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prêts à donner leur vie pour le peuple d'Antioche! Les deux commiffaires convinrent qu'Hellébique de meureroit dans la ville, & que Céfaire iroit à Conftantinople. Ils firent transférer les criminels dans une prison plus commode. C'étoit un vaste édifice orné de portiques & de jardins, où, fans les délivrer de leurs chaînes, on leur permit de recevoir toutes les confolations de la vie. Céfaire partit, le foir même ; &, volant avec plus d'empreffement que s'il fe fût agi de fa propre vie, il fit plus de trois cens lieues en fix jours, & arriva, fans être connu, à Conftantinople. Il fe fit fur le champ annoncer à l'Empereur. Il lui préfenta le procès-verbal qui contenoit le détail de la fédition & de fes fuites. Il n'y avoit pas oublié la requête des moines, & la remontrance de Macédone. Il en fit la lecture, par ordre du Prince. Auffi-tôt, fe jettant à fes pieds, il lui représenta le déféspoir des habitans, les châtimens rigoureux qu'ils avoient déja éprouvés, la gloire qui lui reviendroit de fa clémence. Théodofe verfa des larmes: fon cœur commençoit à s'attendrir; mais la colere combattoit encore ces premiers mouvemens de compaffion.

Il y avoit déja fept op huit jours que Flavien étoit arrivé à Conftantinople. Mais, foit qu'il crût que l'Empereur étoit trop irrité, foit que ce Prince l'évitât à deffein, il ne s'étoit point jufqu'alors présenté à Théodofe. Plongé dans la douleur la plus amère, il ne s'occupoit que des maux de fon peuple. Son abfence les lui rendoit plus fenfibles, parce qu'il ne pouvoit les foulager. Ses entrailles étoient déchirées. Il paffoit les jours & les nuits à verfer des larmes devant Dieu, le priant d'amollir le cœur du Prince. L'arrivée de Céfaire lui rendit le courage. Il alla au palais. Dès qu'il parut devant l'Empereur, il fe tint éloigné, dans un morne filence, le vifage baiffé vers la terre, comme s'il eût été chargé de tous les crimes de fes compatriotes. Théodofe, le voyant confus & interdit, s'approcha lui-même ; &, levant à peine les yeux, le cœur ferré de douleur, au lieu de s'abandonner aur éclats d'une jufte colere, il fembloit faire une apologie

Rappellant en peu de mots tout ce qu'il avoit fait pour Antioche, il ajoûtoit à chaque trait : « C'eft donc ainfi » que j'ai mérité tant d'outrages!» Enfin, après le récit des bienfaits dont il avoit comblé cette ville ingrate « Quelle est donc l'injuftice dont ils ont pré»tendu fe venger, continua-t-il ? Pourquoi, non » contens de m'infulter, ont-ils porté leur fureur juf» ques fur les morts? Si j'étois coupable à leur égard, "pourquoi outrager ceux qui ne font plus, & qui ne » les ont jamais offenfes ? N'ai-je pas donné à leur ville des marques de préférence fur toutes les autres de » l'Empire? Je defirois ardemment de la voir : j'en » parlois fans ceffe; j'attendois avec impatience le mo» ment où je pourrois, en perfonne, recevoir le té» moignage de leur affection, & leur en donner de ma » tendreffe,»

