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cher dans les livres d'histoire des preuves et des arguments à l'appui de mes croyances politiques. En me livrant à ce travail avec toute l'ardeur de la jeunesse, je m'aperçus bientôt que l'histoire me plaisait pour elle-même, comme tableau du temps passé, et indépendamment des inductions que j'en tirais pour le présent. Sans cesser de subordonner les faits à l'usage que j'en voulais faire, je les observais avec curiosité, même lorsqu'ils ne prouvaient rien pour la cause que j'espérais servir, et toutes les fois qu'un personnage ou un événement du moyen âge me présentait un peu de vie ou de couleur locale, je ressentais une émotion involontaire. Cette épreuve, souvent répétée, ne tarda pas à bouleverser mes idées en littérature. Insensiblement je quittai les livres modernes pour les vieux livres, les histoires pour les chroniques, et je crus entrevoir la vérité étouffée sous les formules de convention et le style pompeux de nos écrivains. Je tâchai d'effacer de mon esprit tout ce qu'ils m'avaient enseigné, et j'entrai, pour ainsi dire, en rébellion contre mes maîtres. Plus le renom et le crédit d'un auteur étaient grands, plus je m'indignais de l'avoir cru sur parole et de voir qu'une foule de personnes croyaient et étaient trompées comme moi. C'est dans cette disposition que, durant les derniers mois de 1820, j'adressai au rédacteur du Courrier français les dix Lettres dont j'ai parlé plus haut.

Les Histoires de Velly et d'Anquetil passaient alors pour trèsinstructives; et lorsqu'on voulait parler d'un ouvrage fort, on citait les Observations de Mably ou l'Abrégé de Thouret. L'His toire des Français par M. de Sismondi, les Essais sur l'Histoir de France par M. Guizot, l'Histoire des ducs de Bourgogne pai M. de Barante, n'avaient point encore paru. J'étais donc fonde à dire que nos historiens modernes présentaient sous le jour le plus faux les événements du moyen âge. C'est ce que je fis avec

ur. zèle dont quelques personnes m'ont su gré, et qui a sauvé d'un entier oubli des essais de critique et d'histoire perdus, en quelque sorte, dans les colonnes d'un journal. Ces détails m'étaient nécessaires pour expliquer mon silence sur des ouvrages qui marquent une véritable révolution dans la manière d'écrire l'histoire de France. M. de Sismondi pour la science des faits, M. Guizɔt pour l'étendue et la finesse des aperçus, M. de Barante pour la vérité du récit, ont ouvert une nouvelle route1; ce qu'il y a de mieux à faire, c'est d'y marcher à leur suite. Mais, comme les idées neuves ont à vaincre, pour se faire jour, la ténacité des habitudes, et qu'en librairie, comme en tout autre commerce, les objets d'ancienne fabrique ont pour longtemps un débit assuré, il n'est peut-être pas inutile d'attaquer de front la fausse science, même lorsque la véritable s'élève et commence à rallier autour d'elle les penseurs et les esprits droits.

Il ne faut pas se dissimuler que, pour ce qui regarde la partie de l'histoire de France antérieure au dix-septième siècle, la conviction publique, si je puis m'exprimer ainsi, a besoin d'être renouvelée à fond. Les différentes opinions dont elle se compose sont ou radicalement fausses ou entachées de quelques faussetés. Par exemple, est-il un axiome géométrique plus généralement admis que ces deux propositions: Clovis a fondé la monarchie française; Louis le Gros a affranchi les communes? Pourtant ni l'une ni l'autre ne peuvent se soutenir en présence des faits tels qu'ils ressortent des témoignages contemporains. Mais ce qui est

1. Dans l'énumération des travaux qui ont marqué le commencement de la réforme historique, il serait injuste de ne pas citer deux Mémoires de M. Naudet, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, sur l'état social de la Gaule dans les siècles qui suivirent la conquête. Ces morceaux, très-étendus, se distinguent par une critique à la fois plus ferme et plus iarge que celle des savants du siècle dernier, par une rare intelligence de l'épe que et par l'absence de toute préoccupation politique.

imprimé dans tant de livres, ce que tant de professeurs enseignent, ce que tant de disciples répètent, obtient force de loi et prévaut contre les faits eux-mêmes. Instruit de ce qu'il m'en a coûté de peine pour refaire, seul et sans guide, mon éducation historique, je me propose de faciliter ce travail à ceux qui voudront l'entreprendre et remplacer par un peu de vrai les niaiseries du collége1 et les préjugés du monde. A ces préjugés, nés du défaut d'études fortes et consciencieuses, j'oppose les textes originaux et cette expérience de la vie politique qui est un des priviléges de notre époque si remplie de grands événements. Que tout homme de sens, au lieu de se payer des abstractions monarchiques ou républicaines des écrivains de l'ancien régime, recueille ses propres souvenirs et s'en serve pour contrôler ce qu'il a lu ou entendu dire sur les événements d'autrefois, il ne tardera pas à sentir quelque chose de vivant sous la poussière du temps passé. Car il n'est personne parmi nous, hommes du dix-neuvième siècle, qui n'en sache plus que Velly ou Mably, plus que Voltaire lui-même, sur les rébellions et les conquêtes, le démembrement des empires, la chute et la restauration des dynasties, jes révolutions démocratiques et les réactions en sens contraire.

Il me reste à parler de la méthode que j'ai suivie dans la composition de ces Lettres. La plupart sont des dissertations entremêlées de récits et de fragments des historiens originaux. Tel événement particulier dont le caractère fut longtemps méconnu, présenté sous son véritable aspect, peut éclairer d'un jour nou veau l'histoire de plusieurs siècles. Aussi ai-je préféré ce genre de preuve à tout autre, lorsqu'il m'a été possible d'y recourir. Dans les matières historiques la méthode d'exposition est tou

1. Cette expression, malheureusement juste pour le temps où les hommes de mon åge ont fait leurs premières études, ne s'applique point à l'enseignement actuel.

jours la plus sûre, et ce n'est pas sans danger pour la vérité qu'on y introduit les subtilités de l'argumentation logique. C'est pour me conformer à ce principe que j'ai insisté avec tant de détails sur l'histoire politique de quelques villes de France. Je voulais mettre en évidence le caractère démocratique de l'établissement des communes, et j'ai pensé que j'y réussirais mieux en quittant la dissertation pour le récit, en m'effaçant moi-même et en laissant parler les faits. L'insurrection de Laon et les guerres civiles de Reims, naïvement racontées, en diront plus qu'une théorie savante sur l'origine de ce tiers état, que bien des gens croient sorti de dessous terre en 1789. Si, durant deux siècles, préférant la paix à tout autre bien, il a semblé dormir et s'est fait oublier, son entrée sur le théâtre des événements politiques Cappelle les scènes d'énergie, de patriotisme et de violence où il s'est signalé de nos jours. Peut-être l'histoire n'a-t-elle rien à faire dans le débat des opinions et la lutte des intérêts modernes; mais si l'on persiste à l'y introduire, comme on le fait journellement, on peut en tirer une grande leçon : c'est qu'en France personne n'est l'affranchi de personne, qu'il n'y a point chez nous de droit de fraîche date, et que la génération présente doit tous les siens au courage des générations qui l'ont précédée.

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