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Texécution d'une vengeance plus conforme aux régies de la juftice. Comme il ignoroit encore la punition des principaux auteurs du défordre, il chargea ces commiffaires d'informer contre les coupables, avec pouvoir de vie & de mort.

Il leur ordonna de fermer le théatre, le cirque, & les bains publics; d'ôter à la ville fon territoire, fes priviléges, & la qualité de métropole; de la réduire à la condition d'un fimple bourg soumis à Laodicée, fon ancienne rivale, qui deviendroit, par ce changement, métropole de la Syrie; de retrancher aux pauvres la diftribution de pain, qui étoit établie dans Antioche, comme dans Rome & dans Conftantinople.

Hellébique & Céfaire, étant partis avec ces ordres rigoureux, rencontrerent Flavien, & redoublerent fa douleur. Il continua fa route avec plus d'empreffement, pour obtenir quelque grace. Les deux commiffaires fe hâterent d'arriver en Syrie. La renommée., qui les devança, renouvella la terreur dans Antioche. On publioit qu'ils venoient à la tête d'une troupe de foldats qui ne refpiroient que le fang & le pillage. Les habitans prononçoient eux-mêmes leur propre fentence. « On égorgera le Sénat : on détruira la ville de » fond en comble; on la réduira en cendres avec fon » peuple on y fera paffer la charrue ; &, pour étein»dre notre race, on poursuivra, le fer & le feu à la » main, jusques dans les montagnes & les déferts, » ceux qui y chercheront une retraite. » On attendoit en tremblant le moment de leur arrivée. On se dispofoit de nouveau à prendre la fuite. Le gouverneur, qui étoit payen, vint à l'églife, où une multitude innombrable s'étoit affemblée, comme dans un afyle. Il y parla au peuple, & s'efforça de le raffurer. Lorsqu'il fe fut retiré, S. Jean Chryfoftome fit reproche aux Chrétiens d'avoir eu besoin d'une voix étrangere pour affermir des cœurs que la confiance en Dieu devoit rendre inébranlables. Enfin ceux qui connoiffoient le caractere des deux officiers vinrent à bout de calmer ces allarmes. On commença de fe perfuader que le Prince ne vouloit pas ruiner Antioche, puisqu'il con

fioit fa vengeance à deux miniftres fi équitables & fi modérés. A leur approche, une foule de peuple fortit au-devant d'eux, & les conduifit à leur demeure, avec des acclamations mêlées de prieres & de larmes.

Les deux commiffaires n'étoient pas de ces courtifans vils & mercénaires, qui, livrés fans réserve à la paffion de leur maître, vont auffi vite que fon caprice, & lui préparent d'inutiles repentirs. C'étoient des hommes prudens & vertueux; & c'eft une louange pour Théodofe, d'avoir choifi, dans fa colere, deux minif tres propres, non pas à la fervir aveuglément, mais à la diriger, & à la retenir dans les bornes d'une exacte justice. Ils apprirent, en arrivant, que les magiftrats les avoient prévenus, & que la fédition étoit déja punie par des exemples affez rigoureux. Cependant, par les ordres du Prince, ils fe voyoient réduits à la triste néceffité de rouvrir les plaies récentes de cette malheu reufe ville, & d'en faire encore couler du fang. Ils fignifierent d'abord la révocation de tous les priviléges d'Antioche. Le lendemain, ils firent comparoître tous ceux qui compofoient le confeil de la ville. Ils écou terent & les accufations formées contre eux, & leurs réponses. L'humanité des juges adouciffoit, autant qu'il leur étoit permis, la févérité de leur miniftere. Ils n'employoient ni foldats ni licteurs pour imposer filence. Ils permettoient aux accufés de plaindre leur fort, de verfer des pleurs: ils en verfoient eux-mêmes; mais ils ne leur laiffoient efpérer aucune grace: ils paroiffoient à-la-fois compatiffans & inflexibles. Sur la fin du jour, ils firent renfermer tous ceux qui étoient convaincus dans une grande enceinte de murailles, fans toit & fans aucune retraite qui pût les garantir des injures de l'air. C'étoient les perfonnes les plus confidérables d'Antioche, par leur naiffance, par leurs emplois, & par leurs richeffes. Toutes les familles nobles prirent le deuil. La ville perdoit avec eux tout ce qu'elle avoit d'éclat & de fplendeur.

Le troifieme jour devoit être le plus funefte. Tous les habitans étoient glacés d'effroi. C'étoit le jour deftiné au jugement & à l'exécution des coupables. Avant

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le lever du foleil, les commiffaires fortent de leur demeure, à la lueur des flambeaux. Ils montroient une contenance plus févére que la veille; & l'on croyoit déja lire fur leur front la fentence qu'ils alloient prononcer. Comme ils traverfoient la grande place, fuivis d'une foule de peuple, une femme avancée en âge, la tête nue, les cheveux épars, faifit la bride du cheval d'Hellébique ; &, s'y tenant attachée, elle l'accompagne avec des cris lamentables. Elle demandoit grace pour fon fils diftingué par fes emplois, & par le mérite de fon pere. En même tems, Hellébique & Céfaire fe voient environnés d'une multitude inconnue, que des vêtemens lugubres, des vifages pâles & exténués faifoient reffembler à des phantômes, plutôt qu'à des hommes. C'étoient les folitaires des environs d'Antioche, qui, dans cette trifte conjoncture, étoient accourus de toutes parts; &, tandis que les philofophes payens, plus orgueilleux, mais auffi timides que le vulgaire, étoient allés chercher leur sûreté fur les montagnes & dans les cavernes, les moines, qui étoient alors les vrais philofophes du Chriftianifme, & qui portoient ce nom à juste titre, avoient abandonné leurs cavernes & leurs montagnes, pour venir confoler & fecourir leurs concitoyens. Ils s'attroupent en grand nombre autour des commiffaires : ils leur parlent avec hardieffe; ils offrent leurs têtes à la place des accufés. Ils protestent qu'ils ne quitteront les juges, qu'après avoir obtenu grace. Ils demandent d'être envoyés à l'Empereur. « Nous avons, difent-ils, un Prince Chrě» tien & religieux; il écoutera nos prieres. Nous ne > vous permettrons pas de tremper vos mains dans le

