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Partout il reconnaît le fruit de ses travaux :
Il sécha ces marais, il creusa ces canaux;
Il défricha ces bois et ce coteau sauvage:
On lui doit cette source, il planta ce bocage;
A chaque pas qu'il fait, un souvenir flatteur
Rafraîchit sa pensée et rajeunit son cœur.
Ainsi jouit le sage; et si, dans sa carrière,
Il n'a pas fait toujours tout le bien qu'il put faire,
Sa touchante douleur est celle de Titus,

Et ses nobles regrets sont encor des vertus.

Dans mes leçons encor je voudrais vous apprendre Quels dangers doivent fuir, et quels soins doivent prendre Les hommes rassemblés dans ce monde trompeur, Où chacun fait son rêve et poursuit sa vapeur, Où tant de faux amis, d'une apparence vaine, Masquent l'indifférence et quelquefois la haine. Là, dans un double excès vient tomber la Raison. D'un côté, sur ses pas conduisant le Soupçon, Qui, de son inquiète et timide paupière, Semble fuir à la fois et chercher la lumière, Voyant partout un piège, et partout un danger, Tel qu'un lâche espion sur un sol étranger, Marche, d'un pas craintif, la, triste défiance: De l'autre, la crédule et fausse Imprévoyance

Erre dans ce dédale et sans guide et sans fil,
S'endort tranquillement à côté du péril,

T

Et, d'un sommeil trompeur, indolente victime,
Tombe, et va, mais trop tard, s'éveiller dans l'abîme.
Entre les deux excès quel guide est le plus sûr?.
'Ah! c'est l'heureux instinct d'un sens droit, d'un cœur pur,
Qui, dans ce grand chaos des passions humaines,
Des vices, des vertus, des plaisirs et des peines,
Pour les aimer toujours, choisissant ses liens,
Sait écarter les maux, sait distinguer les biens;
Qui, sans se faire craindre, et sans craindre lui-même,
Évite ce qu'il hait, s'attache à ce qu'il aime;
Qui, tendre et réservé, confiant et discret,
Sait donner à propos, et garder son secret.
Ainsi la fleur timide, et lente à se produire,
Se ferme au noir Borée, et s'ouvre au doux Zéphire.
Il ne veut ni fouiller dans le secret des cœurs,
Ni se laisser surprendre à des dehors trompeurs,
Connaît les passions, les plaint, et leur pardonne,
Au doux besoin d'aimer sagement s'abandonne,
Fuit le tourment affreux de haïr ses amis,

Et dans les méchants seuls veut voir ses ennemis.
Ah! qui ne sait combien, dans ses sombres caprices,
L'extrême défiance est féconde en supplices;

C'est elle qui, régnant dans les cœurs soupçonneux,
Corrompt tous les plaisirs, relâche tous les nœuds,
Fait de la vie entière une route épineuse,
Rend le bonheur craintif et l'amitié douteuse.
A la cour d'un tyran regardez Damoclès :
En vain de chants flatteurs résonne le palais,
En vain sur une table, en délices féconde,
Tous les tributs de l'air, de la terre et de l'onde,
Se montrent réunis; pâle, et tout effrayé
De cette menaçante et sinistre amitié,

De

Il effleure, en tremblant, de ses lèvres livides,
ces mets affadis les douceurs insipides,
Vers les lambris dorés lève un œil éperdu,
Et voit le fer mortel sur son front suspendu.
Telle est la Défiance au banquet de la vie.
Que dis-je? son poison en corrompt l'ambroisie:,
Elle-même contre elle aiguise le poignard,
Donne aux ombres un corps, un projet au hasard;
Charge un mot innocent d'un crime imaginaire,
Et s'effraie à plaisir de sa propre chimère :

Ainsi dans leurs forêts les crédules humains

Craignaient ces dieux affreux qu'avaient forgés leurs mains.
Quel besoin plus pressant nous donna la nature,
Que de communiquer les chagrins qu'on endure,

De faire partager sa joie et sa douleur,
Et dans un cœur ami de répandre son cœur?
Toi seul, triste martyr de ta sombre prudence,
Toi seul ne connais pas la douce confidence:
En vain de ton secret tu te sens oppresser,
Au sein de quels amis l'oseras-tu verser?
Des amis Crains d'aimer; les plus purs délices
Dans ton cœur soupçonneux se changent en supplices!
Des plus mortels poisons l'abeille fait son miel:
Toi, des plus doux objets tu composes ton fiel;
Ton cœur dans l'amitié prévoit déjà la haine :
De

soupçons en soupçons l'amour jaloux se traîne. Un génie ennemi brise tous tes liens;

Tu n'as plus de parents ni de concitoyens :
Te voilà seul, va, fuis loin des races vivantes,
Habite avec les rocs, les arbres et les plantes,
Dans quelque coin désert, dans quelque horrible lieu,
Où tu ne pourras plus calomnier que Dieu.
Mais à voir les humains tu ne dois plus prétendre,
Tu ne dois plus les voir, ne dois plus les entendre.

Ton ame morte à tout ne vit que par l'effroi :
Les morts sont aux vivans moins étrangers que toi:
Le

regret les unit; et toi, tout t'en sépare.

Hélas! il le connut ce tourment si bizarre

L'écrivain qui nous fit entendre tour à tour
La voix de la raison et celle de l'amour.
Quel sublime talent! quelle haute sagesse!
Mais combien d'injustice! et combien de faiblesse!
La Crainte le reçut au sortir du berceau,

La Crainte le suivra jusqu'aux bords du tombeau.
Vous, qui de ses écrits savez goûter les charmes,
Vous tous, qui lui devez des leçons et des larmes,
Pour prix de ses leçons et de ses pleurs si doux,
Cœurs sensibles, venez, je le confie à vous.
Il n'est pas importun: plein de sa défiance,
Rarement des mortels il souffre la présence;
Ami des champs, ami des asiles secrets
Sa triste indépendance habite les forêts.
Là haut sur la colline il est assis peut-être (5
Pour saisir, le premier, le rayon qui va naître;
Peut-être au bord des eaux, par ses rêves conduit,
De leur chute écumante il écoute le bruit;
Ou, fier d'être ignoré, d'échapper à sa gloire,
Du pâtre qui raconte il écoute l'histoire :

Il écoute et s'enfuit; et, sans soins, sans desirs,
Cache aux hommes, qu'il craint, ses sauvages plaisirs,
Mais, s'il se montre à vous, au nom de la nature,
Dont sa plume éloquente a tracé la peinture,

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