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Étude sur la légende de la venue et du séjour

de saint Clément à Gorze.

Par E. Paulus, curé de Puzieux.

Les recherches que nous poursuivons, depuis un certain nombre d'années, sur les origines de notre Eglise messine, nous ont forcément amené à nous occuper d'une façon spéciale de la légende de saint Clément, notre premier évêque. Cette légende, souvent remaniée dans le cours du moyen âge, renferme presque tout ce que l'antiquité nous a transmis sur la question si profondément obscure de nos origines religieuses. Il importait done de l'étudier une bonne fois d'une manière définitive, d'en fixer les éléments primitifs et traditionnels, de préciser aussi l'origine des développements successifs que dans la suite des temps la pieuse crédulité de nos pères a cru devoir y admettre. Cette étude nous l'avons entreprise.

Le but du présent travail n'est pas toutefois de présenter dès aujourd'hui les conclusions définitives de nos recherches sur l'ensemble de cette question. Ce serait prématuré. Notre but actuel est bien plus modeste; il ne porte que sur un seul des développements de la légende; sur la venue et le séjour de saint Clément à Gorze. Ce fait, dont la réalité historique vient d'être affirmée sans l'ombre d'une hésitation, dans un livre récemment publié sur l'abbaye de Gorze, nous paraît si peu fondé, si susceptible d'une toute autre solution; les conclusions auxquelles s'arrête l'auteur diffèrent tellement de celles auxquelles nous avons nous-mêmes abouti, que nous nous sommes cru permis d'exposer à notre tour sur ce point de détail et nos idées et le résultat de nos recherches. Notre opinion (et nous la croyons sérieuse et fondée) s'est formée lentement, sans aucun parti pris, par l'étude attentive et consciencieuse des documents qu'il nous a été possible de réunir. Ces documents assez nombreux, les uns connus déjà, les autres édités depuis peu ou inédits encore, nous nous proposons de les faire connaître, de les étudier successivement, d'en discuter la valeur, afin que le lecteur, ainsi éclairé, soit à même de se faire une idée exacte de la discussion et de se prononcer dans le débat.

Discussion et débat, ni l'une ni l'autre ne sont nouveaux.

Ce

sont les partisans de deux écoles en présence. Leur but est le même, tous ils cherchent la vérité; tous ils sont de bonne foi. Seule, leur méthode diffère et leurs conclusions aussi.

Dans son livre cité plus haut, M. l'abbé Chaussier a pris position dans la question. C'était son droit; et il s'est prononcé d'une façon assez catégorique 1): « Ce séjour de saint Clément à Gorze n'est pas seulement affirmé, comme on l'a cru quelquefois, par deux ou trois documents d'une autorité douteuse. Il est constaté par plusieurs «Vies » anciennes du saint évêque, par le culte spécial que Gorze se faisait gloire de lui rendre dès le XIe siècle et par deux monuments qui s'offrent à nous comme les derniers anneaux d'une tradition immémoriale. Et plus loin) il conclut : Ce n'est plus la légende, mais l'histoire qui nous dit: saint Clément a préparé aux sources de Gorze son apostolat messin..

Ainsi donc, à moins d'erreur de notre part, M. l'abbé Chaussier admet comme une réalité historique la venue et le séjour de saint Clément à Gorze. Des documents sérieux; des monuments, derniers témoins d'une tradition immémoriale; la constatation d'un culte spécial rendu depuis le XIe siècle, tels sont les garants et les preuves de son opinion.

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Ces preuves, nous allons les étudier bientôt et en discuter la valeur réelle. Mais avant, jetons, pour éclairer l'ensemble de la question, un rapide coup d'œil sur l'historique de ce point de la légende. — L'opinion reprise et soutenue par l'auteur de L'Abbaye de Gorze n'est pas nouvelle; c'est même la plus ancienne. Dès le commencement du XIIIe siècle, elle avait à Gorze et ailleurs de chauds partisans; des traditions écrites de cette abbaye et les «Vies de saint Clément que l'on a citées nous le révèlent en effet. On la trouve ensuite dans les chroniques postérieures et dans quelques pièces liturgiques. Meurisse, l'historien de nos évêques, si souvent malmené par la critique pour son excès de crédulité, l'admet sans conteste. On la rencontre enfin dans plusieurs auteurs étrangers et indigènes, qui l'empruntent de bonne foi à leurs devanciers, sans grand esprit de critique ni de contrôle.