fang de vos freres, ou vous nous immolerez avec » eux.» Hellébique & Céfaire tâchoient de les écarter, en leur répondant qu'ils n'étoient pas maîtres de pardonner, & qu'ils ne pouvoient défobéir au Prince, fans fe rendre eux-mêmes auffi coupables que le peuple d'Antioche. Ils continuoient leur marche, lorfqu'un vieillard, dont l'extérieur n'avoit rien que de méprifable, s'avança à leur rencontre. Il étoit de petite taille, vêtu d'habits fales & déchirés. Saififfant par le manteau D. d'Educ, T. II.

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l'un des deux commiffaires, il leur commanda à tous deux de defcendre de cheval. Indignés de cette audace, ils alloient le repouffer avec infulte, lorsqu'on leur dit que c'étoit Macédone. Ce nom les frappa d'une vénération profonde. Macédone vivoit, depuis longtems, fur le fommet des plus hautes montagnes de Syrie, occupé nuit & jour de la priere. L'austérité de fa vie lui avoit fait donner le furnom de Critophage, parce qu'il ne fe nourriffoit que de farine d'orge. Quoiqu'il fût très-fimple, fans aucune connoiffance des chofes du monde, & qu'il fe fût rendu comme invisible aux autres hommes, il étoit célèbre dans tout l'Orient. Les commiffaires, s'étant jettés à fes pieds, le prioient de leur pardonner, & de fouffrir qu'ils exécutaffent les ordres de l'Empereur. Alors ce folitaire, inftruit par la fageffe divine, leur parla en ces termes : « Mes amis » portez ces paroles au Prince: Vous n'êtes pas feu»lement Empereur; vous êtes homme, & vous com» mandez à des hommes de même nature que vous. " L'homme a été formé à la reffemblance de Dieu : » n'eft-ce donc pas un attentat contre Dieu même, de » détruire cruellement fon image? On ne peut outra» ger l'ouvrage, fans irriter l'ouvrier. Confidérez à » quelle colere vous emporte l'infulte faite à une figure » de bronze. Et une figure vivante, animée, raison»nable, n'eft-elle pas d'un plus grand prix? Il nous » eft aifé de rendre à l'Empereur vingt ftatues pour » une feule; mais, après nous avoir ôté la vie, il lui » fera impoffible de rétablir un feul cheveu de notre » tête." Le difcours de cet homme fans lettres fit une vive impreffion fur les commiffaires. Ils promirent à Macédone de faire part à l'Empereur de fes fages re

montrances.

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Ils fe trouvoient dans un extrême embarras, & n'étoient guères moins agités au-dedans d'eux-mêmes que les coupables dont ils devoient prononcer la fentence. D'un côté, les ordres de l'Empereur leur faifoient craindre d'attirer fur eux toute fa colere; de l'autre, les cris & les vives inftances des habitans, & fur-tout des moines, dont les plus hardis menaçoient

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d'arracher les criminels des mains des bourreaux, & 195 de fubir eux-mêmes le fupplice, défarmoient leur févérité. Dans cet état d'incertitude, ils arrivent aux portes du prétoire, où l'on avoit déja conduit ceux qui devoient être condamnés. Ils y rencontrerent un nouvel obstacle. Les évêques, qui étoient alors dans Antioche, (& il s'en trouvoit toujours quelques-uns dans cette capitale de l'Orient,) fe préfentent devant eux. Ils les arrêtent, & leur déclarent que, s'ils ne veulent leur paffer fur le corps, il faut qu'ils leur promettent de laisser la vie aux prifonniers. Sur le refus des commiffaires, ils s'obftinent à leur fermer le paffage. Enfin Céfaire & Hellébique ayant témoigné, par un figne de tête, qu'ils leur accordoient leur demande, ces prélats pouffent un cri de joie ; ils leur baisent les mains, ils embraffent leurs genoux. Le peuple & les moines se jettent en même tems dans le prétoire ; & la garde ne peut arrêter cette foule impétueufe. Alors certe mere éplorée, qui n'avoit pas quitté la bride du cheval d'Hellébique, appercevant fon fils chargé de chaînes, court à lui, l'entoure de ses bras, le couvre de fes cheveux, le traîne aux pieds d'Hellébique; &, les arro fant de fes larmes, elle conjure ce Général, avec des cris & des fanglots, de lui rendre l'unique foutien de fa vieilleffe, ou de lui arracher à elle-même la vie. Les moines redoublent leurs inftances: ils fupplient les juges de renvoyer le jugement à l'Empereur; ils offrent de partir fur le champ, & promettent d'obtenir la grace de tant de malheureux. Les commiffaires, ne pouvant retenir leurs larmes, fe rendent enfin. Ils confentent à furfeoir l'exécution jusqu'à la décifion de Théodose. Mais ils ne veulent pas expofer tant de vieillards atténués par les austérités aux fatigues d'un long & pénible voyage. Ils leur demandent feulement une Lettre. Ils fe chargent de la porter au Prince, & d'y joindre les plus preffantes follicitations. Les folitaires compoferent une Requête dans laquelle, en implorant la clé mence de Théodose, ils lui mettoient devant les yeux le jugement de Dieu, & protestoient que, s'il falloit encore du fang pour appaiser son courroux, ils étoient

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