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bien qu'autant que notre ame fait ufage de fes, Décies, fe jettèrent à corps perdu dans l'armée forces: fans quoi nul devoir ne fera rempli.

ennemie, ils voyoient luire des épées prêtes à les percer: mais l'idée d'une noble, d'une glorieufe mort leur faifoit méprifer les coups. l'enfez-vous qu'Epaminondas, au moment qu'il vit fa vie s'écouler avec fon fang, ait géini? Il avoit trouvé fa patrie accablée fous le joug des Lacédémoniens en mourant il la laiffoit leur maîtreffe, & c'étoit fon ouvrage. Point de fouffrance qui ne foit adoucie par de tels lénitifs.

tion?

Un homme qui fouffre doit ne point marquer de peur, & ne rien faire qui fente la baffeffe d'un efclave, ou la délicateffe d'une femme. Qu'il prenne garde fur-tout à ne point imiter les doléances de Philoctète. Quelquefois, mais rarement, il fera permis à un homme de gémir. Pas même à une femme de hurier: efpèce de lamentation dont les douze tables ont défendu l'ufage dans les funérailles. Que fi l'on permet Mais hors de batailles, me direz-vous, & quelquefois à un homme courageux de gémir, chez foi dans un lit, quels motifs de confolac'est dans le cas feulement où ce lui feroit un moyen d'acquérir de nouvelles forces à l'exemple des athlètes, qui pouffent de grands cris en fe battant à coups de ceftes, non que la douleur ou la crainte leur arrachent ces fortes de gé miffemens; mais c'eft qu'en pouffant un cri, tous les neris fe tendent, & le coup eft porté & le coup eft porté avec plus de vigueur. Pour crier, on ne fe contente pas de faire jouer les organes deftinés à la parole, tels que les côtés, le gofier,la langue: mais tout le corps agit. J'ai vu Antoine frapper la terre de fon genou, par la véhémence avec laquelle il plaidoit dans une certaine occafion. Plus l'arc eft bandé, plus la flèche eft impétueufement dardée. Ainfi, lorfqu'un cri peut fervir à réveiller, à redoubler les forces de l'ame, on ne le défend pas à un malade. Mais pouffer des cris accompagnés de pleurs, c'eft ne pas mériter le nom d'homme. Quand il nous en reviendroit quelque foulagement, encore faudroit-il voir fi l'honneur ne s'y oppoferoit pas. Mais pourquoi nous avilir en pure perte? Qu'y a-t-il en effet, de plus honteux pour un homme, que de pleurer comme une femme ?

Je viens de vous donner, touchant la douleur, une leçon importante, qui eft d'appeller les forces de l'ame au fecours. On en a befoin dans toute forte d'occafions. Que la colère s'allume en nous, que la volupté nous attaque, il faut recourir aux mêmes armes, fe refugier dans le même fort. Mais pour ne point nous écarter ne parlons que de la douleur.

Pour fouffrir donc paifiblement, il eft bon d'avoir toujours ce principe devant les yeux que c'est là ce que l'honneur exige de nous. J'ai déjà dit, mais on ne peut trop le répéter, que l'honneur a naturellement pour nous de puiffans attraits: & fi puiffans, qu'à la première lueur, au travers de laquelle il fe fera entrevoir, on trouve doux & léger tout ce qui peut y conduire. Pouffez, entraînez par ces defirs violens, dont la gloire embrâfe nos coeurs, nous allons la chercher dans les combats. Un homme courageux, lorfqu'il eft bleffé dans la mêlée, ne le fent point ou s'il le fent, plutôt mourir que de faire une brêche à fon honneur. Quand les

Vous me ramenez aux Philofophes, gens qui ne vont guère aux coups. Un d'eux, homme frivole, qui avoit appris la conftance fous Zénon, fut endoćtriné tout autrement par la douleur. Je parle de Denys d'Héraclée. Tourmenté d'un mal de reins, il hurloit, & il crioit de toutes les forces que ce qu'il avoit cru de la douleur étoit bien faux. Arriva Cléanthe, fon condifciple, qui lui demanda par quelle raifon il changeoit de fentiment. « Parce, dit-il, qu'un mal, c'eft de ne pouvoir la fupporter, après bon argument pour prouver que la douleur est un qu'on a fi long-tems étudié la Philofophie. Je l'ai étudiée plufieurs années, & je ne puis fupporter la douleur, c'est donc un mal. » A ces mots Cléanthe frappa du pied contre terre, & cita dit-on, cet endroit des Epigones:

Quoi, d'Amphiraüis aux enfers defcendu,
Cet infolent propos fera-t-il entendu ?

