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trer au Roi de quelle conféquence il étoit que l'arrêt fût exécuté. La remontrance du préfident fut faite devant le Maréchal même. Le Monarque, touché des raifons dont fe fervit De Thou, & des prieres de BoisDauphin, parut d'abord embarraffé; puis, s'adreffant à ce dernier: « Monfieur de Bois-Dauphin, lui dit-il, n'eft-ce l'amitié pas que vous avez pour Berthaut » qui vous détermine à me parler en fa faveur ? » Oui, Sire, lui répondit le maréchal.

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Mais ne

Eh bien! con

» puis-je pas croire que vous avez pour moi autant » d'amitié que pour lui? Ah! Sire, quelle comparaifon, repliqua Bois-Dauphin! »tinua le Prince, laiffons donc à la juftice fon libre » cours, puifqu'en fauvant Berthaut, vous me faites » perdre mon ame & mon honneur. Je n'offense déja » Dieu que trop fouvent, fans ajoûter ce péché aux » autres. » L'arrêt fut exécuté, & Berthaut eut la tête tranchée.

8. Quoiqu'Agéfilas, roi de Sparte, fût en tout exact obfervateur des loix, & qu'il ne voulût point s'écarter des régles de la juftice, il croyoit, cependant, que c'étoit être inhumain & cruel, que d'être trop rigou reusement jufte dans les affaires de fes amis; c'eft ce que prouve cette lettre très-courte qu'il écrivit, dit-on, au Carien Hidriée, en faveur d'un de fes amis, que ce magiftrat avoit fait mettre en prifon. » Si Nicias n'eft point coupable, relâchez-le; s'il eft » coupable, relâchez le; quoi qu'il en puiffe être, re» lâchez-le.» Comme la clémence doit toujours tempérer la juftice, s'il arrive qu'un perfonnage grave en adouciffe quelquefois la rigueur, elle n'en eft pas moins refpectée, & ne perd rien de fon pouvoir..

9. Les rois d'Egypte donnoient l'attention la plus fcrupuleuse à l'administration de la juftice, perfuadés que de ce foin dépendoit, non-feulement le bonheur des particuliers, mais la tranquillité de l'Etat. Trente juges étoient tirés des principales villes pour compofer la compagnie qui jugeoit tout le Royaume. Pour remplir ces places difficiles, le Prince choififfoit les plus vénérables perfonnages, & mettoit à leur tête

celui qui fe diftinguoit davantage par la connoiffance & l'amour des loix. Il leur affignoit d'honnêtes revenus, afin qu'affranchis des embarras domestiques, ils puffent donner tout leur tems à faire obferver les loix. La juftice étoit gratuite; les tribunaux étoient acceffibles à tout le monde, & préférablement aux pauvres, qui, par leur état même, font plus expofés à l'injure, & ont plus befoin de la protection des loix. Pour éviter les furprises, on traitoit les affaires par écrit. On craignoit cette fauffe éloquence, qui féduit les efprits, en remuant les paffions. On vouloit que la vérité fe montrât toute nue, ornée des feules graces qui lui font naturelles. Le préfident de ce Sénat augufte portoit un collier d'or & de pierres précieufes, d'où pendoit une figure fans yeux, qu'on appelloit la vérité. Quand il la prenoit, c'étoit le fignal pour commencer la féance. Il l'appliquoit à la partie qui devoit gagner fa caufe, & c'étoit la forme de prononcer la fentence.

10. Il paroît qu'en Perfe les Rois veilloient avec grand foin à ce que la juftice fût adminiftrée avec beaucoup d'intégrité & de défintéreffement. Un magiftrat, s'étant laiffé corrompre par des préfens, fut impitoyablement condamné mort par Cambyfe, fils & fuccef feur de Cyrus, qui ordonna qu'on mît sa peau fur le fiége, où ce juge inique avoit coutume de prononcer fes jugemens, & où fon fils, qui fuccédoit à fa charge, devoit s'affeoir, afin que le lieu même où il jugeroit l'avertît continuellement de fon devoir.

