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le formidable contre-coup de ces agitations. A mesure que je pénétrais dans les autres ateliers, partout se reproduisaient les mêmes doléances, partout je trouvais le crédit ébranlé ou anéanti, les chefs au désespoir, les ouvriers dispersés et irrités, les métiers silencieux et déjà couverts de rouille ou de poussière. Chaque patron inscrivait fidèlement, sur mes inventaires, le nombre de ses ouvriers congédiés, la valeur de ses commandes perdues; et les ouvriers eux-mêmes, auxquels j'avais pris soin de demander aussi leur témoignage, ne s'accordaient que trop avec celui des maîtres pour déplorer la catastrophe qui les frappait tous si cruellement. Leur dissentiment ne commençait que lorsqu'il était question d'apprécier les véritables causes de la crise. Chacun l'interprétait à sa manière les ouvriers l'attribuaient à l'avidité des maîtres; les maîtres, aux prétentions des ouvriers, qui vivaient les uns et les autres dans un état effrayant d'hostilité. On eût dit l'équipage d'un vaisseau battu par une mer orageuse, qui tournait ses efforts contre lui-même au lieu de les unir pour conjurer la tempête.

La longue durée de cette crise a soulevé sur tous les points du territoire, et principalement dans les grands foyers d'industrie, l'examen de toutes les questions qui se rattachent au régime manufacturier. Ces questions difficiles avaient sommeillé jusque-là, ou s'étaient maintenues exclusivement sur le terrain académique et littéraire. On ne les avait pas encore vues descendre tout armées sur la place publique et menacer la paix des cités. Personne n'y était réellement préparé, ni les chefs de l'industrie, ni les chefs de l'Etat. La raillerie et l'incrédulité avaient plus d'une fois accueilli les premiers avertissements donnés par les économistes, et tout le monde s'est trouvé pris au dépourvu dès qu'il a fallu improviser des solutions au milieu du désordre d'idées soulevé par l'insurrection triomphante. Les utopies les plus folles, les expédients les plus absurdes, les agressions les plus hardies ont

été préconisés tour à tour comme des moyens légitimes et infaillibles de réparation. On a généralisé audacieusement quelques abus réels, quelques chiffres de salaires reconnus insuffisants, pour attaquer les directeurs de l'industrie et pour exiger d'eux, sous le coup de la menace, des sacrifices qui les auraient ruinés sans profit pour l'ouvrier, si ces sacrifices eussent été prolongés.

Le moment est donc venu de rétablir la vérité si étrangement travestie pendant cette tourmente de dix mois, et de pénétrer avec calme dans ces ateliers, naguère si agités, pour y recueillir du moins les leçons du passé. Examinons donc une à une les erreurs déplorables qui ont égaré les classes ouvrières et qui auraient bientôt passé à l'état d'axiome parmi elles, si la rude expérience qu'elles en ont faite ne leur avait enfin ouvert les yeux. La première et la plus grave de toutes ces erreurs a été de croire que les salaires du travail pouvaient être établis par des tarifs officiels et uniformes, sans tenir compte de la variété infinie des aptitudes, de la valeur du travail lui-même et de l'état du marché. La seconde a été d'attenter à la liberté du travailleur par les essais malencontreux de suppression du travail à la tâche, qui ont été tentés presque partout avec une persévérance infatigable et qui n'auraient abouti qu'à l'oppression des forts par les faibles, des hommes laborieux par les hommes sans cœur, et de l'intelligence par la matière. La troisième erreur et la plus répandue a été de supposer que la meilleure solution du problème économique était la réduction des heures de travail par toute la France, de manière à diminuer la quantité offerte, au profit du travailleur, et à lui assurer un emploi avantageux de son temps. Ces trois infractions funestes aux véritables lois de la production ont porté des fruits trop amers pour n'être pas signalés.

Ici, c'est un devoir pour nous de reconnaître quelques faits incontestables et dignes de toute la sollicitude des hommes

d'Etat. Il est évident que, dans l'industrie cotonnière et particulièrement dans les deux branches de la filature et du tissage, il existe des catégories d'ouvriers dont le salaire est insuffisant pour les faire vivre, ce salaire fût-il constant et la santé du travailleur à l'abri de toute atteinte. Il est impossible également de contester que ce faible salaire ne saurait être augmenté sans élever d'une manière proportionnelle le prix de revient des produits, celui de vente, et, par conséquent, sans détruire sur le marché étranger la seule chance que nous ayons de soutenir la concurrence de nos rivaux. Nous avons commencé par démontrer que, sous peine d'abandonner tout le vieil outillage de nos plus anciennes filatures, les chefs de ces usines étaient condamnés à n'accorder à leurs ouvriers que des salaires inférieurs à ceux des ouvriers attachés aux manufactures pourvues d'appareils plus puissants, à l'aide desquels on obtient, par une même quantité de travail à la tâche, plus de produits avec moins de dépense. Travailler à vil prix, ou ne travailler pas, tel est pour les fileurs des petits métiers la condition inexorable qui résulte pour eux de la concurrence des grands. Ils sont menacés de succomber devant ces métiers perfectionnés, comme ils ont fait succomber eux-mêmes les appareils imparfaits qui les ont précédés. Les hommes qui reprochaient si rudement naguère aux maîtres de ces métiers mourants la fâcheuse condition de leurs ouvriers, semblaient oublier que l'économie la plus stricte leur est imposée sous peine de mort, et que leur condition n'est guère meilleure que celle de leurs subordonnés. Quiconque a visité à Rouen et dans la banlieue ces usines primitives et a vu manger à la même table, j'ai presque dit à la même gamelle, ces modestes entrepreneurs et leurs ouvriers, sait désormais que penser des déclamations dont on les a poursuivis.

