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tence de sa population, la troisième dans l'ordre départemental par le nombre, et l'une des plus avancées par l'amour du travail et l'intelligence des affaires. L'industrie ne s'y est établie sur une grande échelle que depuis le commencement de ce siècle, et si bien combinée avec l'agriculture et le commerce, qu'elle paraissait assise pour jamais sur ces bases solides. Comment se fait-il que nous ayons à enregistrer aujourd'hui d'aussi graves mécomptes, et à constater les plus poignantes misères dans un pays destiné par excellence à la richesse ?

Les causes de ce contraste sont de deux natures : l'excès du développement manufacturier et le déclassement de population qui en a été la suite. Le tiers des habitants de la SeineInférieure est attaché directement ou indirectement aux manufactures de laine et de coton, et il a échangé peu à peu, forcément, le travail régulier de la vie des champs contre le salaire incertain et décroissant de la vie d'atelier. Les ateliers, de leur côté, condamnés à une rénovation perpétuelle, sans cesse en guerre entre eux ou contre la fabrication étrangère, soumis à toutes les vicissitudes de l'offre et de la dedemande, voient chaque jour diminuer leurs chances de profit et ressemblent à des jeux de hasard, où il est impossible aux plus habiles de calculer la portée de leurs coups. C'est là ce qu'il importe de bien apprécier quand on veut se rendre un compte exact des événements déplorables dont nous avons été les témoins.

Ces curieux phénomènes ont surtout éclaté au sein de l'industrie cotonnière, la plus importante du département de la Seine-Inférieure. L'industrie cotonnière y repose sur deux bases également fragiles, l'importation complète de la matière première par un marché de monopole qui est Le Havre, et le débouché indispensable de l'étranger pour tout ce qui excède la consommation nationale. Cette industrie a été prise entre deux feux presqu'à son origine, et elle n'a cessé de

vivre au milieu des orages depuis sa fondation. Protégée dès sa naissance par la prohibition qui dure encore, elle a cédé à l'appât d'une protection trompeuse qui ne l'a défendue ni contre l'engouement irréfléchi des entrepreneurs, ni contre le mauvais choix des emplacements, ni contre la cherté des capitaux, du combustible et de la main-d'œuvre. Elle est sur le point de succomber aujourd'hui sous le poids de sa perfection même, qui met hors de service tout le vieil outillage, c'est-à-dire d'immenses capitaux non amortis et menacés de stérilité avant d'avoir fourni leur carrière.

Les fabricants de coton de la Seine-Inférieure, aussi bien que ceux de l'Alsace et du département du Nord, ne se sont aperçus que depuis peu de temps de l'orage prêt à fondre sur eux. Encouragés par le succès flatteur des premiers temps de la fabrication, assurés du marché intérieur, favorisés par la prospérité des autres industries qui servaient de débouché à la leur, ils ne prévoyaient pas qu'il suffirait d'un simple temps d'arrêt dans quelque branche du travail national, d'une disette en agriculture, d'un ébranlement momentané du crédit, d'une menace de guerre extérieure ou de discorde civile, pour paralyser l'effet de la consommation et pour produire à leurs dépens une crise redoutable. Ils ne calculaient même pas à quelles rudes épreuves pouvaient les mettre toutes ces industries rivales de la soie, du lin et de la laine, luttant de bon

marché avec leurs produits et descendant peu à peu à la portée des plus humbles consommateurs. C'est en vain que, trois fois en moins de vingt-cinq ans, ils avaient reçu des avertissements sévères par le profond ébranlement qu'avait subi leur industrie ils reprenaient courage après la tempête, en laissant quelques-uns des leurs sur le champ de bataille, et ils marchaient, de perfectionnement en perfectionnement, au périlleux dénoûment qui a été précipité par la révolution du 24 Février.

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Ce dénoûment ressort du simple exposé de la concurrence

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intérieure des fabriques françaises et de l'examen de leur condition actuelle sous le rapport technologique. Il existe, en réalité, trois sortes de fabriques dans l'industrie cotonnière celles qui possèdent encore l'outillage primitif, grossier, imparfait, produisant peu, chèrement et mal, à l'aide de vieux bancs à broches qui devraient être relégués dans les musées de curiosités: celles qui ont des métiers plus avancés, quoique imparfaits encore, mais pourvus de bons moteurs hydrauliques ou à feu, et enfin les usines montées sur un pied formidable, avec des bancs de 600 broches, à renvideurs mécaniques, où rien n'a été laissé à l'homme de ce qu'on peut lui disputer, et qui rappellent la supériorité de l'artillerie moderne sur celle des temps passés. Il est évident que, même en dehors de toute discussion de salaire, le fabricant, armé de ces puissantes machines à filer, bien placées sur des cours d'eau réguliers, doit travailler à des prix moins élevés que le propriétaire des métiers de moindre dimension, et, à plus forte raison, que le fabricant attaché à la glèbe des petits métiers mus par les bras de l'homme.

