lui. Telle eft la caufe de ce partage que nous avons vu dans l'Empire, entre les Provinces du Peuple & les Provinces de Céfar, entre le bien public & le bien du Monarque. Or, dès qu'un Souverain fe frappe de l'idée de propriété, & qu'il y attache la fûreté de fa Couronne & de fa vie, il eft naturel qu'il devienne avare de ce qu'il appelle fon bien, qu'il croie s'enrichir aux dépens de ses Peuples, & gagner ce qu'il leur ravit; qu'il trouve même à les affoiblir l'avantage de les réduire; & delà les rufes & les furprifes qu'il emploie à les dépouiller; delà leurs plaintes & leurs murmures; delà cette guerre inteftine & fourde qui, comme un feu caché, couve au fein de l'Etat, & fe déclare çà & là par des éruptions foudaines. Le Prince alors fent le befoin des fe

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cours qu'il s'eft ménagés : il croit avoir été prudent; il ne voit pas qu'en étant juste, il fe feroit mis au-deffus de ces précautions timides, & que les paffions ferviles & cruelles qu'il foudoie & tient à fes gages, lui feroient inutiles s'il avoit des vertus. C'eft là, Tibere, ce qu'un jeune Prince doit entendre de votre bouche. Une fois bien perfuadé que l'Etat & lui ne font qu'un, que cette unité fait fa force, qu'elle eft la bafe de fa grandeur, de fon repos & de fa gloire, il regardera la propriété comme un titre indigne de la Couronne; & ne comptant pour ses vrais biens que ceux qu'il affure à fon Peuple, (a) il fera jufte par intérêt, modéré par ambition, & bienfaifant par amour de foi-même. Voilà dans quel fens, mes amis, la vérité eft la mere de la vertu. Il faut du courage fans doute pour débuter par elle avec les Souverains; & quand de lâches complaifants leur ont perfuadé qu'ils regnent pour eux-mêmes, que leur indépendance confifte à vouloir tout ce qui leur plaît, que leurs caprices font des loix fous lefquelles tout doit fléchir; un ami fincere & courageux eft mal

(a) Trajan comparoit le tréfor du Prince à la rate, dont l'enflure caufe l'affoibliffement de tout le refte du corps.

aux calomnies de ma Cour, & peut-être à ma jalousie. Hélas! on me le faifoit craindre! j'aurois mieux fait de l'imiter.

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CHAPITRE X.

E lendemain, à la même heure, Bélifaire les attendoit fur le chemin, au pied d'un chêne antique, où la veille ils s'étoient affis; & il fe difoit à lui-même : Je fuis bien heureux dans mon målheur, d'avoir trouvé des hommes vertueux, qui daignent venir me diftraire, & s'occuper avec moi des grands objets de l'humanité! Que ces intérêts font puiffants fur une ame! Ils me font oublier mes maux. La feule idée de pouvoir influer fur le deftin des Nations, me fait exifter hors de moi, m'éleve audeffus de moi-même; & je conçois comment la bienfaifance, exercée fur tout un Peuple, rapproche l'homme de la Divinité.

Juftinien & Tibere qui s'avançoient, entendirent ces derniers mots. Vous faites l'éloge de la bienfaifance, dit l'Empereur; & en effet, de toutes les vertus, il n'en eft point qui ait plus de charmes. Heureux qui peut en liberté fe livrer à ce doux penchant! Encore, hélas! faut-il le modé

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dit le Héros; & s'il n'eft éclairé, s'il n'eft réglé par la Juftice, il dégénere infenfiblement en un vice tout oppofé. Ecoutez-moi, jeune homme, ajouta-t-il, en adreffant la parole à Tibere.

Dans un Souverain, le plus doux exercice du pouvoir fuprême, c'eft de difpenfer à fon gré les diftinctions & les graces. Le penchant qui l'y porte a d'autant plus d'attrait, qu'il reffemble à la bienfaifance; & le meilleur Prince y feroit trompé, s'il ne fe tenoit en garde contre la féduction. Il ne voit que ce qui l'approche; & tout ce qui l'approche, lui répete fans ceffe, que fa grandeur réfide dans fa Cour, que fa majesté tire tout fon éclat du faste qui l'environne, & qu'il ne jouit de fes droits & du plus beau de fes privileges, que par les graces qu'il répand, & qu'on appelle fes bienfaits.... Ses bienfaits, jufte Ciel! la fubftance du Peuple! la dépouille de l'indigent!... Voilà ce qu'on lui diffimule. L'adulation, la complaifance, l'illufion l'environnent; l'affiduité, l'habitude le gagnent comme à fon infu; il ne voit point les larmes, il n'entend point les cris du pauvre qui gémit de fa magnificence; il voit la joie, il entend les vœux du Courtifan qui la bénit; il s'accoutume à croire qu'elle eft une vertu; & fans remonter à

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