Les juges ordinaires étoient pris dans le corps des vieillards, où l'on n'entroit qu'à l'âge de cinquante ans. Ainfi perfonne n'exerçoit avant ce tems les fonctions facrées de la judicature, les Perfes étant perfuadés qu'on ne pouvoit apporter trop de maturité à un emploi qui décidé des biens, de la réputation, & de la vie des citoyens.

Il n'étoit permis ni aux particuliers de faire mourir un esclave, ni au Prince d'infliger peine de mort contre aucun de fes fujets, pour une premiere & unique faute, parce qu'elle pouvoit être regardée moins comme

la marque d'une volonté criminelle, que comme l'effet de la foibleffe & de la fragilité humaine.

On croyoit qu'il étoit raisonnable de mettre dans la balance de la juftice le bien comme le mal, les mérites du coupable auffi-bien que fes démérites, & qu'il n'étoit pas jufté qu'un feul crime effacât le fouvenir de toutes les bonnes actions qu'un homme auroit faites pendant fa vie. C'est par ce principe que Darius, ayant condamné à mort un juge, parce qu'il avoit prévariqué, & s'étant fouvenu des fervices importans que le coupable avoit rendus à l'Etat & à la Famille Royale, il révoqua fa fentence dans le moment même qu'on alloit l'exécuter, reconnoiffant qu'il l'avoit prononcée avec plus de précipitation que de fageffe.

Mais une loi importante, & effentielle pour les jugemens, étoit, en premier lieu, de ne condamner jamais un coupable, fans lui avoir confronté fes accufateurs, & fans lui avoir laiffé le tems & fourni tous les moyens de répondre aux chefs d'accufation intentés contre lui; en fecond lieu, de condamner le délateur aux mêmes peines qu'il vouloit faire fouffrir à l'accufé, s'il fe trouvoit innocent. Artaxerxès donna un bel exemple de la jufte févérité qu'on doit employer dans ces occafions. Un de fes favoris lui avoit rendu suspecte la fidélité de l'un de fes meilleurs officiers dont il ambitionnoit la place, & avoit envoyé contre lui des mémoires pleins de calomnie, espérant, de fon crédit auprès du Prince, qu'il l'en croiroit fur fa fimple parole, & qu'il n'entreroit dans aucun examen. L'officier fut mis en prifon. Il demanda au Roi qu'on lui donnât des juges, & qu'on produisît les preuves. Il n'y en avoit point d'autre que la lettre que fon ennemi même avoit écrite contre lui. Son innocence fut donc reconnue, & pleinement juftifiée par les trois commiffaires nommés pour l'examen de fa caufe; & le Roi fit tomber tout le poids de fon indignation fur le perfide calomniateur, qui avoit entrepris d'abuser ainfi de la confiance de fon maître.