Mais, dès le commencement du XVIIIe siècle, sous l'impulsion donnée aux études historiques, l'opinion contraire avait semblé prévaloir. Un siècle après elle se recommandait des noms les plus autorisés dans les sciences historiques. Les auteurs qui la présentaient habi

1) Préface, page VIII. L'abbaye de Gorze. Metz 1894 in-8°.
2) Ibidem, page X.

taient le pays, ils en connaissaient et les traditions et les documents; ces traditions, ces documents, ils les avaient compulsés, étudiés, et leur jugement s'était porté en pleine connaissance de cause. Ils s'étaient prononcés en historiens véritables et non en simples compilateurs.

Aussi leur témoignage si compétent fut-il reçu avec un respect marqué et adopté presque sans réserves par tous ceux qui, à notre époque, de près ou de loin, se sont occupés de cette question selon les procédés critiques de la science historique.

A Benoît Picart 1), à Dom Calmet 2), aux Bénédictins auteurs de l'histoire de Metz 3) se sont joints de nos jours: Clouet), Rettberg 5), Prost), Kraus 7), Lager 8), Ferdinand des Roberts 9), Holder-Egger 1o), les Bollandistes) et récemment encore notre confrère et ami M. l'abbé Dorvaux 12), professeur d'histoire ecclésiastique au Grand-Séminaire de Metz. Tous sont unanimes à reconnaître dans la venue et le séjour de saint Clément à Gorze un de ces développements légendaires dont les écrivains du moyen âge nous ont laissé tant d'exemples; tous sont d'accord pour ne voir dans les documents que l'on présente comme preuves, que des pièces apocryphes ou incertaines, maladroitement. fabriquées ou empruntées d'ailleurs, en un mot des documents sans valeur réelle ou des traditions populaires par trop récentes.

Ces quelques lignes suffiront, c'est notre espoir, pour nous laver du reproche de vouloir présenter des opinions nouvelles et téméraires peu respectueuses pour les traditions de notre Eglise messine. On le voit, nous ne sommes pas en trop mauvaise compagnie au point de vue de l'orthodoxie historique.

Pour être plus récente, l'opinion que nous avons cru devoir adopter n'en est pas moins bien appuyée. Et si en bonne critique la preuve d'autorité était suffisante pour établir seule la vérité d'un fait, la question serait dès maintenant tranchée. Mais il n'en est pas ainsi. 1) Histoire de Metz, Mss. de la Bibliothèque de Metz, no 126, chap. I.

2) Histoire de Lorraine, 2e édition. II. Preuves, col. XCVII-C.

3) Histoire de Metz, t. I, p. 206.

Histoire de la province ecclésiastique de Trèves, t. II, p. 310.

5) Kirchengeschichte Deutschlands, t. I, p. 512.

6) Études sur l'histoire de Metz. Les légendes.

Metz 1865, p. 234.

7) Kunst und Altertum in Elsass-Lothringen, article Gorze, p. 164.

*) Die Abtei Gorze. - Brünn 1887, p. 4, 8, 10.

*) Deux codex, manuscrits de l'abbaye de Gorze.
10) Monumenta Germaniæ, SS., t. XV, 2o partie, p. 972.
1) Analecta Bollandiana, t. VII, 1888, p. 487.

Nancy 1884, p. 47.

12) Revue ecclésiastique de Metz, juin 1894, et polémique de la même époque

dans le journal « Le Lorrain ».

L'appui prêté par l'autorité de certains noms à une théorie où à une doctrine est sans doute en histoire comme ailleurs un symptôme favorable pour elle; mais la certitude que réclament les procédés de la critique ne peut être fournie que par les documents eux-mêmes. done indispensable d'en entreprendre l'étude détaillée.

La prétendue tradition de Gorze, nous l'avons affirmé plus haut, n'est qu'un développement assez récent de la légende de saint Clément. Cette légende, comme tous les documents de ce genre, a subi en effet dans le cours des siècles de nombreux remaniements. L'imagination des écrivains successifs qui y ont travaillé a laissé des traces assez remarquables, et le récit primitif s'est transformé peu à peu et souvent d'une façon assez étrange. C'est donc, à notre avis, commettre une confusion déplorable que de vouloir, dans le cours d'une discussion, citer en bloc soit la légende, soit la Vie de saint Clément, sans indiquer d'une manière plus précise la version sur laquelle on s'appuie. Car ces versions se suivent fort nombreuses et s'échelonnent du VIIIe siècle à nos jours. Sans doute il nous faut regretter la perte de certains de ces documents, mais le nombre de ceux qui nous sont parvenus est encore assez grand pour que l'on puisse en suivre le développement progressif. Dans son livre que nous avons cité plus haut, M. Prost pouvait déjà en présenter cinq versions différentes, divisées en deux groupes, les deux premières et les trois dernières de celles que nous rapportons plus loin. Nos recherches nous permettent déjà d'en ajouter quatre nouvelles; elles comblent la lacune qui existait entre les deux groupes connus par M. Prost et rétablissent ainsi d'une manière presque continue la chaîne des témoignages.

