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CHAPITRE IX

SUR LA NÉCESSITÉ D'UN ENSEIGNEMENT MÉTHODIQUE
DES BONNES COUTUMES DE LA PAIX SOCIALE

Par M. Léon ROSTAING

Enivré par les découvertes immenses qu'ont amenées le développement et la propagation des sciences exactes, le XIXe siècle s'efforce de faire prévaloir cette triste aberration que, dans toutes les connaissances humaines, il n'est pas une question dont la solution ne puisse être obtenue par le concours de la raison et l'aide des règles de la science, abstraction faite de la loi divine.

L'économie politique, dont les premiers matériaux ont été assemblés à la veille de la plus désastreuse de nos révolutions, au milieu de la corruption, des erreurs et de l'égoïsme du siècle dernier, a eu le malheureux privilége de s'intro niser, presque sans contestation, sur des bases matérialistes. La célèbre formule: « Le travail est une marchandise dont le cours est régi par la loi de l'offre et de la demande,» est enseignée comme l'un de ses principes rigoureux et fondamentaux. Dans des écoles justement renommées à bien des titres, les maîtres font à la jeunesse

la démonstration de ce théorème, et s'attachent à lui prouver mathématiquement que les intérêts de la société reposent en entier dans les principes relatifs à la formation, à l'accroissement et à la consommation des richesses.

C'est la négation du Décalogue éternel'. C'est un nouveau despotisme s'établissant au mépris de toute considération morale. Et encore, lorsqu'il s'agit du gouvernement d'un État, le despote peut avoir ses heures de clémence et d'abandon, tandis que le prétendu dogme de l'offre et de la demande impose une ligne de conduite invariable dans la voie qu'il trace et inflexible dans toutes ses conséquences, une tyrannie froide, constante, qui ne peut connaître ni trêve ni répit.

Un tel enseignement, en se continuant dans nos grandes écoles, a pour conséquence fatale de suggérer à la jeunesse ce désir immodéré d'arriver rapidement et par tous les moyens à la fortune, et de développer en elle l'égoïsme, cause de tant d'actions déloyales et de ruines désastreuses. On ne saurait sans danger attribuer ainsi à l'économie politique l'inflexibilité des sciences mathématiques, ou même lui reconnaître le caractère purement descriptif des

1 Annuaire de l'Union pour l'an 1875. Le Décalogue dans l'ancienne France, par M. Ch. de Ribbe, page 73.

sciences naturelles. Elle est avant tout une science morale, puisqu'elle s'occupe des actes de l'homme et des créations de sa volonté. Son enseignement doit donc embrasser les intérêts moraux de la famille, de l'État et de la société tout entière; il doit enfin inspirer à la jeunesse le dévouement, sans lequel rien d'honnête et de durable ne saurait être fondé.

Depuis près de deux siècles, une funeste tendance porte toutes les classes dirigeantes à s'affranchir des devoirs imposés par le dévouement; et c'est à cette cause qu'il faut attribuer, au moins en grande partie, les maux de notre époque, et, en première ligne, l'antagonisme social. L'éducation économique des jeunes gens appelés à fournir plus tard leur carrière dans les entreprises industrielles et commerciales, c'est-à-dire au milieu des populations ouvrières, parmi lesquelles d'ordinaire ces sentiments d'antagonisme se manifestent avec une intensité plus grande, doit donc indispensablement être dirigée dans la voie du dévouement, qui seul peut préparer la régénération de la France.

Cette nécessité est pressante. Chaque jour les obstacles vont grandissant, en même temps que les périls deviennent plus. menaçants. Les responsabilités personnelles tendant de plus en plus à s'effacer. L'ouvrier, assimilé à la mar

chandise, assujetti comme elle à la loi de l'offre et de la demande, voit se multiplier les chômages volontaires, qui engendrent l'oisiveté et, avec elle, le désordre et les vices. Les patrons abritent sous le couvert de la libre concurrence les actes les plus déloyaux; la jalousie dévore leur cœur et les entraîne jusqu'à l'oubli de leur propre dignité. Non-seulement ils attirent ou repoussent les ouvriers suivant les caprices du commerce; non-seulement ils n'hésitent pas, s'ils croient y trouver un intérêt momentané, embaucher à leur profit ceux de leurs confrères et à encourager par ce trafic cette mobilité déjà si grande qui désorganise la famille ouvrière et l'atelier; ils vont parfois jusqu'à favoriser la grève chez leurs concurrents dans le but de s'approprier leurs ouvriers.

Le partage forcé des biens, dont l'influence malfaisante se fait sentir davantage à mesure que nous nous éloignons de l'époque où il fut imposé à la France en vue d'atteindre l'aristocratie jusque dans ses tombeaux, en déclarant nuls les testaments faits en haine de la révolution, contribue largement à accroître le nombre des entreprises dans lesquelles les

2 La Réforme sociale, 5° édition, chap. 20.: 3 Annuaire de l'Union pour l'an 1875. La Liberté du testament et la prospérité du commerce, par M. le comte de Butenval.

principes les plus sacrés s'effacent devant la soif du succès rapide. Sous l'empire de cette législation, les chefs d'industrie, n'ayant presque jamais la certitude de fonder une institution sûrement transmissible à leurs enfants, s'acharnent à faire promptement fortune, afin de se retirer au plus vite en cédant l'entreprise à un successeur, le plus souvent étranger à leur famille. Les patrons, dont l'autorité et l'influence éphémères sont souvent subordonnées à un contrat aléatoire que le moindre événement peut invalider, se persuadent sans peine qu'ils ont fait acte de bonne administration lorsque, suivant l'état du marché, ils ont accaparé ou rejeté un nombre d'ouvriers plus ou moins considérable, et que leur tâche est remplie lorsqu'ils ont payé des salaires. Il est peut-être de leur intérêt immédiat, le seul du reste qu'ils envisagent, d'en user comme ils font; mais chaque crise politique ou commerciale ne vient-elle pas leur rappeler qu'aucune prospérité durable n'est possible lorsqu'elle repose sur des bases si faibles et si mouvantes? C'est ainsi que le régime du partage forcé complique encore l'une des plus grandes difficultés de notre époque, l'organisation du travail, en servant à corroborer, dans l'esprit des patrons et des ouvriers, la

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