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Flavien, pénétré de ces reproches, & fondant en larmes, pouffe un profond foupir, rompt enfin le filence, &, d'une voix entrecoupée de fanglots: « Prince, dit-il, > notre ville infortunée n'a que trop de preuves de » votre amour; & ce qui faifoit fa gloire, fait aujour » d'hui fa honte & notre douleur. Détruifez-la jus» qu'aux fondemens; réduifez-la en cendres; faites » périr jufqu'à nos enfans par le tranchant de l'épée : » nous méritons encore de plus féveres châtimens; & » toute la terre, épouvantée de notre fupplice, avouera » cependant qu'il eft au-deffous de notre ingratitude, » Nous en fommes même déja réduits à ne pouvoir, » être plus malheureux. Accablés de votre difgrace "nous ne sommes plus qu'un objet d'horreur. Nous » avons, dans votre perfonne, offense l'univers en» tier il s'éleve contre nous plus fortement que vous» même. Il ne reste à nos maux qu'un seul remède. » Imitez la bonté de Dieu outragé par fes créatures » il leur a ouvert les cieux. J'ofe le dire, grand Prince; » fi vous nous pardonnez, nous devrons notre falut à » votre indulgence; mais vous devrez à notre offense » l'éclat d'une gloire nouvelle. Nous vous aurons, par »notre attentat, préparé une couronne plus brillante » que celle dont Gratien a orné votre tête: vous ne

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» la tiendrez que de votre vertu. On a détruit vos fta»tues. Ah! qu'il vous eft facile d'en rétablir qui foient » infiniment plus précieuses ! Ce ne feront pas des fta»tues muettes & fragiles, expofées dans les places aux » caprices & aux injures ouvrages de la clémence, » & auffi immortelles que la vertu même, celles-ci » feront placées dans tous les cœurs; & vous aurez » autant de monumens qu'il y a d'hommes fur la terre, » & qu'il y en aura jamais. Non, les exploits guerriers, "les thréfors, la vafte étendue d'un Empire, ne pro» curent pas aux Princes un honneur auffi pur & auffi » durable que la bonté & la douceur. Rappellez-vous »les outrages que des mains féditieufes firent aux fta»tues de Conftantin, & les confeils de ces courtisans » qui l'excitaient à la vengeance. Vous fçavez que ce » Prince, portant alors la main à fon front, leur ré»pondit en fouriant: Raffurez-vous; je ne fuis point

bleffe. On a oublié une partie des victoires de cet » illuftre Empereur; mais cette parole a furvécu à fes » trophées : elle fera entendue des fiécles à venir; elle » lui méritera à jamais les éloges & les bénédictions de » tous les hommes. Qu'eft-il befoin de vous mettre » fous les yeux des exemples étrangers? Il ne faut que » vous montrer vous-même. Souvenez-vous de ce » foupir généreux que la clémence fit fortir de votre » bouche, lorsqu'aux approches de la fête de Pâques, » annonçant, par un Edit, aux criminels leur pardon, » & aux prifonniers leur délivrance, vous ajoûtâtes:

Que n'ai-je auffi le pouvoir de reffufciter les morts! "Vous pouvez opérer aujourd'hui ce miracle. Antio» che n'eft plus qu'un fépulcre : fes habitans ne font » plus que des cadavres; ils font morts avant le fup» plice qu'ils ont mérité : vous pouvez, d'un feul mot, » leur rendre la vie. Les infidèles s'écrieront: Qu'il » eft grand le Dieu des Chrétiens! Des hommes il en »fçait faire des anges: il les affranchit de la tyrannie » de la nature. Ne craignez pas que notre impunité » corrompe les autres villes. Hélas! notre fort ne peut » qu'effrayer. Tremblans fans ceffe, regardant chaque » nuit comme la derniere, chaque jour comme celui

