Voyez le tableau lugubre que les saints docteurs nous ont laissé de ce lieu de supplice! « Plus les pé«chés seront accumulés, plus sera long le pénible séjour dans ce feu vengeur: ces flammes intelligentes «<et sagement cruelles s'acharneront sur le coupable << en raison de la gravité de ses fautes, et sauront pro«< portionner le châtiment à la malice du péché. » Vous dites qu'il vous suffit d'éviter l'enfer, que vous vous résignerez assez volontiers à passer par le purgatoire. Saint Césaire d'Arles, saint Grégoire le Grand, qui avaient probablement autant de lumières que vous, et qui avaient sans doute réfléchi un peu plus mûrement à toutes les vérités de la foi, ne pensaient pas de la sorte; ils redoutaient extrêmement le purgatoire. « Quelqu'un dira peut-être, remarquait le premier : « Je me soucie peu du temps que je passerai en pur« gatoire, pourvu que je parvienne à la vie éternelle. << Mais à Dieu ne plaise que l'on raisonne de la sorte! << Tous les tourments de cette vie ne peuvent être <«< comparés avec le feu du purgatoire. Et qui sait << d'ailleurs combien il y restera de jours, de mois, << d'années? On craindrait de mettre son doigt dans le << feu : comment ne craindrait-on pas d'être enseveli << un temps considérable dans des flammes dévoran«< tes.» « Ah! disait saint Grégoire, non-seulement je « désire de toute l'ardeur de mon âme que Dieu dans << sa fureur ne me frappe pas d'une condamnation <«< éternelle; mais je tremble encore d'être purifié dans << ces flammes passagères que sa colère a allumées pour « un temps, parce que j'estime ce feu qui doit finir << plus intolérable que toutes les tribulations de cette << vie. >>> Telle est l'idée que les saints docteurs ont toujours eue du purgatoire. Ils nous peignent les supplices qu'on y endure sous des couleurs aussi sombres, aussi effrayantes que celles qu'ils emploient pour nous retracer les tortures de l'enfer : même genre de supplice, même intensité de douleur! C'est du feu! toujours du feu! La différence ne se trouve que dans la durée. Les fers des damnés sont rivés à toujours! Ce mot terrible, éternité! tracé en caractères de feu scintille lugubrement de toutes parts aux yeux des réprouvés! — Pour soulagement à leurs maux, les âmes souffrantes en purgatoire savent que leurs chaînes tomberont, que leurs noirs cachots s'ouvriront un jour. Le farou che désespoir trône dans l'enfer, le remplit de hurlements, d'imprécations et de rage! - La douce espérance, au contraire, console le purgatoire. On n'y entend que les soupirs de l'amour qui s'épure et les aspirations plaintives de l'attente. Cet avenir meilleur, cette certitude enfin de leur salut doit sans doute adoucir la souffrance de ces âmes, mais elle n'en change pas la nature. Nous pouvons même nous étonner, avec Bossuet, que la douleur puisse se trouver dans une âme avec l'assurance du bonheur, et nous écrier avec lui : « O Dieu, quel arti«fice de votre main puissante et de votre profonde << sagesse de savoir faire trouver des douleurs extrêmes « dans un fond où est votre paix et la certitude de « vous posséder! Qui sera le sage qui entendra cette << merveille? Pour moi, je n'en ai qu'un léger soup Mais enfin plus ces purifications sont inouïes et inexplicables, plus elles sont contre nature dans des âmes dues au ciel, plus elles doivent être épouvantables. C'est parce qu'elle redoute pour nous les souffrances inénarrables du purgatoire que l'Église, dans les anciens temps, imposait aux pécheurs ces pénitences sévères dont on va parler dans le chapitre suivant. En agissant avec cette rigueur, elle ne croyait pas demander au delà de ce que Dieu était en droit d'exiger, ni se montrer cruelle envers ses enfants. Au contraire, c'était sa tendresse maternelle qui s'armait de sévérité; car, sachant que les satisfactions les plus pénibles de cette vie ne sont pas à comparer aux souffrances du purgatoire, elle voulait à tout prix arracher ses enfants à ces formidables expiations de la vie future (1). Quand on a entendu des hommes qui furent les lumières de l'Église, des hommes qui avaient approfondi toutes les vérités de la religion, avouer hautement la terreur que