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nouveau, je me pris à douter que ce monde, avec ses imperfections et ses contrastes, remplit d'une manière satisfaisante le but de la divinité. A l'envisager sans prévention et avec une entière liberté d'esprit, on ne pouvait y voir autre chose qu'une ébauche informe, digne à peine de l'enfance de l'art. Il me semblait qu'à l'aide du moindre effort d'imagination, j'en arriverais à combiner quelque chose de moins incohérent et de plus harmonieux. Cette pensée m'exalta je compris l'orgueil de Prométhée et sa lutte contre le ciel. Que de gloire à ravir un rayon d'en haut et à inonder de clartés une civilisation ténébreuse! Aucun rôle n'était plus engageant, et, auprès de celle-là, quelle ambition n'eût paru petite!

J'ai raconté les ardeurs et les illusions dont ma jeunesse fut semée; l'âge mûr et la solitude me les rendirent. Seulement, je sus les contenir, les discipliner, les élever à la hauteur d'un système. Mon esprit s'y retrempa, s'y raffermit. A l'enthousiasme pétulant d'autrefois succéda un enthousiasme réfléchi jusqu'à l'obstination et résolu jusqu'à la témérité. Je regardai autour de moi en homme qui observe et se recueille. Triste dessein, douloureuse perspective! J'aurais voulu pouvoir éloigner de mes

lèvres ce calice plein de fiel. Ainsi envisagé, le monde ne m'apparut qu'à travers un crêpe funèbre: tout y était deuil et misère, mensonge et corruption. Partout le désordre, partout la lutte; dans les populations vouées à des dissentiments sans fin; dans les familles profanées par des hontes secrètes; dans les individus livrés sans défense au choc des passions et des intérêts. Quel spectacle pour un cœur bien situé! et comment y voir autre chose qu'un canevas grossier abandonné par le Créateur à la patience et à l'intelligence de l'homme?

Ce fut dès lors ma pensée et aussi mon but. A l'œuvre me dis-je; le souffle de Dieu est là. Il s'agit de soumettre le globe à un mécanisme savant où chaque membre de la famille humaine jouira d'un bien-être sans variations et d'une félicité sans limites. En apparence, voilà un dessein compliqué; au fond, rien de plus simple. Tout se résout dans une étude de l'être. On n'a jamais examiné l'être méthodiquement, scientifiquement. De là nos malheurs et nos misères. Mieux analysé, combien l'être eût été plus heureux! Il se compose, disent les penseurs, de limon et de pure essence. Fort bien; mais dans quelle proportion? Sur ce point, ténèbres et doute. C'est pourtant toute la question.

La loi d'amalgame une fois trouvée, le voile du temple se déchire et le sphinx livre son secret. Plus de tâtonnements; plus d'empirisme; qui connaît la substance, connaît le réactif. La formule de l'homme renferme nécessairement la formule de son bonheur. L'objet devient adéquat au sujet et le sujet à l'objet entre le désir et la satisfaction, l'équilibre renaît de lui-même.

J'avais trouvé mon point de départ; il devait forcément me conduire à un paradis terrestre de mon goût et de mon invention. Qui n'a pas le sien aujourd'hui? Qui n'a imaginé son petit Elysée? Il faudrait être bien abandonné du ciel pour n'avoir pas sous la main un monde mieux combiné que celui dans lequel nous avons la faiblesse de vivre, une société plus pure et des hommes moins incomplets. Mes conceptions là-dessus étaient du plus vaste caractère elles embrassaient un horizon infini. J'avais réussi, au moyen du plus simple effort, à faire de la terre un jardin, et de chaque mortel un échappé des chœurs célestes. Encore n'était-ce qu'un premier jet, susceptible de mille perfectionnements. Que de soins j'y mettais ! J'en faisais le souci et le rêve de mes loisirs, l'enfant de mes fantaisies. J'y songeais à toute heure ; j'y ajoutais chaque jour un

:

détail nouveau. J'avais devant les yeux, en guise d'exemple et d'aiguillon, les maîtres du genre, ceux qui refont l'univers en quinze volumes, et, avant que de m'offrir comme eux aux applaudissements de la foule, je ne voulais leur céder en rien, ni en étendue ni en profondeur.

Ce travail charma et peupla ma retraite. J'y puisais une haine plus profonde contre la politique du temps et un dédain plus caractérisé des petits moyens à l'usage des régimes éphémères. Je ne m'en cachais pas, d'ailleurs ; je jouais, comme on dit, cartes sur table. Notre préfet n'était, à mes yeux, qu'un séide de la dynastie ; je m'en prenais à tous les pouvoirs, responsables ou non. Dans mes heures d'exaltation, quand je venais d'ajouter un chapitre aux destinées du globe, je n'avais pas d'expressions assez véhémentes contre l'ordre social qui se plaçait entre l'avenir et moi. J'envoyais tout aux gémonies, civilisation et gouvernement, et cela en des termes tels, que Malvina ne pouvait se défendre d'un peu d'épouvante :

Mais qu'as-tu donc, malheureux? me disaitelle. Tu veux nous perdre.

-Vous sauver, répliquai-je, fort du sentiment de ma mission.

-Tu nous ôteras le pain de la bouche, Jérôme ; songes-y bien.

- Autant mourir de faim que de honte, Malvina. Et nos enfants, que deviendront-ils?

Des hommes, ajoutais-je avec un stoïcisme digne de l'antiquité.

Ces débats se renouvelèrent plusieurs fois, et mon enthousiasme dut transiger enfin avec cette prudence vulgaire. Des sacrifices que je fis à la paix de mon intérieur, aucun ne me coûta autant, et j'y échappais de loin en loin par des révoltes imprévues. Ma femme s'y perdait, elle avait cessé de me comprendre. D'où venaient ces accès d'indépendance, si brusques et si récents? A quoi attribuer cette infraction aux habitudes les plus enracinées ? Malvina se posait ce problème sans pouvoir le résoudre. Vainement essayait-elle de me pénétrer je demeurais mystérieux comme les granits de Thèbes. Elle avait beau me presser de questions, multiplier les hypothèses; rien ne m'ébranlait. Un jour pourtant, je fus vaincu; mon secret m'échappa. Ma femme venait de me retourner dans tous les sens, avec une patience et une adresse dignes d'un inquisiteur. Je résistais comme du métal, lorsqu'à bout de voie, elle eut recours à une interpellation terrible :

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