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Sénéque a a-t-il tort de comparer ces prétendus héros, qui ne fe font rendus illuftres que par le malheur des peuples, à un incendie & à un déluge qui ravagent & détruisent tout, ou à des bêtes féroces qui ne vivent que de fang & de carnage?

Mais laiffons cette premiére confidération, qui nous représente les Conquérans comme des fléaux que la colére de Dieu envoie dans le monde pour le punir, & examinons les derniéres conquêtes d'Alexandre en elles-mêmes, pour voir ce qu'il en faut penfer.

Les actions de ce Prince, il faut l'avouer, ont un brillant qui éblouit & qui étonne l'imagination, avide du grand & du merveilleux. Son enthousiasme de valeur transporte ceux qui lifent fon hiftoire, comme il l'a tranfporté lui-même. Mais doit-on donner le nom de courage & de valeur à une hardieffe aveugle, téméraire, impétueufe; qui ne connoit point de régles, qui ne confulte point la raison, & qui n'a pour guide qu'une ardeur infensée de fauffe gloire, &

a Exitio gentium clari, | datio... quàm conflagra non minores fuere peftes tio. Senec. Nat. Quast. mortalium, quàm inun- | lib. 3. in Prafat.

un defir effréné de fe diftinguer à quelque prix que ce, foit? Ce caratére ne convient qu'à un avanturier, qui eft fans fuite, qui ne répond que de fa vie, & qui, par cette raifon, peut être emploié pour un coup de main. Il n'en eft pas ainfi du Princé. Il eft refponfable de fa vie à toute l'armée, & à tout fon roiaume. Hors quelques occafions fort rares, où il eft obligé de paier de fa perfonne, & de partager le danger avec les troupes pour les fauver; il doit fe fouvenir qu'il y a une extrême différence entre un Général & un fimple foldat. La véritable, valeur ne penfe point à fe produire : elle n'eft point occupée du foin de fa réputation, mais du falut de l'armée. Elle s'écarte également,& d'une fageffe timide qui prévoit & craint tous les inconvéniens, & d'une ardeur brutale qui cherche & affronte gratuitement les périls. En un mot, pour former un Général accompli, il faut que la prudence tempére & régle ce que la valeur a de féroce; & que la valeur à fon tour anime & échaufe ce que la prudence a de froid & de l'ent.

Reconnoit - on Alexandre à ces traits? Quand on lit fon hiftoire, &.

qu'on le fuit dans fes fiéges & dans fes combats, on eft dans des allarmes continuelles pour lui & pour fon armée, & l'on croit à chaque moment qu'il va périr. Ici c'eft un fleuve rapide qui eft près de l'entraîner & de l'engloutir: là c'eft un roc escarpé où il grimpe,& où il voit autour de lui des foldats ou percés par les traits des ennemis, ou renverfés par des pierres énormes dans des précipices.On tremble, quand on voit dans une bataille la hache prête à lui fendre la tête ; & encore plus, quand on le voit feul dans une place, où fa témérité l'a engagé, exposé à tous les traits des ennemis. Il comptoit fur des miracles. Mais rien n'est plus déraisonnable, dit Plutarque: car les miracles ne font pas fûrs, & les dieux fe laffent enfin de conduire & de conserver des téméraires qui abufent de leur fe

cours.

erat. 2. pag.

Le même Plutarque, dans un Trai- Plut. de for té où il fait l'éloge d'Alexandre, tun. Alex. pour le représenter comme un héros accompli, fait un long dénombrement de toutes les bleffures qu'il a

* Ce Traité, s'il eft de 】 de sa jeunesse, & reffens Plutarque. paroit un fruit | beaucoup la déclamation.

341.

,

reçues, fans qu'aucune partie de fon corps, depuis la tête jufqu'aux piés, ait été épargnée; & il prétend que la fortune en le criblant ainfi de coups, n'a fait que mettre fon cou. rage dans une plus grande évidence. Un grand Capitaine, dont il fait ailleurs l'éloge, n'en jugeoit pas ainsi. Timothée On le louoit d'une bleffure qu'il avoit Plue. in Pelop reçue dans une bataille : & pour lui il s'en excufoit comme d'une faute de jeune homme, & comme d'une témérité condannable. On a remarqué à la louange d'Annibal, & je l'ai déja obfervé ailleurs, que dans les différens combats qu'il donna il ne fut On ne far point bleffé. Je ne fai fi jamais Céfar mention que le fut.

pag.278.

d'une feule bleffure.

Une derniére observation, & qui regarde en général toutes les expéditions d'Alexandre dans l'Asie, doit beaucoup diminuer du mérite de fes victoires, & de l'éclat de fa réputation: c'est le caractére des peuples contre qui-il a eu à combattre. Tite Live, dans une digreffion, où il examine quel eût été le fort des armes d'Alexandre, s'il les eût tournées du côté de l'Italie, & où il montre que Rome fûrement auroit arrété fes con

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quêtes, infifte beaucoup fur la réflexion dont je parle. Il oppofe à ce Prince, pour le courage, un grand nombre d'illuftres Romains, qui lui auroient tenu tête en tout; & pour la prudence, cet augufte Sénat, que Cinéas, pour en donner une jufte idée à Pyrrhus fon maître, difoit être compofé d'autant de Rois. S'il a étoit venu contre les Romains,dit Tite Live,il auroit bientôt reconnu qu'il n'avoit « plus à faire à un Darius, qui chargé « de pourpre & d'or, vain appareil de « fa grandeur, & traînant avec lui « une troupe de femmes & d'eunu- « ques, étoit plutôt une proie qu'un ennemi; & qu'il vainquit en effet « fans prefque verfer de fang, & fans avoir befoin d'autre mérite que ce- << lui d'ofer méprifer ce qui n'étoit « digne que de mépris. L'Italie lui «

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