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Une justice à rendre à la révolution de Février, c'est qu'aucun des ministres qu'elle porta aux affaires ne pouvait avoir de préjugés d'état. Elle s'appliqua, on serait tenté de le croire, à les choisir en dehors des fonctions spéciales auxquelles ils étaient destinés. Ainsi elle enrichit les divers ministères de marchands retirés et de vétérinaires dignes de l'être. Les avantages de pareils choix se révèlent sur-le-champ. Le tort le plus commun des hommes d'état, celui qui perd les empires, c'est d'avoir, en toute chose, des opinions faites, et des plans arrêtés. Or ici, rien de

pareil à craindre. Point de ministre qui ne fût neuf dans son département, et qui ne s'offrît à l'état de cire molle, susceptible de recevoir toutes les empreintes.

Aux premiers jours de ces investitures, que de scènes d'intérieur durent égayer les sanctuaires ministériels! Quelle haute et charmante comédie! Hélas! personne ne l'exhumera. L'imagination seule en peut rétablir les traits principaux et en retracer l'esquisse. Nous voici, par exemple, dans le cabinet du citoyen ministre des affaires étrangères, marchand retiré. Son regard surpris se promène sur un bureau à cylindre garni de quelques dossiers. L'attitude générale exprime une anxiété évidente. On serait inquiet à moins. La politique de l'Europe repose dans ces dossiers, la paix du monde dans ces cartons. C'est une redoutable perspective, même pour un marchand retiré. Aussi le citoyen ministre éprouvet-il un peu d'hésitation; il avance et recule la main en homme qui craint d'engager sa responsabilité. Ce mouvement alternatif se prolonge jusqu'au moment où l'on frappe à la porte:

-Entrez, dit-il.

C'est un chef de division, chargé de dossiers. Un arriéré formidable pèse sur lui; il veut s'en exonérer

et le rejeter sur le ministre. A l'aspect de cet arsenal plein d'armes inconnues, celui-ci ne peut contenir un frémissement. Que ne demeurais-tu à l'état de marchand retiré? lui disent des voix intérieures. Il se remet néanmois, et indique un siége au chef de division. Un dialogue s'engage:

LE CHEF. Monsieur le ministre a-t-il décidé quelque chose au sujet de l'affaire de Téhéran? J'ai là une dépêche qui n'attend que la signature.

LE MINISTRE. Téhéran?

LE CHEF. Téhéran. Voici quatre mois que l'enquête est ouverte. Il y a eu deux commissions de nommées dont une mixte et trois rapports dont deux sont joints au dossier. Des intérêts majeurs sont engagés dans la question et je crois qu'il est temps de se décider pour ou contre.

Le ministre. Au sujet de Téhéran ?

LE CHEF. De Téhéran.

Dans l'échange de ces mots, le ministre a montré un aplomb digne d'une conscience plus tranquille. Devant un chef de division, il n'a point voulu paraître ignorer l'affaire de Téhéran, et il attend que le cours de l'entretien lui livre un fil conducteur. Un silence s'établit pendant quelques minutes; c'est le subordonné qui le rompt.

LE CHEF. Monsieur le ministre n'a rien à m'ordonner sur cette affaire?

LE MINISTRE. Celle de Téhéran?

LE CHEF. De Téhéran. A la rigueur, nous pourrions y joindre l'incident de Trébisonde. Il y a connexité.

LE MINISTRE. Entre Trébisonde et Téhéran ?

LE CHEF. Justement. L'incident est plus récent; il est à peine étudié. Cependant si monsieur le ministre l'exige, je puis n'en faire qu'un dossier, et nous prendrions alors une résolution commune. C'est à voir.

LE-MINISTRE. En effet, c'est à voir ! Vous dites que Téhéran peut se rattacher à Trébisonde.

LE CHEF. Pardon, monsieur le ministre, ne confondons Trébisonde à Téhéran; l'incident ne

peut point emporter le fond.

LE MINISTRE. Nous avez raison: Trébisonde

et Téhéran, voilà l'ordre.

LE CHEF. Mon Dieu, puisque nous cherchons des parties liées, j'aurai l'honneur d'en proposer une autre à monsieur le ministre. Il existe depuis longtemps à Tiflis une petite difficulté. C'est bien vieux, c'est presque oublié; mais à la rigueur nous pouvons encore l'englober dans cette solution d'en

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