de notre fupplice, fuyant dans les déferts, en proie » aux bêtes féroces, cachés dans les cavernes, dans » les creux des rochers, nous donnons au refte dú » monde l'exemple le plus funefte. Détruifez Antio» che; mais détruifez-la comme le Tout-Puiffant dé>>truifit autrefois Ninive. Effacez notre crime par le » pardon; anéantissez la mémoire de notre attentat » en faisant naître l'amour & la reconnoiffance. Il eft "aifé de brûler des maisons, d'abbatre des murailles; » mais de changer tout-à-coup des rebelles en fujets » fidèles & affectionnés, c'est l'effet d'une vertu di» vine. Quelle conquête une feule parole peut vous » procurer! Elle vous gagnera les cœurs de tous les » hommes. Quelle récompenfe vous recevrez de l'E» ternel! Il vous tiendra compte, non-feulement de » votre bonté, mais auffi de toutes les actions de mi» féricorde que votre exemple produira dans la fuite » des fiécles. Prince invincible, ne rougiffez pas de » céder à un foible vieillard, après avoir réfifté aux » prieres de vos plus braves officiers. Ce fera céder au "Souverain des Empereurs, qui m'envoie pour vous » présenter l'Evangile, & vous dire de fa part: Si vous » ne remettez pas les offenfes commifes contre vous, votre » Pere céleste ne vous remettra pas les vôtres. Repréfen»tez-vous ce jour terrible, dans lequel les princes & » les fujets comparoîtront au tribunal de la fuprême » Justice, & faites réflexion que toutes vos fautes fe»ront alors effacées par le pardon que vous nous au» rez accordé. Pour moi, je vous le protefte, grand » Prince, fi votre jufte indignation s'appaife, fi vous » rendez à notre patrie votre bienveillance, j'y retour» nerai avec joie, j'irai bénir, avec mon peuple, » bonté divine, & célébrer la vôtre. Mais fi vous ne » jettez plus fur Antioche que des regards irrités, mon » peuple ne fera plus mon peuple : je ne le reverrai » plus; j'irai, dans une retraite éloignée, cacher ma » honte & mon affliction; j'irai pleurer, jufqu'à mon » dernier foupir, le malheur d'une ville qui aura rendu » implacable à fon égard le plus humain & le plus » doux de tous les Princes. »

la

Pendant tout le difcours de Flavien, l'Empereur avoit fait effort fur lui-même, pour refferter fa douleur. Enfin, ne pouvant plus retenir fes larmes : « Pour»rions-nous, dit-il, refufer le pardon à des hommes » semblables à nous, après que le Maître du monde » s'étant réduit pour nous à la condition d'efclave, a » bien voulu demander grace à fon Pere pour les au»teurs de fon fupplice, qu'il avoit comblés de fes bien» faits? » Flavien, touché de la plus vive reconnoiffance, demandoit à l'Empereur la permiffion de demeurer à Conftantinople, pour célébrer avec lui la fête de Pâques. « Allez, mon pere, lui dit Théodofe, » hâtez-vous de vous montrer à votre peuple: rendez » le calme à la ville d'Antioche. Après une fi violente » tempête, elle ne fera raffurée que lorfqu'elle reverra » fon pilote. » L'évêque le fupplioit d'envoyer fon fils Arcadius. Le Prince, pour lui témoigner que, s'il lui refufoit cette grace, ce n'étoit par aucune impreffion de reffentiment, lui répondit : « Priez Dieu qu'il me » délivre des guerres dont je fuis menacé, & vous me » verrez bientôt moi-même. » Lorfque le prélat eut paffé le détroit, Théodofe lui envoya encore des officiers de fa cour, pour le preffer de fe rendre à fon troupeau avant la fête de Pâques. Quoique Flavien usât de toute la diligence dont il étoit capable, cependant, pour ne pas dérober à fon peuple quelques momens de joie, il fe fit devancer par des couriers qui porterent la Lettre de l'Empereur avec une prompti tude incroyable.

Depuis que Céfaire étoit parti d'Antioche, les ef prits flottoient entre l'efpérance & la crainte. Les pri fonniers fur-tout recevoient fans ceffe des allarmes, par les bruits publics qui fe répandoient, que l'Empereur étoit inflexible; qu'il perfiftoit dans la réfolution de ruiner la ville. Leurs parens & leurs amis, gémiffant avec eux, leur difoient tous les jours le dernier adieu; & l'éloquente charité de S. Jean Chryfoftome pouvoit à peine les raffurer. Enfin la Lettre de Théodofe arriva, pendant la nuit, & fut rendue à Hellébique. Cet officier généreux fentit le premier toute la

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