صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

Virgile était fait pour l'orner de toutes les grâces de la nature, si, au lieu de mettre ses bergers à sa place, il se fût mis lui-même à la place de ses bergers. Mais comme presque toutes ses égloques sont allégoriques, le fond perce à travers le voile et en altère les couleurs. A l'ombre des hêtres on entend parler de calamités publiques, d'usurpation, de servitude: les idées de tranquillité, de liberté, d'innocence, d'égalité, disparaissent; et avec elles s'évanouit cette douce illusion qui, dans le dessein du poëte, devait faire le charme de ses pastorales.

[ocr errors]

Il imagina des dialogues allégoriques entre des bergers, afin de rendre ses pastorales plus intéressantes,» a dit l'un des traducteurs de Virgile. Mais ne confondons pas l'intérêt relatif et passager des allusions, avec l'intérêt essentiel et durable de la chose. Il arrive quelquefois que ce qui a produit l'un pour un temps, nuit dans tous les temps à l'autre. Il ne faut pas douter, par exemple, que la composition de ces tableaux où l'on voit l'enfant Jésus caressant un moine n'ait été ingénieuse et intéressante pour ceux à qui ces tableaux étaient destinés. Le moine n'en est pas moins ridiculement placé dans ces peintures allégoriques.

Rien de plus délicat, de plus ingénieux, que les églogues de quelques-uns de nos poëtes: l'esprit y est employé avec tout l'art qui peut le déguiser. On ne sait ce qui manque à leur style pour être naïf; mais on sent bien qu'il ne l'est pas : cela vient de ce que leurs bergers pensent au lieu de sentir, et analysent au lieu de peindre.

Tout l'esprit de l'églogue doit être en sentiments et en images; on ne veut voir dans les bergers que des hommes bien organisés par la nature, et à qui l'art n'ait point appris à composer et à décomposer leurs idées. Ce n'est que par les sens qu'ils sont instruits et affectés; et leur langage doit être comme le miroir où ces impressions se retracent. C'est là le mérite dominant des églogues de Virgile.

Ite, meæ, felix quondam pecus, ite, capellæ..
Non ego vos posthac, viridi projectus in antro,
Dumosa pendere procul de rupe videbo 1.

1a Allez, mes chèvres, allez, troupeau jadis heureux. Je ne vous verrai plus

Fortunate senex, hic inter flumina nola,
Et fontes sacros, frigus captabis opacum '.

« Comme on suppose ses acteurs, a dit la Motte en parlant de l'églogue, dans cette première ingénuité que l'art et le raffinement n'avaient point encore altérée, ils sont d'autant plus touchants, qu'ils sont plus émus et qu'ils raisonnent moins..... Mais qu'on y prenne garde : rien n'est souvent si ingénieux que le sentiment; non pas qu'il soit jamais recherché, mais parce qu'il supprime tout raisonnement. » Cette réflexion est très-fine et très-séduisante. Essayons d'y démêler le vrai. Le sentiment franchit le milieu des idées; mais il embrasse des rapports plus ou moins éloignés, suivant qu'ils sont plus ou moins connus : et ceci dépend de la réflexion et de la culture.

Je viens de la voir qu'elle est belle!

:

Vous ne sauriez trop la punir. (QUINAULT.)

Ce passage est naturel dans le langage d'un héros, il ne le serait pas dans celui d'un berger.

Un berger ne doit apercevoir que ce qu'aperçoit l'homme le plus simple, sans réflexion et sans effort. Il est éloigné de sa bergère, il voit préparer des jeux, et il s'écrie :

Quel jour! quel triste jour! et l'on songe à des fêtes!
(FONTENELLE. )

Il croit toucher au moment où de barbares soldats vont arracher ses plants; et il se dit à lui-même.

Insere nunc, Melibæe, pyros; ponc ordine vites 2.

(VIRGILE.)

La naïveté n'exclut pas la délicatesse; celle-ci consiste dans

tranquillement couché dans une grotte de verdure, je ne vous verrai plus loin de moi suspendues au bord d'un roc er buissonneux. »

O fortuné vieillard, vivant ici au milieu de ces fleuves célèbres et de ces fontaines sacrées, vous goûterez paisiblement la fraicheur d'un ombrage épais. »

2 A présent, Mélibée, va te donner la peine de planter des poiriers et d'aligner des vignes. »

la sagacité du sentiment, et la nature la donne. Un vif intérêt rend attentif aux plus petites choses;

Rien n'est indifférent à des cœurs bien épris.

(FONTENELLE.)

Et comme les bergers ne sont guère occupés que d'un objet, ils doivent naturellement s'y intéresser davantage. Ainsi la délicatesse du sentiment est essentielle à la poésie pastorale. Un berger remarque que sa bergère veut qu'il l'aperçoive lorsqu'elle se cache.

Et fugit ad salices, et se cupit ante videri '.

Il observe l'accueil qu'elle fait à son chien et à celui de son rival.

L'autre jour sur l'herbette

Mon chien vint te flatter;
D'un coup de ta houlette
Tu sus bien l'écarter.
Mais quand le sien, cruelle,

Par hasard suit tes pas,

Par son nom tu l'appelle.

Non, tu ne m'aimes pas.

Combien de circonstances délicatement saisies dans ce reproche! C'est ainsi que les bergers doivent développer tout leur cœur et tout leur esprit sur la passion qui les occupe davantage. Mais la liberté que leur en donne la Motte ne doit pas s'étendre plus loin.