Par là Cléanthe défignoit Zénon, dont il étoit fâché de voir le difciple dégénérer.

On n'en dira pas autant de Pofidonius. Je l'ai fort connu, & voici ce que Pompée nous en a fouvent raconté. Qu'à fon retour de Syrie, passant par Rhodes, il eut deffein d'aller entendre un philofophe de cette réputation que comme il apprit que la goutte le retenoit chez lui, il voulut au moins lui rendre vifite: & qu'après lui avoir fait toute forte de civilités, il lui témoigna quelle peine il reffentoit de ne pouvoir l'entendre. Vous le pouvez, reprit Pofidonius, & il ne fera pas dit qu'une douleur corporelle foit caufe qu'un fi grand homme ait inutilement pris la peine de fe rendre chez moi, Pompée nous difoit qu'enfuite ce philofophe, difcourut grave. ment, éloquemment fur ce principe même, qu'il n'y a de bon que ce qui eft honnête : & qu'à diverfes reprises, dans les momens ou la douleur s'élançoit avec plus de force: «< douleur, s'écrioit-il, tu as beau faire ; quelqu'importune que tu fois, jamais je n'avouerai que tu fois un mal.

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On supporte aifément tous les travaux qui font honneur. Voit - on que la douleur effraie les athlètes, dans les pays ou les jeux gymniques font eftimés? Ailleurs, où c'eft un mérite de chaffer, & de monter à cheval, fait-elle peur à ceux qui veulent fe diftinguer par-là ? Que dirai-je de nos brigues? A quoi nos ambitieux ne s'expofent-ils point? Par quels brâfiers ne traverfoient-ils pas autrefois, pour chercher à s'affurer tous les fuf. frages?

Auffi Xénophon, difciple de Socrate, dit-il très-bien que les mêmes travaux ne font pas également pénibles pour le capitaine & pour le foldat, parce qu'à l'égard du capitaine, la peine eit adoucie par la gloire: » & cette maxime étoit plus fouvent citée que toute autre, par Scipion l'africain, qui avoit toujours Xénophon entre les mains.

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Tout incapable qu'eft le vulgaire, de voir en quoi confifte l'honnête, il ne laiffe pas d'y être fenfible; & comme il règle fes idées fur ce qu'il entend dir le plus communément, il croit que l'honnête eft ce qui eft loué par le plus grand nombre. Pour vous, quand même vous feriez expofé à la vue du public, je ne voudrois pas que fa manière de penfer vous fit la loi. Tenez-vous en à vos lumières. Quand elles feront justes, & que vous chercherez à vous plaire, non-feulement vous ferez victorieux de vousmême, comme je vous l'ordonnois tout à l'heure; mais il n'y aura ni homme, ni quoi que ce puiffe être dans le monde qui vous maîtrife.

Regardez donc une ame qui s'eft agrandie, qui s'eft élevée jufqu'au plus haut point, & dont la fupériorité brille fur-tout dans le mépris de la douleur, regardez-la comme l'objet le plus digne d'admiration. Je l'en croirai bien plus digne encore, fi, loin des fpectateurs, & ne mandiant point d'applaudiffemens, elle ne veut que fe plaire à elle-même. Rien de fi louable que ce qui fe fait fans oftentation & fans témoins: non que les yeux du Public foient à éviter; car les belles actions demandent à être connues; mais enfin, le plus grand théatre qu'il y ait pour la vertu, c'eft la confcience.