11. Rien n'eft comparable au refpect que le peuple d'Achem, en Afie, a pour la juftice, Un criminel, ar

rêté

rêté par une femme ou par un enfant, n'ose prendre la fuite; il fe laiffe conduire avec la plus grande do→ cilité devant le juge, qui le condamne fur le champ. Les châtimens les plus ufités dans le pays, pour les fautes communes, font la baftonnade & la mutilation de I quelques membres, tels que les bras, les jambes, le nez & les oreilles. Après l'exécution, chacun s'en retourne tranquillement chez foi, fans qu'on puiffe diftinguer le coupable des accufateurs ; c'est-à-dire, qu'on n'entend d'une part aucune plainte, & de l'autre au cun reproche; il ne refte pas même de tache à ceux qui ont fubi ces punitions. Tout homme eft fujet à faillir, difent les Achémois, & le châtiment expie fa faute. Ce qu'il y a de plus fingulier, c'est que ces mutilations font rarement mortelles, quoiqu'on n'y apporte point d'autre remède que d'arrêter le fang & de bander la plaie. Une autre circonftance bien remarquable dans ces fortes de châtimens, c'eft l'efpece de traité qui fe fait entre le criminel & l'exécuteur de la juftice. Celuici demande aux coupables combien ils veulent lui donner pour être mutilés proprement, pour avoir le nez ou les oreilles coupés d'un feul coup, &, fi la fentence ordonne la peine de mort, pour recevoir le coup fans languir. Après avoir un peu marchandé fur le prix, l'affaire fe conclut à la vue des fpectateurs; & la fomme eft payée fur le champ. Celui qui refuseroit de prendre ce parti, s'expoferoit à fe voir emporter la joue avec l'oreille, ou couper le nez fi haut, que le cerveau feroit à découvert. On rapporte qu'un homme ayant eu la curiofité de voir la femme de fon voisin,' par-deffus une haie, tandis qu'elle fe baignoit, elle en avoit fait des plaintes à fon mari. Celui-ci faifit le cou pable & le traduifit devant le juge, qui le condamna à recevoir fur les épaules trente coups de baguette. On entra en capitulation pour adoucir le fupplice. L'exécuteur demanda une fomme beaucoup plus forte que celle qu'offroit le criminel; &, comme il le voyoit incertain, il lui donna un coup fi rudement appliqué, que le marché fut conclu au prix qu'il avoit mis d'abord. La fentence n'en fut pas moins exécutée; les D. d'Educ. T. II, D

trente coups furent adminiftrés, mais fi légerement, que la baguette touchoit à peine les habits. L'exécution faite, le coupable fe mêla tranquillement parmi les fpectateurs, pour entendre les jugemens de quel ques autres causes.

12. Julien l'Apoftat aimoit à rendre la juftice: il fe piquoit d'en fuivre fcrupuleufement les régies dans fa conduite, & ne s'en écartoit jamais dans les jugemens. Sévère, fans être cruel, il ufoit plus fouvent de menaces que de punitions. Très-inftruit des loix & des ufages, il balançoit fans aucune faveur le droit des parties. Le premier de fes officiers n'avoit nul avantage fur le dernier de fes fujets. Il abrégeoit la longueur des procédures, & les regardoit comme une fiévre lente qui ruine & confume le bon droit. Dès que l'injuftice lui étoit dénoncée, il s'en croyoit chargé, tant qu'il la laifferoit fubfifter. Le foible & l'innocent trouvoient toujours auprès du Prince un accès facile. Comme il paroiffoit fouvent en public pour des fêtes & pour des facrifices, rien n'étoit fi aifé que de l'aborder: il étoit toujours prêt à recevoir les requêtes & à écouter les plaintes. Il laiffoit toute liberté aux avocats : ils étoient les maîtres d'épargner la flaterie; mais le règne précédent les y avoit trop accoutumés. Un jour qu'ils applaudiffoient avec une forte d'enthousiasme à une fentence qu'il venoit de prononcer: « Je ferois flatté de » ces éloges, dit-il, fi je croyois que ceux qui me les » adreffent, ofaffent me cenfurer en face, dans le cas » où j'aurois jugé le contraire. »

13. M. de la Faluere, premier président du parle. ment de Bretagne, n'étant encore que confeiller, avoit étoit nommé rapporteur d'une affaire. Il en laiffa l'examen à des perfonnes qu'il croyoit d'auffi bonne foi que lui; &, fur l'extrait qui lui en fut remis, il rapporta le procès. Quelques mois après le jugement, il reconnut que fa trop grande confiance & fa précipitation avoient dépouillé une famille honnête & pauvre des feuls biens qui lui reftoient. Il ne fe diffimula point fa faute; mais, ne pouvant faire rétracter l'arrêt qui avoit été fignifié & exécuté, il fe donna les plus grands

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