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me eft douce. Ma fille, que voilà, n'est pas moins heureufe. Je lui ai donné un mari jeune, fage & homme de bien, qu'elle aime & dont elle eft aimée. Tout cela travaille à l'envi, & me fait de petits neveux, dans lefquels je me vois revivre. J'approche de ma tombe avec moins de regret, en fongeant qu'ils m'aimeront encore, & qu'ils me béniront quand je ne ferai plus. Ah mon ami, lui dit Bélifaire, que je vous porte envie! J'avois deux fils, ma plus belle efpérance; je les ai vu mourir à mes côtés. Dans ma vieilleffe il ne me refte qu'une fille, hélas, trop fenfible pour fon malheur & pour le mien. Mais le ciel foit loué mes deux enfans font morts en combattant pour la patrie. Ces dernieres paroles du Héros acheverent de déchirer l'ame du jeune homme qui l'écoutoit.

On fervit un repas champêtre : Bélifaire y répandit la joie, en faisant fentir à ces bonnes gens le prix de leur

obfcurité tranquille. C'eft, difoit-il, l'état le plus heureux, & pourtant le moins envié, tant les vrais biens font peu connus des hommes.

Pendant ce repas le fils de la maison, muet, rêveur, préoccupé, avoit les yeux fixés fur Bélifaire; & plus il l'obfervoit, plus fon air devenoit fombre, & fon regard farouche. Voilà mon fils, difoit le vieux bon homme, qui fe rappelle vos campagnes. Il vous regarde avec des yeux ardens. Il a de la peine, dit le Héà reconnoître fon Général. On a bien fait ce qu'on a pu, dit le jeune homme, pour le rendre méconnoiffable; mais fes Soldats l'ont trop préfent pour le méconnoître jamais.

ros,

Quand Bélifaire prit congé de fes hôtes, Mon Général, lui dit le même, permettez-moi de vous accompagner à quelques pas d'ici. Et dès qu'ils furent en chemin, Souffrez, lui dit-il, que votre guide nous devance: j'ai à vous. parler fans témoin. Je fuis indigné,

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mon Général du miférable état où l'on vous a réduit. C'eft un exemple effroyable d'ingratitude & de lâcheté. Il me fait prendre ma patrie en horreur; & autant j'étois fier, autant je fuis honteux d'avoir verfé mon fang pour elle. Je hais les lieux où je fuis né, & je regarde avec pitié les enfans que j'ai mis au monde. Hé, mon ami, lui dit le Héros dans quel pays ne voit-on jamais les gens de bien victimes des méchans? Non, dit le Villageois, ceci n'a point d'exemple. Il y a dans votre malheur quelque chofe d'inconcevable. Ditesmoi quel en eft l'auteur. J'ai une femme & des enfans; mais je les recommande à Dieu & à mon pere ; & je vais arracher le cœur au traître qui.... Ah! mon enfant, s'écria Bélifaire, en le ferrant dans fes bras, la pitié t'aveugle & t'égare. Moi, je ferois d'un brave homme un perfide! d'un bon Soldat un affaffin! d'un pere, d'un époux, d'un fils vertueux & fenfible un fcélérat, un forcené!

C'eft alors que je ferois digne de tous les maux que l'on m'a faits. Pour foulager ton pere & nourrir tes enfans, tu as abandonné la défenfe de ta patrie; & pour un vieillard expirant, à qui ton zéle eft inutile, tu veux abandonner ton pere & tes enfans! Dis-mois, crois-tu qu'en me baignant dans le fang de mest ennemis, cela me rendît la jeuneffe & la vue? En ferois-je moins malheureux quand tu ferois criminel? Non ; mais du moins, dit le jeune homme, la mort terrible d'un méchant effraiera ceux qui lui reffemblent; car je le prendrai, s'il le faut, au pied du trône ou des autels, &, en lui enfonçant le poignard dans le fein, je crierai : c'eft Bélifaire que je venge. Et de quel droit me vengerois-tu, dit le vieillard d'un ton plus impofant? Estce moi qui te l'ai donné, ce droit que je n'ai pas moi-même ? Veux-tu l'ufurper fur les loix? Qu'elles l'exercent le jeune homme; on s'en repofera fur elles. Mais puifqu'elles abandonnent

dit

l'homme innocent & vertueux, qu'elles ménagent le coupable, & laiffent le crime impuni, il faut les abjurer, il faut rompre avec elles & rentrer dans nos premiers droits. Mon ami, reprit Bélifaire, voilà l'excufe des brigands. Un homme jufte, un honnête homme gémit de voir les loix fléchir; mais il gémiroit encore plus de les voir violer avec pleine licence. Leur foibleffe eft un mal mais un mal paffager; & leur deftruction feroit une calamité durable. Tu veux effrayer les méchans; & tu vas leur donner l'exemple! Ah! bon jeune homme, veux-tu rendre odieux le noble fentiment que j'ai pu t'infpirer? Feras-tu détefter cette pitié fi tendre? Au nom de la vertu, que tu chéris, je te conjure de ne pas la déshonorer. Qu'il ne foit pas dit que fon zéle ait armé & conduit la main d'un furieux.

Si c'étoit moi, dit le Soldat, qu'on eût traité fi cruellement, je me fentirois peut-être le courage de le fouffrir; mais

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