Reffouvenons-nous fur-tout , que notre patience, foutenue, comme je l'ai dit tant de fois, par de continuels efforts de l'ame, doit être la même dans toutes les occafions qu'elle peut avoir de s'exercer. Car fouvent il arrive qu'on a montré de la fermeté : ou en attaquant l'ennemi, ou pour fe faire un nom, ou fimplement pour fe défendre mais que dans une maladie ces genslà fuccombent. Ils avoient dû leur fermeté non à la raif n & à la fageffe, mais à l'ardeur & à la gloire qui les guidoient. Ainfi les barbares fa

vent, le fer à la main, fe battre à outrances : & malades, ils ne favent pas être hommes. Au contraire les Grecs, nation peu brave, mais auffi fenfée qu'il y en ait, n'ofent regarder l'ennemi en face & malades, ils ont de la patience & du courage. Une bataille transporte de joie les Cimbres, & les Celtibériens: une maladie les confterne. Pour avoir ure conduite uniforme, il faudroit partir d'un principe. Mais du moins, puifqu'on voit des hommes à qui la paffion ou le jugé font braver la douleur; concluez de là qu'elle n'eft pas un mal, ou que fi l'on veut l'appeller un mal, parce qu'elle n'accommode pas la nature, c'eft un mal fi petit, qu'il difparoît à l'afpect de la vertu.

y

pré

ου

Jour & nuit, je vous en prie, occupez-vous de ces réflexions. Il a bien d'autres conféquences à en tirer. Car, fi nous faifons de l'honneur notre unique loi, dès-lors nous mépriferons, non feulement les traits de la douleur, mais les foudres même de la fortune: fur-tout puifque notre conduite d'hier nous montre un refuge, qui ne peut nous manquer. Un paffager, pourfuivi par des pirates, feroit bientôt raffuré, fi un Dieu lui difoit: jettetoi dans la mer; un dauphin, comme celui d'Arion, eft prêt à te recevoir; ou les chevaux de Neptune, qui firent, dit on, rouler fur l'onde le char de Pélops, accourront pour te porter où tu voudras. Vous avez une reffource non moins certaine fi vos douleurs en viennent à un tel excès que vous ne puiffiez les fupporter.

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Voilà, à peu près, ce que j'ai cru devoir vous dire, quant à préfent. Mais peut-être perfiftez-vous dans votre opinion?

L'AUDITEUR.

Point du tout me voilà en deux jours délivré, ou du moins je m'en flatte, de mes deux plus grandes frayeurs.

CICERON.

A demain donc. Rhétorique d'abord, puifque nous en fommes convenus; & Philofophie ent fuite, car vous ne m'en quittez pas.

L'AUDITEUR.

Je vous demande l'un, avant midi; & l'autre, à cette même heure.

CICERON.

Volontiers. Je me prêterai à de fi louable defirs. (Tufculanes de Cicéron, trrduites par MM, Bouhier & d'Olivet. )

Forces de l'ame contre la douleur.

I.

V I.

Les chofes ne touchent point du tout ellesmêmes notre esprit. Il n'y a nul accès pour elles Ce qui n'empire pas l'effence de l'homme en jufqu'à lui. Elles ne peuvent pas le faire chanelle même, ne fauroit empirer la condition de fager ni le mouvoir. Lui feul fe change & fe meut vie, ni blesser véritablement l'homme, foit au dehors, foit au dedans. C'est pour un bien que la nature eft obligée de faire ce qu'elle fait.

I I.

Pour tous les cas de douleur, tiens prête cette réflexion, que la douleur n'eft rien qui puiffe te faire rougir, qu'elle ne dégrade pas l'intelligence qui te gouverne, & qu'elle ne l'altère ni dans fa fubftance ni dans fes qualités fociales.

Appelle auffi à ton fecours, en bien des cas de douleur, ce mot d'Epicure, qu'il n'y a rien là d'impoffible à fupporter, ni que tu puiffes regarder comme éternel, fi tu te fouviens que tout a des bornes, & fi tu n'y ajoutes pas tes imaginations.

Souviens-toi encore de ceci : il y a plufieurs chofes approchantes de la douleur, qui te fâchent intérieurement, comme l'envie de dormir, le grand chaud, le dégoût. Lorfqu'il te fâche d'être dans une de ces fituations, dis-toi à toi-même que tu fuccombes à la douleur.

I I I.

La nature n'a pas fi intimement uni l'efprit de l'homme à une machine qu'il ne puiffe toujours fe renfermer dans lui-même, & s'occuper des fonctions qui lui font propres.

I V.

Arrive tout ce qui voudra au dehors à ces membres qui peuvent être altérés par un accident. Que ce qui fouffre fe plaigne s'il veut. Pour moi, fi je ne pense pas que cet accident eft un vrai mal, je ne fuis pas encore bleffé. Or, je fuis le maître de ne pas le penfer.!

y.

