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L'archidiacre Anselme, qui avait eu le courage d'avertir son évêque du complot formé contre lui, osa, le lendemain même de la mort de Gaudri, parler d'inhumer son cadavre resté nu et couvert de boue. Les bourgeois, dont la vengeance était satisfaite, ne lui en voulurent aucun mal, et le laissèrent se charger seul de ces tristes funérailles. Anselme, aidé de ses domestiques, enleva le corps, le couvrit d'un drap, et le transporta hors de la ville, à l'église de SaintVincent. Une grande foule de peuple suivit le convoi; mais personne ne priait pour l'âme du mort, tous le maudissaient et l'injuriaient. Il ne se fit dans l'église aucune cérémonie religieuse, et le corps de l'évêque de Laon, l'un des princes du clergé de France, fut jeté dans la fosse, comme l'aurait été alors celui du plus vil mécréant'.

Ici se termine la première partie de l'histoire de la commune de Laon. Elle renferme, ainsi que vous aurez pu le remarquer, trois périodes bien distinctes. D'abord les sujets font, d'une manière pacifique, leurs demandes de liberté, et les possesseurs du pouvoir consentent à ces demandes avec une bonne grâce apparente. Ensuite les derniers se repentent d'avoir cédé; ils retirent leurs promesses, violent leurs serments, et détruisent les nouvelles institutions qu'ils avaient juré de maintenir. Alors se déchaînent les passions populaires excitées par le ressentiment de l'injustice, l'instinct de la vengeance et la terreur de

1. Delatus ad ecclesiam nihil prorsus officii, non dico quod episcopo, sed quod christiano competeret in exequiis habuit. (Guiberti de Novigent., de Vita sua, lib. III, apud ejusdem Opera omnia, ed. Luc d'Achery, p. 509, cap. x.)

l'avenir. Cette marche, qui est, nous le savons par expérience, celle des grandes révolutions, se retrouve d'une manière aussi précise dans le soulèvement d'une simple ville que dans celui d'une nation entière, parce qu'il s'agit d'intérêts et de passions qui, au fond, sont toujours les mêmes. Il y avait au douzième siècle, pour les changements politiques, la même loi qu'au dix-huitième, loi souveraine et absolue qui régira nos enfants comme elle nous a régis nous et nos pères. Tout l'avantage que nous avons sur nos devanciers, c'est de savoir mieux qu'eux où nous marchons, et quelles sont les vicissitudes, tristes ou heureuses, qu'amène le cours graduel et irrésistible du perfectionnement social.

LETTRE XVII

Suite de l'histoire de la commune de Laon

Lorsque les bourgeois de Laon eurent pleinement satisfait leur colère et leur vengeance, ils réfléchirent sur ce qui venait de se passer, et, regardant autour d'eux, ils éprouvèrent un sentiment de terreur et de découragement'. Tout entiers à l'idée du péril qui les menaçait, craignant de voir bientôt l'armée du roi campée au pied de leurs murailles, ils étaient

1. Perpensa igitur... cives perpetrati quantitate facinoris, magno extabuere metu, regium pertimescentes judicium... (Guiberti de Novigent., de Vita sua, lib. III, apud ejusdem Opera omnia, el. Luc d'Achery, p. 509, cap. XI.)

incapables de s'occuper d'autre chose que de leur sûreté commune. Dans les conseils tumultueux qui furent tenus pour délibérer sur cet objet, un avis prévalut sur tous les autres : c'était celui de faire alliance avec le seigneur de Marle, qui, moyennant une somme d'argent, pourrait mettre au service de la ville bon nombre de chevaliers et d'archers expérimentés 1.

Thomas de Marle, fils d'Enguerrand de Coucy, était le seigneur le plus redouté de la contrée, nonseulement par sa grande puissance, mais encore par son caractère violent jusqu'à la férocité. Le nom de son château de Crécy figurait dans une foule de récits populaires, où l'on parlait de marchands et de pèlerins mis aux fers, retenus dans des cachots humides et torturés de mille manières2. Que ces bruits fussent vrais ou faux, les bourgeois de Laon, dans la situation critique où ils se trouvaient, n'avaient pas le loisir de se décider d'après leur opinion sur ce point. Il leur fallait, à tout prix, un secours contre la puissance royale; et, parmi les seigneurs du pays, il n'y avait guère que Thomas de Marle sur lequel ils pussent compter, car ce seigneur était l'ennemi personnel de Louis le Gros. Il s'était ligué en 1108 avec Guy de Rochefort et plusieurs autres, pour empêcher le roi d'être sacré à Reims. Les bourgeois de

1. Thomam, Codiciacensis filium, cui erat castellum Marla, præsidium ad sui contra regios impetus defensionem accersire disponunt. (Guiberti de Novigent., de Vita sua, lib. III, apud ejusdem Opera omnia, ed. Luc d'Achery, p. 509, cap. XI.)