On demande quel est le degré de sentiment dont l'églogue est susceptible, et quelles sont les images dont elle aime à s'embellir.

L'abbé Desfontaines nous dit en parlant des mœurs pastorales de l'ancien temps : « Le berger n'aimait pas plus sa bergère que ses brebis, ses pâturages et ses vergers..... et quoiqu'il y eût alors, comme aujourd'hui, des jaloux, des ingrats, des infidèles, tout cela se pratiquait au moins modérément. » Il assure de même ailleurs, « que l'hyperbolique est l'âme de la poésie... que l'amour est fade et doucereux dans la Bérénice de Racine..... qu'il ne serait pas moins insipide dans le genre pastoral..... et qu'il ne doit y entrer qu'indirectement et en passant, de peur

1 « Elle s'enfuit parmi les saules; et, en se cachant, elle veut qu'on la voie. »

d'affadir le lecteur. » Tout cela prouve que la nature et l'art étaient pour Desfontaines comme des pays inconnus.

Ce n'est pas ainsi que Fontenelle et que la Motte, son disciple, ont parlé de la pastorale. « Les hommes, dit le premier, veulent être heureux, et ils voudraient l'être à peu de frais. Il leur faut quelque mouvement, quelque agitation; mais un mouvement et une agitation qui s'ajuste, s'il se peut, avec la sorte de paresse qui les possède; et c'est ce qui se trouve le plus heureusement du monde dans l'amour, pourvu qu'il soit pris d'une certaine façon. Il ne doit pas être ombrageux, jaloux, furieux, désespéré ; mais tendre, simple, délicat, fidèle, et pour se conserver dans cet état, accompagné d'espérance: alors on a le cœur rempli, et non pas troublé, etc. »

« Nous n'avons que faire, dit la Motte, de changer nos idées pour nous mettre à la place des bergers amants... et à la scène et aux habits près, c'est notre portrait même que nous voyons. Le poëte pastoral n'a donc pas de plus sûr moyen de plaire que de peindre l'amour, ses désirs ses emportements, et même son désespoir. Car je ne crois pas cet excès opposé à l'églogue : et quoique ce soit le sentiment de M. de Fontenelle, que je regarderai toujours comme mon maître, je fais gloire encore d'être son disciple dans la grande leçon d'examiner et de ne souscrire qu'à ce qu'on voit. » Nous citons ce dernier trait pour donner aux gens de lettres un exemple de noblesse et d'honnêteté dans la dispute. Examinons à notre tour lequel de ces deux sentiments doit prévaloir.

Que les emportements de l'amour soient dans le caractère des bergers pris dans l'état d'innocence, c'est ce qu'il serait trop long d'approfondir: il faudrait pour cela distinguer les purs mouvements de la nature, des écarts de l'opinion et des raffinements de la vanité. Mais en supposant que l'amour, dans son principe naturel, soit une passion fougueuse et cruelle dans ses accès, n'estce pas perdre de vue l'objet de l'églogue que de présenter les bergers dans ces violentes situations? La maladie et la pauvreté affligent les bergers comme le reste des hommes; cependant on écarte ces tristes images de la peinture de leur vie. Pourquoi? parce qu'on se propose de peindre un état heureux. La même raison doit

exclure du tableau de la vie champêtre les orages des passions. Si l'on veut peindre des hommes furieux et coupables, pourquoi les chercher dans les hameaux? pourquoi donner le nom d'églogue à des scènes de tragédie? Chaque genre a son degré d'intérêt et de pathétique : celui de l'églogue ne doit être qu'une douce émotion. Est-ce à dire pour cela qu'on ne doive introduire sur la scène que des bergers heureux et contents? Non : l'amour des bergers a ses inquiétudes: leur ambition a ses revers. Une bergère absente ou infidèle, un loup qui enlève une brebis chérie, sont des objets de tristesse et de douleur pour un berger. Mais dans ses malheurs même on admire la douceur de son état. Qu'il est heureux, dira un courtisan, de ne souhaiter qu'un beau jour ! Qu'il est heureux, dira un plaideur, de n'avoir que des loups à craindre ! Qu'il est heureux, dira un souverain, de n'avoir que des moutons à garder!

Virgile a un exemple admirable du degré de chaleur auquel peut se porter l'amour, sans altérer la douce simplicité de la poésie pastorale. C'est dommage que cet exemple ne soit pas honnête à citer.

L'amour a toujours été la passion dominante de l'églogue, par la raison qu'elle est la plus naturelle aux hommes, et la plus familière aux bergers. Les anciens n'ont peint de l'amour que le physique : sans doute, en étudiant la nature, ils n'y ont trouvé rien de plus. Les modernes y ont ajouté tous ces raffinements subtils que la fantaisie des hommes a inventés pour leur supplice; et il est au moins douteux que la poésie ait gagné à ce mélange. Quoi qu'il en soit, la froide galanterie n'aurait dû jamais y prendre la place d'un sentiment naïf et tendre; et je la crois incompatible avec le naturel et l'ingénuité de l'églogue. Passons au choix des images.

Tous les objets que la nature peut offrir aux yeux des bergers sont du genre de l'églogue. Mais la Motte a raison de dire que, quoique rien ne plaise que ce qui est naturel, il ne s'ensuit pas que tout ce qui est naturel doive plaire. Sur le principe déjà posé que l'églogue est le tableau d'une condition digne d'envie, tous les traits qu'elle présente doivent concourir à former ce tableau. De là vient que les images grossières ou purement rustiques

« السابقةمتابعة »