Je fuis compofé d'un corps & d'un ame. Tout eft indifférent au corps, puifqu'il ne peut rien difcerner. Quant à mon entendement, tout ce qui n'eft pas les propres opérations lui eft indifférent, & tout ce qui eft fes propres opérations dépend de lui; ce qui doit s'entendre uniquement de fes opérations préfentes, car pour ce qui eft de fes opérations à venir ou paffées, elles lui font indifférentes actuellement,

foi-même; & tels que font les jugemens qu'il fe croit digne d'en porter, tels deviennent à fon égard les objets qui fe préfentent.

VII.

Ton mal n'eft pas dans l'efprit d'un autre, ni dans le changement & l'altération de ce qui enveloppe le tien. Où eft-il donc? Il eft dans la partie de toi-même qui a jugé des maux. Qu'elle ne juge donc plus, & tout ira bien. Quoique le corps, fi voifin de cette partie, foit coupé brûlé, ulcéré, en pourriture, qu'elle refte tranquille; ou plutôt qu'elle juge que ce qui arrive également à un homme vertueux & à un méchant, n'eft ni bon ni mauvais pour elle. Car enfin ce qui arrive également à celui-là même qui vit felon la nature, n'a aucun rapport avec elle, ni conformité, ni oppofition.

VIII.

Le mal d'une nature animale eft de ne pouvoir faire ufage de tous fes fens, ou de fes appétits naturels. Le mal des plantes eft de ne pouvoir végéter. De même donc le mal d'une nature intelligente eft que l'efprit ne puiffe pas faire fes fonctions. Applique-toi maintenant ces définitions du mal. Reffens-tu quelqu'atteinte de douleur ou de volupté? c'eft l'affaire de l'ame fenfitive. Se trouve-t-il un obftacle à l'accompliffement de ton defir? tu l'as formé fans condition ni exception, alors cette faute eft un mal pour ta partie raifonnable. Mais fi tu regardes l'obstacle comme un événement commun & ordinaire, tu n'en auras pas été bleffé, & l'obftacle n'en aura pas été un pour toi. Il eft certain que nul autre que toi n'a jamais empêché ton efprit de faire les fonctions qui lui font propres. En effet, ni le fer, ni le feu, ni un tyran, ni la calomnie, rien en un mot ne peut en approcher. Lorfqu'il s'eft ramaffé dans lui-même comme en forme de balon, fa rondeur eft inaltérable.

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prit, à caufe de fon union avec le corps, il ne faut pas s'efforcer alors de repouffer un fentiment qui eft dans l'ordre naturel, mais il faut que mon guide fe garde bien d'y ajouter l'opinion, que ce foit pour lui un bien ou un mal.

X.

Ce qui eft infupportable tue. Ce qui dure eft fupportable. Cependant mon efprit fe renfermant chez lui conferve la tranquillité qui lui eft propre. En effet, mon guide n'en eft pas dégradé. Quant à ces organes empirés par la douleur, qu'ils s'en plaignent tant qu'ils pourront.

X I.

Ou la douleur eft un mal pour le corps (qu'il s'en plaigne donc), ou elle en eft un pour l'ame. Mais il ne tient qu'à celle-ci de conferver la férénité, la paix qui lui eft propre, & de ne pas eroire que ce foit un mal pour elle. En effet, ce qui difcerne, ce qui defire & ce qui craint, réfide tout entier au-dedans de nous; aucun mal ne peut monter jufques-là.

XII.

Souviens-toi que l'efprit qui te guide fe rend invincible lorfque, recueilli au-dedans de foi, il veut fe fuffire à lui-même & ne faire que fa volonté, fans avoir d'autre raifon de fa réfiítance. Que fera ce donc lorfqu'à l'aide de la raifon il aura jugé de quelque chofe après en avoir examiné les circonstances?

C'est ainsi qu'une intelligence libre de paffions

eft une forte citadelle. L'homme ne fauroit trouver de plus für afyle pour n'être jamais affervi. Celui qui ne le connoit pas a été mal inftruit, & celui qui le connoiffant ne s'y retire pas eft miférable.

XIII.