Il importe donc d'en passer une revue rapide et de noter exactement les données qu'ils fournissent à l'étude de la question.

I. Le plus ancien de ces documents est l'œuvre si connue de Paul Diacre'), dans son texte authentique; il représente la tradition messine telle qu elle existait à la fin du VIIIe siècle. Cette version qui se distingue par sa brièveté, est sobre de détails. Elle est muette sur la venue et le séjour de saint Clément à Gorze.

II. Mais les écrivains qui vinrent après lui n'imitèrent pas son louable exemple, comme le font judicieusement remarquer les auteurs

1) Liber de episcopis Mettensibus, imprimé dans le recueil de Marquard Freher (Corpus historia veteris et sincera, 1613), ensuite dans la collection (Bibliotheca Maxima Patrum, t. XIII, 1677). Dans la grande publication des Monumenta Germaniæ, SS. t. II, 1829, enfin d'après cette dernière dans la Patrologie latine de Migne, t. XCV.

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de l'Histoire de Metz1), ils n'ont fait qu'embellir et charger l'ancien récit de nouveaux faits, de nouveaux miracles ou de nouvelles circonstances absolument insoutenables». La première interpolation de ce genre constitue la seconde version de notre légende. M. Prost croit devoir en placer la composition à la fin du XIe siècle). Nous la croyons antérieure. Car la translation du corps de saint Clément, indiquée dans cet écrit, n'est pas, comme l'a cru le docte écrivain, celle effectuée par l'évêque Herimann en 1090, mais une translation précédente, qui nous est déjà signalée par un martyrologe messin du IXe siècle 3). La bibliothèque de Metz conserve d'ailleurs un codex manuscrit qui la contient déjà et qui est du commencement du XIe siècle1). Cette version déjà publiée par du Bosquet), puis par Calmet 6) a été considérée à tort par ces deux auteurs et par d'autres après eux, comme l'ouvrage même de Paul Diacre. Elle aussi garde le silence le plus complet sur la prétendue tradition de Gorze.

III. Dans les premières années du XIe siècle (1002-1005), la légende se présente sous une forme nouvelle. Un moine de St-Clément, abbaye rétablie depuis peu par les soins d'Adalbéron Ier, rappelle, dans un poème de plus de 1000 vers, la mission, les vertus et un long échantillon de l'éloquence du protecteur de son abbaye. Cette version nous est parvenue dans un manuscrit encore inédit de la Bibliothèque royale de Bruxelles 7), dont nos archives départementales possèdent une copie photographique. Rien encore dans cet écrit de la légende de Gorze.

IV. La translation des reliques du premier évêque de Metz, opérée en 1090 par l'évêque Herimann, devait donner au culte du bienheureux un nouvel essor et fournir aussi aux légendaires de l'époque une précieuse occasion d'exercer leur talent. Ils n'y manquèrent pas. C'est

1) T. I, p. 206.

2) Opere citato, p. 80.

3) Codex. Mss. de la Bibliothèque de Berne no 289, publié par les Bollandistes, A. SS. Oct. XIII « XIII kal. Aprilis Mettis translatio corporis st. Clementis. » Cfr. aussi Chronique de saint Clément, M. G. SS. XXIV, p. 492.

4) Mss. Bibliothèque de Metz no 494.

5) Ecclesiæ Gallican Historiæ, t. I, pars. II, pages 17-23. (1633.) Les auteurs de l'histoire littéraire de la France en ont parlé d'une manière très désavantageuse: « C'est un tissu de fables absurdes, imaginées par un écrivain du XIIe siècle au plus tard. » «Une légende aussi misérable. »

6) Histoire de Lorraine, 1re édit., I col. 51-54,

7) Manuscrit no 10,710, fol. 175.

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2e édit., I col. 15 et 72. Nous espérons le publier prochainement;

il a été déjà décrit dans le N. Archiv. der Gesellsch. für ältere deutsche Geschichte, V, p. 433, par Dümmler.

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