Tel est le premier aspect de la question manufacturière dans la Seine-Inférieure, et cette situation répond aux deux ordres d'idées qui frappent l'observateur aussitôt qu'il a pénétré dans le département. L'entrepreneur qui fait travailler un ouvrier sur un banc de 180 broches, à l'aide d'un moteur essoufflé, ayant à lutter contre la supériorité d'un rival qui dispose des bancs de 600 broches, mis en mouvement par des pompes à feu infatigables, ne peut vendre son fil de coton qu'à la condition de réduire tout à la fois ses profits et le salaire de ses ouvriers au taux le plus misérable. L'infériorité de ses métiers lui en fait une loi, sous peine de ruine immédiate. L'ouvrier, condamné à se servir de ces métiers surannés, se contente du plus modeste salaire, plutôt que de perdre le peu de travail qu'il y trouve, et il s'établit, entre le malheureux patron et lui, comme un concert de résignation,

devant l'impérieuse nécessité qui les presse tous deux. Pendant ce temps, les grands appareils poursuivent impitoyablement leur triomphe, et détruisent peu à peu leurs rivaux impuissants.

Mais ces transitions inévitables et fatales ne s'accomplissent jamais sans trouble et sans déchirements. Pendant que les chefs de l'industrie, hors d'état de renouveler leur outillage, s'épuisent en efforts douloureux pour conserver de l'emploi à leur capital engagé qui se meurt, les ouvriers, frappés dans leur salaire, attribuent souvent à la malveillance des réductions commandées par la nécessité, et j'en ai vu qui poussaient des cris de vengeance contre leurs patrons, quoique ceux-ci ne fussent déjà plus pour eux, en réalité, que des compagnons d'infortune. C'est dans ces moments de malaise réciproque que les travailleurs désorientés deviennent facilement accessibles à toutes les séductions. Trop souvent incapables, faute d'instruction, d'apprécier les véritables causes de la détresse qui les accable, ils en accusent ceux qui la partagent, et ils aggravent d'une manière irréparable les grandes crises de l'industrie.

Jamais ces funestes malentendus n'ont été plus fréquents et plus regrettables que pendant les premiers mois de 1848. Au lieu de faire comprendre aux ouvriers les causes si simples et si naturelles de la crise qui pesait sur le travail, à la saite d'une commotion révolutionnaire soudaine, on a soufflé en eux l'esprit de sédition et de vertige. Il s'est trouvé des hommes qui leur ont prêché l'égalité des salaires, le partage des biens, la solidarité indéfinie, la spoliation enfin sous toutes sortes de formes décevantes et hypocrites. Ils se sont imaginé qu'il appartenait au Gouvernement de décréter le travail et l'abondance, comme la guerre ou les impôts. Puis, devenus le Gouvernement eux-mêmes, ils ont voulu mettre en pratique ces extravagances de l'orgueil humain, et notre siècle a vu ce que nul autre ne verra plus sans doute, après une aussi

humiliante expérience, tout un peuple de travailleurs licencié au nom du travail, et l'impôt chargé de fournir une liste civile à des millions de désœuvrés, au moment où toutes ses sources venaient de tarir.

La ville de Rouen et le département de la Seine-Inférieure ont été plus atteints qu'aucune autre région de la France par cette contagion, qui les a frappés en même temps que la crise industrielle. Le travail suspendu par la disparition du crédit, y a mis en grève subite plus de 30,000 ouvriers qui ont été plongés dans la plus effroyable misère, et auxquels on n'a pu distribuer que quelques faibles secours, au prix des plus grands sacrifices, comme pour démontrer l'éternelle supériorité du travail sur l'aumône, et rappeler aux populations égarées les conditions providentielles de leur existence. Toutes les branches de la fabrication ont ressenti les effets de la commotion qui les a frappées en même temps: la filature, le tissage, l'impression. L'industrie linière n'a pas été plus épargnée que les manufactures de draps. Partout, quand j'ai parcouru ces vallées, naguère si animées, de Déville, de Darnetal, de l'Andelle, l'inquiétude régnait sur les visages, et la désolation dans les ateliers. Tandis que les chefs d'usine consternés s'épuisaient en efforts pour maintenir le travail, l'émeute, grondant à leurs portes, terrifiait et paralysait le crédit. La détresse générale avait fait suspendre ou retirer toutes les commandes, et je pourrais citer un des plus grands établissements de construction dont les directeurs signaient au bas d'une de mes feuilles d'enquête la triste et significative déclaration suivante : « Nous avions au 24 février pour 13 millions de francs de commandes, et nous occupions environ 1,000 ouvriers. Aujourd'hui 15 août, presque toutes ces commandes ont été annulées; nous avons 500 ouvriers de moins et nous sommes contraints d'en réduire le nombre toutes les quinzaines. »

Tel était, pour une seule industrie, pour une seule usine,

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