Je peux affranchir ma vie de toute fouffrance, & la paffer dans la plus grande fatisfaction de cœur, quand les hommes viendroient, à grands cris, me charger de tous les outrages dont ils pourroient s'avifer, quand même les bêtes féroces viendroient mettre en pièces les membres de cette maffe de boue qui m'enveloppe. Car dans tous ces cas, qu'est-ce qui empêche mon entendement de fe maintenir dans un état paifible, de juger au vrai de ce qui fe paffe autour de lui, & de tourner promptement à fon ufage ce qui fe préfente? Mon jugement ne peut-il pas dire à l'accident: tu n'es au fond que cela, quoique l'opinion te faffe paroître autre chofe. Mon ame exercée ne peut-elle pas dire à l'accident : « je te

Encyclopédie. Logique, Métaphyfique & Morale.

cherchois. Car ce qui fe paffe eft toujours pour moi une matière à vertu, en qualité d'être raifonnable & fociable, & en général une matière à pratiquer cet art qui eft fait pour l'homme ou pour Dieu. En effet, tout ce qui arrive eft propre à me rapprocher ou de Dieu ou de l'homme. Il n'y a rien de nouveau ni de difficile à manier. Au contraire, tout eft connu & fait pour la main.

XIV.

intelligente, comme dans un feul corps, & il Ou tout ce qui arrive coule d'une feule fource ne convient pas qu'une partie fe plaigne de ce qui fe fait pour le grand tout. Ou bien il y a des atomes qui fe mêlent & fe difperfent, & rien l'efprit qui te guide: tu es un corps privé de vie; de plus. Pourquoi te troubler? Peux-tu dire de tu n'es que corruption; tu n'as qu'une belle apparence; tu n'es bon qu'à me faire vivre en troupe & repaître.

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Ce qu'on dit communément qu'un médecin a or. donné à un malade de monter à cheval, ou de fe baigner à l'eau froide, ou de marcher pieds nuds, on peut le dire de la nature de l'univers, qu'elle a ordonné à un tel homme d'avoir une maladie, ou d'être eftropié, ou de faire telle perte, ou autres chofes femblables. Car, comme ce mot ordonné fignifie, pour le médecin, qu'il a mis en ordre les moyens propres à rétablir la fanté, il fignifie de même, à l'égard de la nature, qu'elle a mis ce qui arrive à chacun dans l'ordre qui convenoit à la deftinée générale; & nous difons convenoit dans le même fens qu'un architecte dit que des pierres quarrées conviennent à un mur où à une pyramide, parce qu'elles s'y arrangent les unes avec les autres, pour faire un certain tout.

En général il n'y a qu'une feule harmonie ; & comme l'enfemble de tous les corps fait le monde entier tel qu'il eft, ainfi le jeu de toutes les caufes produit une condition particulière qu'on nomme deftinée. Ce que je dis eft connu des plus ignorans; car ils difent : « fon deftin le portoit ainfi ». C'eft-à-dire, le portoit par une certaine difpofition des chofes.

Recevons donc ce qui arrive comme nous recevons les ordonnances des médecins. Il y a dans ce qu'ils ordonnent bien des chofes défagréables, auxquelles pourtant nous nous foumettons de bon par l'efpérance de guerir. Regarde l'exécuTome III.

D

tion & l'accompliffemens de ce que la commune nature a jugé à propos d'ordonner du même œil que ta fanté. Soumets-toi de bon gré à tout ce qui arrive, quelque dur qu'il te paroiffe, comme à une chofe qui doit contribuer à la fanté du monde, au fuccès des vues du grand Jupiter & à fon bon gouvernement; car il ne te l'eût point envoyé ; s'il n'eût eu en vue l'utilité de l'univers. La nature ne porte jamais rien qui ne convienne à ce qu'elle gouverne.

Voilà donc deux raifons pour toi de chérir ce qui t'arrive. La première, que cela fut fait pour toi, combiné pour toi, & qu'il t'appartenoit en quelque forte, ayant été lié là-haut à ton exiftence par une fuite de très-anciennes caufes; la feconde, parce que ce qui a été affecté à chacun en particulier contribue au fuccès des vues de celui qui gouverne toutes chofes, & à leur donner de la perfection & même de la confiftance. Car le grand tout fe trouveroit mutilé, fi tu pouvois retrancher quelque chofe de la continuité & de la liaifon, tant de fes parties que de fon action; or, tu fais, autant que tu le peux, ce retranchement, lorique tu fupportes avec peine un accident, & que tu l'ôtes en quelque forte du monde.

