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fions, & je défie la fageffe même d'y démêler la vérité. L'utilité publique n'est plus rien; la perfonnalité décide & du blâme & de la louange; & le Prince que le menfonge obfede, fatigué du doute & de la défiance, ne fort le plus fouvent de l'irréfolution, que pour tomber dans l'erreur.

Que n'en croit-il les faits, reprit Tibere? Ils parlent hautement.

Les faits, dit le vieillard, les faits mêmes s'alterent; & ils changent de face en changeant de témoins. D'après l'événement on juge l'entreprise; mais combien de fois l'événement a couronné l'imprudence, & confondu l'habileté ! On eft quelquefois plus heureux que fage, quelquefois plus fage qu'heureux; &, dans l'une & dans l'autre fortune, il est très-mal aifé d'apprécier les hommes, fur-tout pour un Prince livré aux opinions de fa Cour.

Juftinien, dans fa vieilleffe, en eft la preu ve, dit l'Empereur : il a été cruellement trompé !

Et qui fait mieux que moi, dit Bélifaire, combien fes faux amis ont abufé de sa faveur, & tout ce que l'intrigue a fait pour le furprendre! Ce fut par elle que Narsès fut envoyé en Italie, pour traverser le cours de mes profpérités. L'Empereur ne prétendoit pas m'oppofer un rival dans l'In

tendant de fes finances; mais Narsès avoit un parti à la Cour; il s'en fit un dans mon Armée; la divifion s'y mit, & on perdit Milan, le boulevard de l'Italie. Narsès fut rappellé; mais il n'étoit plus temps: Milan étoit pris, tout fon Peuple égorgé, & la Ligurie enlevée à nos armes. Je fuis bienaife que Narsès ait trouvé grace auprès de l'Empereur nous devons au relâchement de la difcipline d'avoir fauvé la vie à ce grand homme. (a) Mais du temps de la République, Narsès eût payé de fa tête le crime d'avoir détaché de moi une partie de mon Armée, & de m'avoir défobéi. Je fus rappellé à mon tour; & pour commander à ma place, une intrigue nouvelle fit nommer onze Chefs, tous envieux l'un de l'autre, qui s'entendirent mal, & qui furent battus. Il nous en coûta l'Italie entiere. On m'y renvoie, mais fans Armée. Je cours la Thrace & l'Illyrie pour y lever des Soldats. J'en ramaffe à peine un petit nombre, (b) qui n'étoient pas même vêtus. J'arrive en Italie avec ces malheureux, fans chevaux, fans armes, fans vivres. Que pou

(a) In bello qui rem à Duce prohibitam fecit, aut mandata non fervavit, capite punitur, etiam fi rem bene gefferit. Pand. 49, T. 16.

(b) 4000.

vois-je dans cet état? J'eus bien de la peine à fauver Rome. Cependant mes ennemis étoient triomphants à la Cour, & ils se difoient l'un à l'autre : Tout va bien, il est aux abois, & nous l'allons voir fuccomber. Ils ne voyoient que moi dans la caufe publique; & pourvu que fa ruine entraînât la mienne, ils étoient contents! Je demandois des forces, je reçus mon rappel; & pour me fuccéder, on fit partir Narsès, a la tête d'une puiffante Armée. Narsès juftifia fans doute le choix qu'on avoit fait de lui; & ce fut peut-être un bonheur qu'il eût été mis à ma place; mais pour me nuiil avoit fallu nuire au fuccès de mes armes on achetoit ma perte aux dépens de l'Etat. Voilà ce que l'intrigue a de vraiment funefte. Pour élever ou détruire un homme, elle facrifie une Armée, un Empire s'il eft befoin.

re,

Ah! s'écria Juftinien, vous m'éclairez fur tout ce qu'on a fait pour obfcurcir votre gloire. Quelle foibleffe dans l'Empereur d'en avoir cru vos ennemis !

Mon voifin, lui dit Bélifaire, vous ne favez pas combien l'art de nuire eft rafiné à la Cour; combien l'intrigue eft affidue, active, adroite, infinuante. Elle fe garde bien de heurter l'opinion du Prince ou fa volonté; elle l'ébranle peu à peu, comme

une eau qui filtre à travers fa digue, la ruine infenfiblement, & finit par la renverfer. Elle a d'autant plus d'avantage, que l'honnête homme qu'elle attaque eft fans défiance & fans précaution; qu'il n'a pour lui que les faits qu'on déguife, & que la renommée, dont la voix fe perd aux barrieres du Palais. Là c'eft l'envie qui prend la parole; & malheur à l'homme abfent qu'elle a réfolu de noircir. Il n'eft pas poffible que, dans le cours de fes fuccès, il n'éprouve quelques revers; on ne manque pas dé lui en faire un crime; & lors même qu'il fait lè mieux, on lui reproche de n'avoir pas mieux fait un autre auroit été plus loin; il a perdu fes avantages. D'un côté le mal fe groffit, de l'autre le bien fe déprime; & tout compenfé, l'homme le plus utile devient un homme dangereux. Mais un plus grand mal que fa chûte, c'eft l'élévation de celui que l'intrigue met à fa place, & qui communément ne la mérite pas; c'eft l'impreffion que fait fur les efprits l'exemple d'un malheur injufte & d'une indigne profpérité. Delà le relâchement du zele, l'oubli du devoir, le courage de la honte, l'audace du crime, & tous les excès de la licence qu'autorife l'impunité. Tel eft le regne de la faveur. Jugez combien elle doit hâter la décadence d'un Empire,

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Sans doute, hélas, c'eft dans un Prince une foibleffe malheureufe, dit l'Empereur; mais elle est peut-être excufable dans un vieillard, rebuté de voir que depuis trente ans il lutte en vain contre la destinée, & que malgré tous fes efforts le vaiffeau de l'Etat, brifé par les tempêtes, eft fur le point d'être englouti. Car enfin ne nous flattons pas la grandeur même & la durée de cet Empire font les caufes de fa ruine. Il fubit la loi qu'avant lui le vaste Empire de Belus, celui de Cyrus ont fubie. Comme eux il a fleuri; il doit paffer

comme eux.

Je n'ai pas foi, dit Bélifaire, à la fatalité de ces révolutions. C'eft réduire en fyftême le découragement où je gémis de voir que nous fommes tombés. Tout périt, les Etats eux-mêmes, je le fais; mais je ne crois point que la nature leur ait tracé le cercle de leur exiftence. Il est un âge où l'homme eft obligé de renoncer à la vie, & de fe réfoudre à finir; il n'eft aucun temps où il foit permis de renoncer au falut d'un Empire. Un Corps politique eft fujet fans doute à des convulfions qui l'ébranlent, à des langueurs qui le confument, à des accès qui, du transport, le font tomber dans l'accablement : le travail ufe fes refforts, le repos les relâche, la

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