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répondit qu'elle étoit sœur de Théagène, qui avoit combattu contre Philippe pour la liberté de la Grèce, et qui avoit été tué à la bataille de Cheronée, où il commandoit. Alexandre admira la réponse généreuse de cette dame, et encore plus l'action qu'elle avoit faite, et commanda qu'on la laissât aller où elle voudroit avec ses enfans.

Alexandre alors délibéra dans son conseil sur le parti qu'il falloit prendre à l'égard de Thèbes. Les Phocéens, et ceux de Platée, de Thespies, d'Orchomène, qui étoient alliés d'Alexandre, et avoient eu part à la victoire, représentèrent la manière cruelle dont les Thébains avoient traité et détruit leurs villes, et leur reprochèrent le zèle constant qu'ils avoient témoigné dans tous les temps pour les Perses contre l'intérêt des Grecs, dont ils étoient devenus l'horreur et l'exécration; et la preuve en étoit que tous s'étoient engagés par serment à détruire Thèbes quand on auroit vaincu les Perses.

Cléade, l'un des prisonniers, ayant eu permission de parler, essaya d'excuser en partie la rébellion des Thebains; faute, selon lui, qu'on devoit plutôt imputer à une crédule et téméraire imprudence qu'à une mauvaise volonté et à une perfidie déclarée. Il remontra que, sur le faux bruit de la mort d'Alexandre, saisi avec trop d'avidité, ils s'étoient révoltés, non contre le roi, mais contre ses successeurs : que, quelle que fût leur faute, ils en avoient été rigoureusement punis par les maux extrêmes qu'ils /avoient soufferts: qu'il ne restoit dans la ville qu'une foible troupe de femmes, d'enfans et de vieillards, dont on n'avoit rien à craindre, et qui étoit d'autant plus digne de compassion, qu'elle n'avoit point eu de part à la révolte. Il finissoit en faisant ressouvenir Alexandre que Thèbes, qui avoit donné naissance à tant de dieux et à tant de héros, dont il comptoit plusieurs au nombre de ses ancêtres, avoit été aussi le berceau de la gloire naissante de Philippe son père, et lui avoit tenu lieu comme d'une seconde patrie.

Ces motifs étoient puissans, mais la colère du vainqueur prévalnt, et la ville fut détruite. Il conserva la li

berté aux prêtres, à tous ceux qui avoient droit d'hospitalité avec les Macédoniens, aux descendans de Pindare, célèbre poëte, qui avoit fait tant d'honneur à la Grèce, et à ceux qui s'étoient opposés à la rébellion, et vendit tous les autres, dont le nombre monta environ à trente mille; et il y avoit eu un peu plus de six mille hommes tués dans le combat. Le désastre de Thèbes toucha vivement les Athéniens, de sorte qu'étant sur le point de célébrer la fête des grands mystères, ils y renoncèrent à cause du grand deuil où ils étoient, et reçurent avec toute sorte d'humanité tous ceux qui, s'étant sauvés de la bataille et du sac de Thèbes, s'étoient réfugiés dans leur ville.

La prompte arrivée d'Alexandre dans la Grèce avoit bien rabattu de la fierté des Athéniens, et avoit amorti tout à coup la véhémence de Démosthène. La ruine de Thèbes, encore plus prompte, acheva de les consternér. Ils eurent recours aux prières, et députèrent vers Alexandre pour implorer sa clémence. Démosthène étoit du nombre des députés; mais il ne fut pas plus tôt arrivé au mont Cythéron, que, redoutant la colère de ce prince, il s'en retourna, et abandonna l'ambassade.

Incontinent Alexandre envoie à Athènes demander qu'on lui livre dix des orateurs, qu'il regardoit conime auteurs de la ligue que son père avoit vaincue à Chéronée. Ce fut en cette occasion que Démosthène conta au peuple la fable des loups et des chiens, dans laquelle on suppose que les loups demandèrent un jour aux brebis que, pour avoir la paix avec eux, elles leur livrassent les chiens qui les gardoient. L'application étoit aisée et naturelle, surtout par rapport aux orateurs, justement comparés aux chiens, dont le devoir est de veiller, d'aboyer, et de combattre pour sauver le troupeau.

Dans l'extrême embarras où se trouvoient les Athéniens, qui ne pouvoient se résoudre à livrer eux-mêmes à la mort leurs orateurs, et qui n'avoient cependant d'autre ressource pour sauver leur ville, Démade, qu'Alexandre honoroit de son amitié, offrit de se charger seul de l'ambassade, et d'aller intercéder pour eux. Le prince, soit

qu'il fût rassasié de vengeance, soit qu'il cherchât à effacer, s'il étoit possible, par un acte de douceur, l'action atroce et barbare qu'il venoit de faire; ou plutôt voulant lever les obstacles qui pouvoient retarder son grand dessein, et ne laisser en son absence ni sujet ni prétexte de. mécontentement, se relâcha sur la demande qu'il avoit faite des orateurs, et se contenta du bannissement de Caridème, qui, étant * Oritain de naissance, avoit mérité *Orée, ville par ses services le droit de bourgeoisie dans Athènes. Il étoit gendre de Chersoblepte, roi de Thrace. Il avoit appris le métier de la guerre sous Iphicrate, et avoit commandé plusieurs fois les armées des Athéniens. Poursuivi par Alexandre, il se réfugia chez le roi de Perse.

Pour ce qui regarde les Athéniens, non-seulement il leur remit tous les sujets de plainte qu'il avoit contre eux, mais encore leur témoigna une bonté particulière, les exhortant à s'appliquer fortement aux affaires, et à avoir l'œil à tout ce qui se passeroit, parce que, s'il venoit à manquer, c'étoit leur ville qui devoit donner la loi à toute la Grèce. On dit que, long-temps après cette expédition, le malheur des Thébains lui causa de cuisans repentirs, et que cette pensée le rendit plus doux et plus humain envers beaucoup d'autres.