leur causent les souffrances du purgatoire; quand on les a vus nous en faire le plus sinistre tableau, que penser de ces chrétiens sans science qui regardent ces mêmes peines comme rien, comme peu de chose, qui en parlent sur le ton de l'indifférence? Comment qualifier cette préférence téméraire qu'ils affichent pour cette manière de s'acquitter avec Dieu? Ne rendent-ils pas leur foi suspecte? Ne donnent-ils pas à penser qu'ils ne croient ni à l'efficace des satisfactions de cette vie, ni à la vertu des indulgences accordées pour les suppléer? Leur conduite irait même jusqu'à faire soupçonner la pureté de leur foi relativement à la vérité des satisfactions de l'autre vie. Mais ils font certainement douter de leur amour pour Dieu; car un cœur qui aime cherche tout (1) Le purgatoire durera jusqu'à la fin des temps. Alors il cessera d'exister. Il n'y aura plus que la béatitude ou la damnation, le ciel ou l'enfer! ce qui peut hater le moment qui doit le réunir à l'objet aimé. « L'amour de Dieu nous fait embrasser avec « ardeur tout ce qui avance pour nous sa possession. « Il nous fait gémir de la longueur de notre exil, et « souffrir avec impatience tout ce qui en éloigne le << terme; il forme dans nos cœurs ce désir, que nous « exprimons tous les jours dans nos prières, de voir « arriver son règne, et nous fait éviter tout ce qui « pourrait en retarder pour nous l'avénement. Le « mème mouvement qui nous porte à satisfaire à la « justice de Dieu nous fait envisager tout ce qui « facilite ou abrège cette satisfaction comme une voie «qui nous rapproche de lui. Le plus pur amour peut « bien renoncer aux consolations, mais jamais aux « secours d'en haut; et la joie de porter le poids de la a colère du Seigneur, parce que nous avons péché « contre lui, doit être jointe au désir d'être conduits « par lui des ténèbres à la lumière et de contempler asa justice (1). » Si donc vous repoussez les moyens de satisfaire plus vite à sa justice, c'est que vous ne tenez que médiocrement à vous réunir à Dieu. En conséquence « défiez-vous d'un sentiment si contraire « à ceux qu'inspire la véritable charité; apaisez la « majesté de Dieu par des œuvres de pénitence, sans « crainte de profiter des remises que sa miséricorde « vous offre. CHAPITRE VIII. Pénitence canonique. §I. L'Eglise juge des consciences. Dans le sacrement de pénitence, J.-C. a établi l'Église juge des (1) M. de la Parisière. consciences. En cette qualité, elle doit prendre en main les intérêts de la justice divine. C'est pourquoi lorsqu'un pécheur recourt à sa médiation pour se réconcilier avec Dieu, elle commence par instruire la cause dont elle doit connaître. Elle interroge la conscience, ce témoin à charge et à décharge. Elle examine sous toutes leurs faces les délits soumis à son jugement; elle pèse les circonstances atténuantes ou aggravantes; elle cherche à pénétrer les dispositions secrètes du délinquant. Ce n'est qu'après tous ces préliminaires qu'elle rend ses arrêts. Alors elle absout ou condamne, lie ou délie, retient ou remet. Mais quelle que soit la sentence prononcée, l'Église doit appliquer une pénalité proportionnée au délit. C'est un pouvoir qu'elle a reçu avec celui d'absoudre. Le premier est une conséquence du second; il en est inséparable. Un juge qui ne pourrait pas punir ne serait juge qu'à demi, sa puissance serait incomplète. L'Église a donc le droit d'imposer des expiations. Il y a plus, c'est pour elle un devoir. Si elle ne le faisait pas, elle manquerait à ce devoir; mais les pécheurs n'y gagneraient rien, car la justice divine ne se dessaisirait pas pour cela de ses droits. Dieu se chargerait de les faire valoir dans l'autre vie. Aussi, fidèle dispensatrice des mystères de J.-C., l'Église n'avait garde de manquer à un devoir qui importe autant à la gloire de Dieu qu'au bonheur des pénitents. Elle a donc dans tous les temps exercé ce droit d'imposer des pénitences. Seulement autrefois l'imposition des pénitences n'était pas laissée à la libre appréciation de chaque confesseur. Afin qu'il y eût une discipline plus uniforme et plus certaine, on avait dressé des règles, ou canons, qui déterminaient les |