Là, quoi qu'on fasse, est le nœud essentiel de la question, et il convient de la bien préciser, car elle se reproduira sous

toutes les formes, toujours la même, à quelques complications près, dans l'industrie cotonnière et dans celles de la soie, du fil et de la laine. C'est la loi de croissance et de transformation, douloureuse et inévitable, dont on peut sans doute adoucir les heures de transition les plus difficiles, mais qu'il n'est au pouvoir d'aucun gouvernement de supprimer, sous peine d'arrêter le progrès même qui est en la conséquence. Heureusement, et il faut se hâter de le dire, le nombre de ces travailleurs disgraciés est extrêmement restreint, et plusieurs d'entre eux ne font que traverser, à titre de noviciat, cette région de la souffrance dont l'intelligence et l'habileté peuvent toujours les faire sortir.

En outre, à l'exception de quelques milliers de familles entassées à Rouen, dans les quartiers les plus malsains de la ville, la plupart des fileurs et des tisserands de l'industrie cotonnière habitent la campagne, et, quoiqu'ils y reçoivent des salaires moins considérables, ils vivent d'une vie plus heureuse et plus régulière que les ouvriers des cités. On compte, dans le département de la Seine-Inférieure, environ cent dix mille ouvriers employés aux fabriques de rouennerie à métiers non réunis, et quarante mille seulement, un peu plus du tiers, en grands ateliers à métiers réunis. Le salaire des premiers ne s'élève qu'à 17 millions de francs, tandis que celui des autres atteint à peu près le chiffre de 23 millions. Ainsi les travailleurs de la campagne et du foyer domestique comptent soixante-dix mille personnes de plus que ceux de la ville et des métiers réunis, et ils touchent environ 6 millions de francs de moins par année. Les premiers ne se plaignent jamais, ne se révoltent jamais ; les autres sont toujours les premiers sur la brèche du désordre et de la sédition. Singularité plus remarquable encore ! dans les filatures, ce sont les fileurs les plus rétribués et les moins nombreux qui ont toujours le verbe haut et trop souvent la menace à la bouche; dans les tissages mécaniques, ce sont les pareurs, qui représentent à

peine le vingtième de la famille totale, et qui sont le mieux payés.

Mais il suffit de jeter un coup d'œil sur l'infinie variété des ouvriers de ces manufactures, pour reconnaître l'impossibilité de fixer les salaires autrement que d'un commun accord et sous le régime de la liberté la plus absolue des deux parts. Les fileurs, les cardeurs, les rattacheurs, les bobineurs, les encolleurs, les trameurs, les rotiers, lamiers, apprêteurs, et une foule d'autres qu'il serait trop long de citer, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, gagnant depuis 3 fr. par jour jusqu'à 50 centimes, ne seraient pas même payés également dans chaque catégorie, à l'aide d'un salaire qu'on croirait le même pour tous. Il y a des métiers qui marchent plus vite les uns que les autres, avec le même nombre de broches, et de manière qu'au bout de douze heures deux ouvriers filant le même numéro sur des chariots d'égale armature, auront produit une quantité de filés différente, selon la rapidité du moteur de chaque usine. Je puis citer un exemple bien remarquable de ces débats industriels.

Pendant ma tournée dans le département de la Seine-Inférieure, au plus fort de la crise, le préfet, désireux de mettre un terme aux contestations qui s'élevaient tous les jours entre ouvriers et patrons, avait constitué, sous le nom de jury d'appréciation, un tribunal arbitral composé de patrons et d'ouvriers en nombre égal, sous sa présidence. On y venait plaider de toutes parts, et les ouvriers ne tardaient pas à s'apercevoir eux-mêmes du peu de fondement de leurs préten tions. C'est ainsi qu'un jour, à la même audience, une députation d'entre eux vint réclamer une indemnité, parce que les métiers de leur usine, marchant trop lentement à leur gré, ne leur permettaient pas de gagner tout ce qu'ils auraient pu gagner par un renvidage plus prompt, tandis que les ouvriers d'une autre usine se plaignaient de la vélocité du moteur, qui les fatiguait par un renvidage trop rapide, et leur faisait pro

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