2. Dici ab ullo non potest quot in ejus carceribus fame, tabo, cruciatibus, et in ejus vinculis expirarunt. (Ibid., p. 510.)

Laon envoyèrent donc des députés au château de Crécy pour parler au seigneur de Marle, et l'inviter à venir, dans la ville, conclure un traité d'alliance avec les magistrats de la commune 1. Son entrée à cheval, et en armure complète, au milieu de ses chevaliers et de ses sergents d'armes, fut pour les citoyens de Laon un grand sujet de joie et d'espoir. Lorsque les chefs de la commune eurent adressé leurs propositions à Thomas de Marle, celui-ci demanda à en délibérer séparément avec les siens; tous furent d'avis que ses troupes n'étaient pas assez nombreuses pour tenir dans la place contre la puissance du roi. Cette réponse était dure à donner. Thomas craignit qu'elle n'excitât le ressentiment des bourgeois et qu'ils ne voulussent le retenir de force pour lui faire partager, bon gré mal gré, les chances de leur rébellion 2. Il s'arrangea donc pour ne rien dire de positif tant qu'il demeurerait dans la ville; et, de retour à son château, il donna un rendez-vous aux principaux bourgeois, dans une grande plaine, à quelque distance de Laon. Lorsqu'ils y furent réunis, Thomas de Marle prit la parole en ces termes : «< Laon « est la tête du royaume; c'est une ville que je ne <«< puis tenir contre le roi. Si vous redoutez la puis«sance royale, suivez-moi dans ma seigneurie; je « vous y défendrai selon mon pouvoir, comme un « patron et un ami. Voyez donc si vous voulez m'y

1. Ad hunc... dirigentes ut ad se veniret, seque contra regem tueretur orantes... (Guiberti de Novigent., de Vita sua, lib. III, apud ejusdem Opera omnia, ed. Luc d'Achery, p. 510.)

...

2. Quod oraculum insanis hominibus quandiu in sua ipsorum urbe erat propalare non ausus... (Ibid.)

<< suivre1. » Ces paroles jetèrent la consternation parmi les bourgeois de Laon; mais comme ils désespéraient de leurs seules forces et n'apercevaient aucun moyen de salut, le plus grand nombre abandonna la ville, et se rendit soit au château de Crécy, soit au bourg de Nogent, près de Coucy. Le bruit se répandit bientôt, parmi les habitants et les serfs des campagnes voisines, que les citoyens de Laon s'étaient enfuis hors de leur ville et l'avaient laissée sans défense. C'en fut assez pour les attirer en masse par l'espoir du butin. Durant plusieurs jours, les gens de Montaigu, de Pierrepont et de la Fère vinrent par bandes piller les maisons désertes et enlever tout ce qui s'y trouvait. Le sire de Coucy amena luimême à ce pillage ses paysans et ses vassaux: «Bien « que arrivés les derniers, dit un contemporain, ils << trouvèrent presque autant de choses à prendre que « si personne ne fût venu avant eux 3. »

Pendant que ces étrangers dévastaient la ville, les partisans de l'évêque, sortis de prison, ou revenus des lieux où ils s'étaient réfugiés, commencèrent à exercer leur vengeance sur les bourgeois qui n'avaient pas eu le temps ou la volonté de s'enfuir. Les nobles, à leur tour, commirent contre les gens du peuple des cruautés semblables à celles que ces derniers avaient commises contre eux. Ils les assaillirent

1. « Civitas hæc quum caput regni sit, non potest contra regem a me teneri.» (Guiberti de Novigent., de Vita sua, lib. III, apud ejus'dem Opera omnia, ed. Luc d'Achery, p. 510.)

2. Tunc quique pagenses ad solitariam proruunt civitatem... (Ibid.) 3. Quum nostri recentiores tardius advenissent, munda omnia, et quasi illibata se reperisse jactaverint. (Ibid.)

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