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Un tel exemple de sévérité exercée contre une ville aussi puissante que Thèbes répandit dans toute la Grèce la ter¬ reur de ses armes, qui fit tout plier devant lui. Il convoqua à Corinthe une diète de tous les états et de toutes les villes libres de la Grèce, pour se faire donner le même commandement en chef contre la Perse, qui avoit été accordé à son père un peu avant sa mort. Jamais diète ne fournit une plus magnifique matière de délibération. C'est l'Occident qui délibère sur la ruine de l'Orient, et sur les moyens d'exécuter une vengeance suspendue depuis plus d'un siècle. L'assemblée qui se tient ici va donner lieu à des événemens dont le récit étonne et paroît presque in

Plutarque place ici cette diète. D'autres la placent plutôt : ce qui a

TOM. IV. HIST. ANC.

donné lieu à M. Prideaux de supposer
qu'elle fut convoquée deux fois.

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d'Eubée.

croyable, et à des révolutions qui feront changer la face de presque tout le monde.

Pour former un tel dessein, il falloit un prince hardi, entreprenant, aguerri, qui eût de grandes vues, qui se fût déjà fait un grand nom par ses exploits, qui ne fût ni intimidé par les périls, ni arrêté par les obstacles, mais surtout, qui réunît sous son autorité tous les états de la Grèce, dont aucun séparément n'étoit capable d'une entreprise si hardie, et qui avoit besoin, pour agir de concert, d'être soumis à un seul chef qui mît en mouvement toutes les parties de ce grand corps, en les faisant toutes concourir à un même but et à une même fin. Or Alexandre étoit ce prince. Il ne lui fut pas difficile de rallumer dans l'esprit des peuples la haine ancienne contre les Perses, leurs ennemis perpétuels et irréconciliables, dont ils avoient juré plus d'une fois la perte, et qu'ils étoient bien résolus de détruire, si jamais l'occasion s'en présentoit: haine à laquelle le dissensions domestiques avoient bien pu donner comme une trève, mais qu'elles n'avoient point éteinte. La glorieuse retraite des dix mille Grecs, malgré l'opposition de l'armée nombreuse des Perses, la terreur qu'Agésilas, avec une poignée de soldats, avoit jetée jusque dans Suse, faisoient voir clairement ce qu'on devoit attendre d'une armée composée de l'élite des troupes de toutes les villes de la Grèce et de celle de Macédoine, commandée par des généraux et des officiers que Philippe avoit formés, et, pour tout dire, qui avoit Alexandre pour chef. On n'hésita donc point dans la diète, et d'un commun accord il y fut nommé généralissime contre les Perses.

Aussitôt plusieurs officiers et gouverneurs de villes, et plusieurs philosophes se rendirent auprès de lui pour le congratuler sur cette élection. Il se flattoit que Diogène de Sinope, qui étoit alors à Corinthe, y viendroit comme les autres. Ce philosophe, qui faisoit peu de cas des grandeurs, croyoit que ce n'étoit pas le temps d'aller féliciter les hommes quand ils viennent d'être élevés à quelque haute place, mais qu'il faut attendre qu'ils en aient di

gnement rempli les devoirs. Il ne sortit donc point de chez lui. Alexandre alla lui-même avec toute sa cour pour le voir. Il étoit alors couché au soleil; mais, voyant approcher cette foule de gens, il se mit en son séant, et attacha sa vue sur Alexandre. Ce prince, étonné de voir un philosophe d'une si grande réputation réduit à une entière indigence, après l'avoir salué très-gracieusement, lui demanda s'il n'avoit pas besoin de quelque chose. Oui, lui répondit Diogène, c'est que tu t'ôtes un peu de mon soleil. Cette réponse excita le mépris et l'indignation des courtisans. Mais le roi, frappé d'une telle grandeur d'âme, si je n'étois Alexandre, dit-il, je voudrois être Diogène. Ce mot cache un sens profond, et découvre parfaitement le fond du cœur humain. Alexandre sent qu'il est fait pour tout avoir : voilà sa destinée, et en quoi il met son bonheur. Mais, s'il ne pouvoit parvenir à ce but, il sent aussi que, pour être heureux, il faudroit s'étudier à se passer de tout. En un mot, tout ou rien, c'est Alexandre et Diogène. Quelque grand et quelque puissant que se crût ce prince, il dut ici se reconnoître inférieur à un homme, à qui il ne pouvoit ni rien donner, ni rien ôter.

Avant que de partir pour l'Asie, il voulut consulter Apollon sur cette guerre. Il alla donc à Delphes; mais il arriva par hasard que c'étoit pendant les jours qu'on appelle malheureux, dans lesquels il n'étoit pas permis de consulter l'oracle, et la prêtresse refusoit de se rendre au temple. Alexandre, qui ne pouvoit souffrir de résistance à ses volontés, l'ayant prise brusquement par le bras, et la conduisant au temple, elle s'écria: O mon fils, on ne te vixyros peut résister. Il n'en demanda pas davantage, et saisissant. cette parole, qui lui tenoit lieu d'oracle, il prit le chemin de la Macédoine, pour se préparer à sa grande expédition.

Je mettrai ici sous un même point de vue une suite abrégée des pays qu'Alexandre a parcourus jusqu'à son retour de l'Inde.

'Homo supra mensuram humanæ superbiæ tumens vidit aliquem,

cui nec dare quidquam posset, nec
eripere. Senec. de benef. lib. 5, cap. 6.

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