NOTES.

Socrate fentant du plaifir à fe frotter fa jambe meurtrie par la chaîne qu'on venoit de lui êter, difoit agréablement à fes amis défolés & pleins de refpect pour une ame fi haute :

«Il me femble que ce qu'on appelle plaifir eft une chose bien fingulière, & qu'elle s'accorde merveilleufement avec la douleur, que l'on croit pourtant qui lui eft fort contraire, parce qu'elles ne peuvent jamais fe rencontrer enfemble dans un même fujet. Néanmoins fi quelqu'un a l'une des deux, il faut prefque toujours qu'il ait auffi néceffairement l'autre, comme fi elles étoient liées naturellement. Si Efope avoit pris garde à cette vérité, il en auroit peut être fait une fable, & il auroit dit que Dieu, ayant voulu accorder ces deux ennemis, & n'ayant pu y réuffir, fe contenta de les lier à une même chaîne; enforte que depuis ce tems-là, quand l'un arrive, l'autre le fuit de bien près, comme je l'éprouve aujourd'hui; car la douleur que la chaîne m'a fait fouffrir à cette jambe eft fuivie préfentement d'un fort grand plaifir ».

Marc-Aurele diftingue dans l'homme, 1°., ce qu'il a de commun avec les animaux : un corps avec des organes pleins d'efprits en mouvement, & qui font encore agités par la voie des fens ; c'eft le fiège des paffions: 2°., l'intelligence & la raifon, qui dirigent en lui une volonté pleinement libre & indépendante.

Cette partie fupérieure peut être importun par le tumulte des paffions, à caufe de fon union avec la partie animale; mais elle est toujouts maitreffe de les dominer, & de conferver de la férénité pour juger fainement de tout ce qui fe paffe, & pour déterminer fa volonté à tout ce qu'il lui plait.

Sur quoi faint Auguftin a fait cette excellente

remarque:

cc

« Il n'y a point ou fort peu de différence, dit-il, entre le fentiment des ftoïciens & celui des autres philofophes touchant les paffions; car les uns & les autres prétendent qu'elles ne dominent point fur l'ame du fage ; & quand les ftoiciens difent que le fage n'y eft point fujet, ils n'entendent autre chofe par-là, finon que fa fageffe n'en reçoit aucune atteinte, & qu'elles arrivent au fage fans néanmoins troubler la férénité de fon ame par la préfence des chofes qu'ils appellent commodités ou incommodités ».

Cette férénité dépend du pouvoir de la volonté fur la douleur, foit à l'aide de la raifon, foit même fans le fecours de la raifon, ainfi l'obferve que Marc-Aurele article XII. Nous avons un exemple de ce dernier genre de force dans les fauvages les moins fpirituels de l'Amérique. On fait qu'étant pris prifonniers par leurs ennemis, ils fouffrent les plus cruels tourmens fans verfer une larme, fans laiffer échapper un foupir; ils chantent même & narguent leurs bourreaux. De jeunes lacédémoniens donnèrent autrefois des exemples d'une pareille fermeté.

C'eft un fruit de l'éducation. Oh ! que la nôtre eft molle !

Cependant le fage n'eft point infenfible; MarcAurèle le reconnoit à l'article IX. Sénèque avoit dit avant lui (lorfqu'il étoit de fang froid, & qu'il ne traçoit pas le portrait gigantefque de Caton ou d'un fage idéal):

« Notre fage furmonte ce qui l'incommode mais il le fent. Je ne mets point le fage, difoitil, hors de la sphère de l'homme, & je ne prétends pas qu'il foit inacceffible à la douleur comme un rocher qui ne peut rien fentir. Le plus haut degré de vertu ne fait pas perdre le fentiment; mais le fage ne craint rien &, fans fe laisser vaincre par fes douleurs, il les confidère comme d'un lien élevé ».

Sénèque ajoute:

,

«Le fage ne regarde comme un bien la patience dans les tourmens & la modération dans les maladies, que pour les cas de néceffité. Il méprife

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