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CHAPITRE IV.

Les vertus républicaines.

J'avais beau m'en défendre; j'étais frappé au cœur. Il est des blessures qui saignent éternellement et celle-là en était une. Mettre toute son âme dans un principe et en tomber victime à l'heure de l'avé nement, c'est périr comme l'Indien qu'écrasent les roues du char où triomphe sa divinité. Le ciel m'est témoin qu'il y avait en moi assez de trésors de dévouement pour me rendre ce sacrifice facile. Je me serais toujours trouvé assez heureux pourvu que la patrie fût glorieuse. Mais était-ce le cas et n'avaisje rien à rabattre de l'idéal où planaient mes rêves? Avions-nous sous les yeux la véritable République,

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celle qui serait à tous, comme tous seraient à elle, la grande et sainte République de l'avenir? J'en doutais, et ce doute pesait sur mon esprit bien plus lourdement que ma disgrâce.

Dans le cadre restreint ou j'avais pu suivre les événements, qu'avais-je vu, sinon le déchaînement des plus mauvaises passions sous les plus mauvaises formes? Moi qui m'étais promis pour spectacle l'harmonie universelle, et l'union des volontés, des populations tranquilles dans un pays florissant, l'aisance et le bonheur par le concert des intelligences et des forces, les nations réunies dans un embrassement fraternel, l'oubli de l'individu au profit de la communauté, la gloire au plus humble, l'honneur au plus dévoué, la puissance au plus digne, il me fallait descendre de cet empyrée pour voir les choses comme elles étaient: le désordre dans les idées et dans les cœurs, le choc des partis, le règne de la déclamation et de la médiocrité, l'appauvrissement général, la chasse aux emplois, enfin un simple déplacement d'influence et d'usurpation. Non, ce n'était pas là ma chaste et radieuse déesse, cette fée attendue dont la baguette devait guérir tous les maux. La mienne n'aurait eu ni la menace dans les yeux, ni l'exclusion sur les

lèvres. Elle eût mis dans ses attributs moins d'armes et plus d'épis; elle eût tout demandé à l'attrait, rien à la force. Cette pensée me tourmentait et je n'y échappais que par des illusions nouvelles :-Patience, me disais-je; tout ici-bas se fonde lentement. Le temps est l'étoffe des œuvres achevées; il n'en est aucune qui ne soit informe au début. L'enfant qui vient de naître est-il jamais beau?

Ce fut sous cette philosophique impression que je poursuivis mon voyage. Rien ne dispose à la méditation comme la vie des grands chemins. On dirait que la gêne et l'immobilité du corps laissent à l'esprit plus de liberté, plus d'activité. Au milieu de ces bruits confus d'essieux et de roues, le recueillement devient un charme et un besoin. L'émotion s'y mêle, le regret aussi l'âme est à la fois remplie et touchée. Je venais de quitter Malvina; c'està-dire de me résigner à un sacrifice réel. Mon attachement pour elle ne s'était point affaibli avec les années. Elle était, d'ailleurs, dans tout l'éclat de sa beauté à peine avait-elle dépassé la limite que les romanciers assignent à leurs héroïnes comme l'apogée de l'épanouissement. J'aimais ma femme; pourquoi ne l'avouerais-je pas? Aussi ne cessai-je d'y songer. Je la suivais par la pensée dans ses

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occupations de ménage, je la voyais essayant sur notre infortuné commissaire la puissance de son chapeau grenat. Je vivais près d'elle et avec elle, tandis que chaque tour de roue m'en éloignait.

Cette préoccupation fut assez vive pour me rendre longtemps étranger à ce qui se passait auprès de moi. Enfin je rappelai mes sens et jetai un coupd'œil sur mes compagnons de voyage. La voiture était au complet et le personnel assez mêlé. Un vieillard et sa femme occupaient avec moi les places du fond; sur le devant siégeaient trois hommes porteurs de barbes caractérisées. Une odeur de tabac poussée jusqu'à l'infection aurait trahi leurs habitudes, quand même ils n'eussent pas porté, en guise d'armes, leurs pipes en sautoir. Au demeurant, d'assez bons diables et moins noirs que leurs barbes. De son côté, le vieillard avait ces allures méthodiques où se reconnaît la vie des bureaux. Sa mise était simple et correcte, son ton poli et prévenant. Il avait le menton rasé de frais et une perruque rousse parfaitement ajustée sur les tempes. Je ne pouvais m'y tromper; j'avais pour compagnons un employé et trois héros de tabagie.

Une diligence est un confessionnal: tout secret y transpire. Il s'y forme, bon gré, mal gré, une in

timité courte, mais complète. Cette vie en commun prête au babil, et chacun se livre avec d'autant plus d'abandon que les relations seront plus fugitives. Il en fut ainsi autour de moi : des confidences s'échangèrent. Deux groupes s'étaient formés; les trois barbes devisaient entre elles; le vieillard ne causait que de loin en loin et avec sa femme exclusivement. Seul je n'avais pas d'interlocuteur et en étais réduit à écouter, faute de mieux. L'entretien le plus vif régnait parmi les places du devant.

C'est comme je te l'assure; le ministre ne peut pas me refuser, disait l'une des barbes d'un noir un peu grisonnant. J'ai là dans mon portefeuille des pièces qui sont décisives. Oh! je ne m'embarque pas sans biscuit, moi.

Bon, me dis-je, voilà un solliciteur.

- Des pièces, reprit la deuxième barbe avec un accent légèrement gascon, qui n'en a pas, sang-dieu? C'est une monnaie bannale. Mieux vaut des aboutissants. Pour réussir chez un ministre, il faut avoir un pied dans la maison. Moi, j'ai mon affaire. Ma cousine est dans l'intimité de l'une des dames du Gouvernement.

Allons, me dis-je, c'est encore un solliciteur.
Pour moi, ajouta la troisième barbe du noir

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