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Le véritable génie est celui dont les ouvrages restent vrais, quels que soient les temps, les circonstances et les hommes. Cette immuable vérité n'existe que dans la nature. Voilà pourquoi Shakespeare, cet immortel observateur du cœur humain et de ses passions, est encore aujourd'hui en Angleterre le roi des poètes tragiques. Qui eut jamais une révélation plus intime de tout ce qui se passe en nous? qui dévoila par des traits plus subits, plus éclatans, la secrète pensée qui habite au-dedans de notre âme, et que nous ignorons quelquefois nous-mêmes? qui posséda mieux l'art de trahir les agitations intérieures? jamais les héros de Shakespeare, ne disent au public, « je souffre; je conspire; je me repens. » C'est un mot, une pensée, un geste, souvent inaperçu du

vulgaire, qui vous fait confident de ces terribles secrets. Vous entrevoyez la vérité, vous allez audevant, enfin elle se dévoile à vous tout entière. Votre esprit, votre âme, ont passé sur la scène. Vous n'êtes plus spectateur, votre cœur bat à l'unisson de celui du poète : il vous entraîne, il vous captive, il commande à vos émotions.

Pour juger Shakespeare, il ne faut pas se faire Anglais, comme j'ai ouï assurer qu'il fallait se faire Grec pour juger des tragédies grecques, mais il faut se faire homme; c'est-à-dire revenir à la nature, dépouiller du vernis de la société les impressions profondes et vraies, renoncer à un langage de convention, à des personnages factices montés sur des échasses, qui vivent, naissent et meurent d'une manière toute différente de celle de la foule; qui n'ont ni passé, ni lendemain, et qui sont tenus d'exécuter en vingt-quatre heures toutes les actions les plus importantes de la vie. Il est vrai que le sort précipite quelquefois la marche des événemens, mais jamais à ce point, et c'est presque toujours d'ailleurs une exception à la règle générale. Il me semble qu'il est plus difficile de concilier cette promptitude avec la raison que les lacunes qui se trouvent dans quelques pièces de Shakespeare. Là, du moins il existe une probabilité; mais l'illusion, dira-t-on? l'illusion n'est jamais si complète que nous ne sachions bien en allant au théâtre que nous allons

assister à la représentation de malheurs imaginaires, ou du moins passés depuis long-temps, et non à des faits véritables. D'ailleurs, la salle, les spectateurs, la musique, nous avertissent assez que nous sommes au spectacle à Paris, et non dans l'intérieur d'un palais, ou du Capitole. Nous pourrions aussi bien nous plaindre, après la lecture d'un roman, de ce que l'auteur nous a fait passer en revue les événemens de dix ans, nous a fait parcourir différentes contrées, sympathiser avec une foule de personnages, et tout cela en un jour.

Les pièces de Shakespeare ont, en général, un intérêt prodigieux, parce qu'il y a beaucoup d'imprévu dans l'action et dans les hommes. C'est une idée bien fausse et bien démentie par l'observation que la conviction où l'on est en France qu'un personnage tragique doit être conséquent. Si l'histoire ne l'a envisagé que sous un seul point de vue, comme citoyen, ou homme d'état, vous le retrouverez toujours avec le même aspect sur le théâtre, et dans les livres; c'est comme si l'on s'obstinait à ne jamais peindre un héros qu'en copiant servilement la médaille où il est représenté de profil. Shakespeare avait trop bien observé le cœur humain pour ne pas savoir qu'il nourrit souvent les penchans les plus opposés, que le bien et le mal, la force et la faiblesse, existent et se confondent dans le même individu. Assurément ces nuances-là ont été senties et rendues

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